Le texte aujourd'hui inscrit à notre ordre du jour vise à réviser la directive 200396CE relative à la taxation dans les Etats membres des produits énergétiques et de l'électricité.
C'est en effet au niveau de l'Union européenne que sont fixés les montants minima d'accise, c'est-à-dire de taxation à la quantité et non à la valeur, pour ces produits. C'est la logique du marché intérieur.
Il est l'un des instruments destinés à permettre la réalisation des objectifs environnementaux de l'Union européenne à l'horizon 2002, caractérisés par les trois « 20 » : 20 % d'énergies renouvelables, 20 % d'émissions en moins pour les gaz à effet de serre et 20 % d'économies d'énergie, grâce à davantage d'efficacité énergétique, et aux dispositifs adoptés en 2008 sous présidence française dans le cadre du paquet « énergie climat ».
Il est d'ailleurs intervenu en même temps que la mise en place du système de quotas d'émission et d'échange de quotas, pour les grandes installations, à partir de 2005.
Sur le fond, la directive de 2003 repose sur un barème fondé sur quatre principes :
– les niveaux fixés au niveau européen sont des minima que les Etats membres, sauf dérogation, doivent respecter ;
– une distinction est opérée entre les carburants et les combustibles, ainsi que selon l'usage, privé ou bien professionnel, du produit ;
– une taxation des produits hors liste est opérée selon les produits comparables de la liste du barème ;
– la taxation au litre est plus favorable pour les carburants, au gazole qu'à l'essence.
La directive de 2003 n'est pas mise en oeuvre de manière homogène. Elle est, en effet, assortie d'un grand nombre d'exceptions, exemptions, exonérations et dérogations.
Ensuite, il y a les facultés de taxations différenciées offertes à l'initiative des Etats membres, avec plusieurs modalités. Peuvent ainsi être moins taxés les faibles consommations de produits (ce qui concerne les tarifs sociaux), certains usages comme les transports locaux de passagers, auxquels sont l'instant assimilés les taxis, et comme les transport sanitaires.
La principale de ces facultés de taxation différenciée concerne la distinction entre le gazole carburant à usage professionnel et le gazole particulier. Par ailleurs, la directive prévoit des exonérations de principe, notamment pour les produits énergétiques utilisés pour la production d'électricité, le transport aérien, le transport maritime et la navigation dans les eaux européennes, y compris la pêche. Elle offre aussi des possibilités d'exonération aux Etats membres, laissées à leur libre appréciation : l'électricité d'origine renouvelable, la cogénération, les transports ferroviaires, la navigation, les travaux agricoles notamment. Il y a également un régime de faveur pour les biocarburants et en faveur des entreprises grandes consommatrices d'énergie. Enfin, la directive comprend différentes mesures de prise en compte des spécificités territoriales. La mise en oeuvre de la directive a conduit à la situation suivante. Le premier constat est commun à toute l'Europe : les produits énergétiques sont davantage taxés en Europe que dans le reste du monde, notamment en Amérique du Nord. Les prix de l'énergie y sont dans le rapport d'un à deux pour les carburants. Le deuxième constat est habituel. L'Union européenne reste encore dans le domaine de la fiscalité énergétique une terre de diversité : diversité des taux applicables, que ce soit pour les hydrocarbures liquides, mais aussi pour le gaz et l'électricité ; diversité des choix des Etats membres pour leur bouquet énergétique ; et par conséquent, diversité et écarts de prix, tant pour les ménages que pour les entreprises.
En effet, les Etats membres n'ont pas tous la même approche de la fiscalité environnementale, dont la fiscalité énergétique est la composante essentielle, si ce n'est que celle-ci tend à baisser depuis les années 2000, faute notamment d'indexation des montants d'accise sur les prix.
On a en effet une fiscalité environnementale qui va d'un peu plus de 1 % du PIB en Grèce à 3 % en Slovénie, et plusieurs catégories d'Etats.
Comme l'Allemagne, la France fait partie des Etats membres où la fiscalité environnementale est modérée par rapport au PIB et par rapport au niveau des prélèvements obligatoires.
Enfin, sur la réduction des gaz à effet de serre, les résultats globaux constatés sont variables selon les Etats et les secteurs. C'est l'occasion de rappeler qu'il n'y a pas de coordination avec le système des quotas d'émission qui concerne les seules grandes installations industrielles : d'un côté des zones de recouvrement entre la taxation et le SEQE, de l'autre des lacunes.
Dans ces circonstances et dans le cadre de la stratégie précitée des « trois 20 », la Commission européenne propose une rupture majeure par rapport aux modalités actuelles de taxation sur la base de niveaux historiques et pragmatiques.
Elle prévoit en effet de taxer selon deux critères objectifs les produits énergétiques et l'électricité.
Le premier critère est celui des émissions de CO2, avec un niveau taxation de 20 euros par tonne. C'est un prix différent des 8 et quelques centimes auquel s'échange la tonne actuellement sur le système d'échange de quotas et proche des 17 euros retenus en 2009 par le Gouvernement pour la contribution carbone, qui a été annulée par le Conseil constitutionnel.
Le deuxième critère est celui de la quantité d'énergie consommée, appelée taxe générale sur la consommation d'énergie. Le prix serait à terme de 9,6 euros par gigajoule pour les carburants, et de 0,15 euros pour les carburants à usage industriel et commercial spécifique, ainsi que pour tous les combustibles, à usage privé ou professionnel, de même que pour l'électricité.
Ce nouveau barème s'appliquerait d'une manière rigoureuse. En effet, pour éviter toute distorsion en faveur d'un produit, les produits ayant le même usage seraient taxés de manière identique.
