Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, le projet de loi sur les archives adopté par le Sénat fait l'objet de nombreuses critiques de la part des usagers chercheurs, de bon nombre de professionnels et des défenseurs des droits de l'homme.
Il se voulait un texte d'ouverture visant à libéraliser la loi du 3 janvier 1979 relative aux archives mais il s'avère finalement plus restrictif. Comme quoi, de bonnes idées ne font pas forcément de bonnes lois.
J'essaierai avec mesure et un esprit constructif d'illustrer ce paradoxe en développant quelques-unes des critiques et des propositions que les députés du groupe socialiste, radical et citoyen et divers gauche, souhaitent voir adoptées.
Plusieurs points peuvent, il est vrai, être considérés comme positifs.
Il est en ainsi de l'extension du domaine des archives publiques. L'article 1er ter du projet affirme et détermine la notion d'archives publiques indépendamment de leur forme et de la nature de leur support matériel. Sont ainsi prises en compte la numérisation et l'évolution des supports. Il s'agit là, à l'évidence, d'une avancée intéressante tant du point de vue du champ couvert que des progrès que l'on peut attendre de leur utilisation. La croissance rapide et presque sans limite des supports nécessite que les ressources du passé, les informations d'intérêt, les actes et les documents écrits qu'ils retracent soient inclus dans le champ des archives publiques. Dans la pratique, de nombreux services conservateurs faisaient état et font état de grandes difficultés à faire comprendre aux collectivités détentrices l'intérêt de gérer et de valoriser les fonds que constituent les documents figurant sur ces supports. Nous ne pouvons donc que nous féliciter de ce que les progrès techniques puissent déboucher sur un progrès d'utilisation collective.
Autre point positif, l'affirmation de la notion de service public. L'article 3 du projet prévoit que les archives publiques qui sont destinées à être conservées sont versées dans un service public d'archives dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État.
Au titre des avancées, il convient également de noter, toujours à l'article 3, l'affirmation du caractère imprescriptible desdites archives et la possibilité d'une action en revendication de la part du propriétaire réel et des services de conservation. Cela fait potentiellement des citoyens les garants, au travers de leurs institutions, des documents les intéressant au premier chef.
Cependant, plusieurs dispositions relatives aux conditions d'accès posent d'importants problèmes.
Première critique : si le principe de libre communicabilité est affirmé, les conditions en sont fortement limitées.
La loi pose, dans son article 11, le principe de la libre communicabilité des archives publiques « qui ne mettent pas en cause l'un des secrets protégés par la loi » puis définit quatre catégories de délais d'attente en fonction de la nature des documents pour lesquels existe un tel secret.
La philosophie du projet initial était de faire glisser les différents délais de communicabilité des documents contenus dans une fourchette de soixante à cent ans vers un délai moyen de cinquante années. Le projet soumis à notre délibération aujourd'hui tend plutôt en l'état à instaurer des délais moyens de soixante-quinze ans, ce qui est plus restrictif.
Le Sénat a en effet durci plusieurs aspects du régime existant comme l'allongement à soixante-quinze ans du délai de consultation dont la communication touche la vie privée, au lieu de cinquante ans dans le projet de loi initial. Cet allongement est critiquable parce qu'il fait peser sur toutes les archives la possibilité d'un allongement légal par référence à des éléments de vie privée, ce qui est contraire au principe même du projet qui est de diminuer les délais. Ce délai constitue en outre une durée plus longue que celle rencontrée dans la plupart des autres pays européens et démocratiques.
Des dispositions existent d'ores et déjà pour réprimer les atteintes à la vie privée et la réputation des personnes. De plus, peu de dérives ont été jusqu'à présent constatées et quasiment aucune n'est l'oeuvre de chercheurs, d'historiens, de sociologues ou de politologues. Nous devons avoir, me semble-t-il, une attitude confiante vis-à-vis des chercheurs et ce, alors même que les atteintes à la vie privée ne sont pas à rechercher de leur côté.
De façon complémentaire, l'article 25 du projet de loi, qui rédige l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 sur l'accès aux documents administratifs, redéfinit ce qu'est la vie privée, en incluant désormais les documents « comportant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne ».
Par ailleurs, l'article 11 du projet modifie le régime des dérogations, c'est-à-dire des communications avant expiration des délais, en le rendant plus discrétionnaire.