Les conséquences sont fortes pour les carburants. A terme, pour 2023, le gazole et l'essence seraient taxés au même niveau dans les Etats membres. Comme le gazole est plus dense que l'essence, on passerait pour les minima européens de 33 centimes et 35,9 centimes au litre respectivement en 2013, à 39 centimes et 36 centimes par litre en 2018.
Pour la France, avec un maintien de la taxation de l'essence sans plomb à son niveau, on aboutirait à taxer le diesel à 67,48 centimes d'euros le litre contre 44,19 actuellement. Avec un rapprochement des taux, on passerait à 50 centimes d'euros seulement, mais avec une réduction de la taxation de l'essence à 45 centimes d'euros.
De même la distinction entre l'usage professionnel et l'usage non professionnel serait supprimée pour les combustibles, mais aussi pour le gazole carburant professionnel, le « diesel routier ». L'avantage est actuellement de 5 centimes d'euros au litre.
Les implications tarifaires de ces principes sont très importantes. Elles entraînent en effet de fortes augmentations de taxation, non seulement pour les carburants, mais aussi pour les combustibles (gaz, fioul et charbon). Elles ont un effet sur les prix, budget des ménages ou compétitivité des entreprises.
Le deuxième élément essentiel de la directive est l'application très générale de la taxation selon la composante CO2 : c'est, dans le cadre d'un articulation avec le SEQE (Système d'échange de quotas d'émission) de telle sorte que soit une entreprise sera taxée, soit elle relèvera du SEQE, si elle est d'une taille suffisante, la fin des secteurs exclus. Ce texte marque aussi la restriction, sauf exception, des exonérations, qui ne sont maintenues que pour la seule composante relative à la consommation d'énergie.
Parmi les quelques exceptions à cette restriction précédente, on observe cependant les combustibles pour les ménages, qui devraient ainsi faire l'objet d'exonérations ou réductions de taxation pour les deux composantes, et ainsi permettre de résoudre en partie la difficulté pour leur chauffage.
Pour les secteurs exposés à des risques de fuite de carbone, c'est-à-dire à la concurrence internationale, un mécanisme de crédit d'impôt est prévu.
Pour ce qui concerne les biocarburants, la Commission européenne propose de les faire entrer dans le droit commun à partir de 2023, ce qui ne leur est pas défavorable, car s'ils respectent les critères de durabilité exigé, leur émissions de CO2 sont réputées égales à zéro.
Dans l'ensemble, ce que propose la Commission européenne est assez fondé sur le plan des principes généraux, mais les conséquences en sont lourdes quant au niveau d'imposition et aux augmentations tarifaires de produits énergétiques.
Les négociations sur ce texte, qui doit être adopté à l'unanimité, comme tout texte à caractère fiscal, s'annoncent donc délicates. Plusieurs Etats membres lui sont opposés, notamment le Royaume-Uni, l'Allemagne et aussi la Pologne.
Les consommateurs et les représentants des entreprises, comme les représentants des agriculteurs, sont par ailleurs réservés.
Dans ces circonstances, c'est uniquement si des mesures adaptées de calendrier, de flexibilité et de prise en compte des spécificités sectorielles sont prévues que la proposition de directive, à laquelle la présidence danoise est favorable, pourra être adoptée.
La France est sur cette position générale. A ce stade, on peut émettre plusieurs recommandations. Trois peuvent d'ores et déjà être exprimées de manière très précise. Deux tiennent à la subsidiarité et ont été exprimées dans la résolution de l'Assemblée devenue définitive en juin dernier : le maintien des taxis dans la catégorie des transports publics locaux pouvant faire l'objet d'une taxation différenciée ; la respect du principe de la libre administration des collectivités territoriales pour la taxation locale de l'électricité. De même, la modulation régionale de la TICPE ne doit pas être mise en cause. La troisième recommandation concerne le transport routier. La capacité de leurs réservoirs donne aux poids lourds une autonomie telle qu'ils peuvent s'approvisionner dans un Etat membre et intervenir dans d'autres. Si l'on ne maintient pas la faculté actuelle de découplage du gazole professionnel et du gazole particulier, il y aura distorsion de concurrence au détriment des entreprises implantées dans les Etats qui auront des niveaux de taxation conforme aux objectifs de la directive. Ce n'est pas acceptable au regard des principes du marché intérieur.
D'autres secteurs d'activité doivent également faire l'objet de mentions spécifiques, même si les modalités en sont encore à définir.
Il s'agit d'abord de l'agriculture. Le dispositif proposé par la Commission européenne, qui repose sur l'absence d'exonération au titre de la taxe carbone avec application éventuelle du mécanisme de crédit d'impôt contre les fuites de carbone et la mise sous condition de l'exonération de la taxation générale de consommation d'énergie, en contrepartie de réduction de la consommation, n'est pas adapté. Le secteur a spontanément réduit ses émissions de gaz à effet de serre depuis 15 ans. Ses modalités particulières de fonctionnement ne sont plus à démontrer.
Pour d'autres activités industrielles, le souci est essentiellement de maintenir nos activités et notre compétitivité en Europe.
Un secteur mérite enfin une mention particulière. Celui de la construction automobile.
La perspective du bouleversement du rapport entre la taxation du gazole et de l'essence le place en difficulté. En effet, les constructeurs français, mais aussi européens, ont adapté leur production en fonction des choix des consommateurs pour la motorisation diesel. L'enjeu industriel du secteur automobile est trop essentiel pour n'être pas pris en compte.
A l'opposé, il est vrai, le raffinage européen est importateur de gazole et a du mal à exporter ses excédents d'essence sans plomb.
On le constate, au-delà des principes généraux, le texte actuellement proposé ne peut pas être adopté, en l'état. Des aménagements sont donc nécessaires.
Tels sont les éléments que je vous propose d'évoquer dans le rapport et dans les conclusions qui suivent.