Face à ces limitations abusives, notre groupe demande une généralisation du délai moyen de cinquante ans, y compris pour ce qui est des registres de naissance de l'état civil, avec l'introduction par dérogation d'un délai de cent ans concernant certains crimes de nature sexuelle ou concernant les mineurs, et de cinquante ans concernant les minutes notariées.
Deuxième critique : certains documents deviennent incommunicables. Cette interdiction concerne l'accès aux documents relatifs aux armes de destruction massive et de nature à compromettre la sécurité des personnes. Si les motifs de la protection sont justifiés au fond, le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche est contre le principe d'une interdiction complète.
Nous sommes favorables, par dérogation, à un délai de cent ans révisable pour les documents relatifs à la sécurité collective et à un délai de cinquante ans pour les documents pouvant mettre en cause la sécurité des personnes.
Troisième critique : les moyens relatifs à la mise en oeuvre de certains aspects de la loi ne sont pas assurés. De façon plus générale et plus pratique, l'attitude la plus facile serait de revenir à la législation existante et de refuser l'évolution possible.
Néanmoins, trois points méritent non seulement une réponse de forme du Gouvernement, mais un engagement de fond de celui-ci.
D'abord, l'abaissement de cent ans à soixante-quinze ans du délai de communicabilité des documents de l'état civil peut-il conduire les services centraux et déconcentrés de l'état civil, au niveau des communes, à ne plus pouvoir délivrer lesdits actes dans de bonnes conditions de sécurité et de délai, y compris pour nos compatriotes dont les parents sont nés à l'étranger ?
Ensuite, les services centraux et déconcentrés ont-ils les moyens de réaliser l'actualisation et la digitalisation dans des délais raisonnables, avec des moyens renouvelés, de l'ensemble des documents existants s'y rapportant ? On évoque ici un coût de 3 millions d'euros pour réaliser l'ensemble des tâches que cela impliquerait.
Enfin, se pose la question du statut des actes juridiques délivrés à partir de pièces administratives devenues des archives et dont l'actualisation devrait toujours être possible parce que nécessaire.
Ce texte pose la question des moyens mis en oeuvre pour accomplir des missions nouvelles confiées au service public. Le principe en est posé par la loi, mais les moyens utiles sont laissés à l'appréciation des administrations qui ont à les gérer au quotidien.
Je ne pense pas qu'à chaque nouvelle mission on doive nécessairement faire correspondre des moyens nouveaux, mais se désintéresser de la façon de faire serait irresponsable, notamment quand l'état des personnes est directement conditionné par un droit à l'accès qui est juste.
A ce titre, je rapprocherai cette situation des demandes adressées par les fédérations hospitalières aux députés pour qu'ils amendent le projet de loi afin de permettre aux établissements de santé de confier à des tiers les dossiers médicaux papier. En effet, en l'état, seules les données de santé à caractère personnel figurant sur un support électronique peuvent à l'heure actuelle être hébergées chez un tiers.
Ici, comme en matière d'état civil, les termes désincarnés de la loi posent des problèmes matériels peu ou pas évalués au moment de la discussion parlementaire et pour lesquels nous ne disposons pas d'une estimation technique objectivée en termes de moyens en personnel ou de coûts.
Quatrième critique : la répression des infractions relatives au vol et à la détérioration des archives est aggravée, mais les moyens de protection des archives ne sont pas augmentés.
La question des peines applicables a été discutée au Sénat. L'introduction, par amendement du Gouvernement, de nouvelles sanctions est critiquable du fait qu'elle renforce les sanctions sans que l'on ait une vision claire de l'échelle et de la proportionnalité des peines par rapport aux faits et à d'autres infractions plus graves, mais qui pourraient être in fine moins sanctionnées. Là encore, la répression sans mise en perspective des enjeux et de la proportionnalité des peines pourrait se révéler au final contre-productive.
De plus, l'aggravation des peines encourues ne s'accompagne malheureusement ni d'un dispositif efficace ni de moyens financiers pour aider les propriétaires et les collectivités à protéger leur patrimoine. On le sait, la diminution des infractions sur les choses, fussent-elles un patrimoine, est liée étroitement aux techniques de lutte contre les vols et les dégradations mises en oeuvre.
Pour ces raisons, nous demandons à titre principal : une réécriture de l'article 11 et la généralisation du délai de cinquante ans, sinon nous voterons contre ; la disparition de l'article 25 et des assurances du Gouvernement quant aux moyens alloués pour la mise en place de cette nouvelle loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)