Si le sérieux du travail accompli – quatre mois de discussions tous les vendredis – force le respect, nous pouvons tout de même faire quelques observations sur la méthode.
En premier lieu, les organisations syndicales ont négocié sous la menace : celle, en cas d'échec final, de voir le Gouvernement imposer le contrat unique par la voie législative. La portée de l'accord est elle-même limitée par le fait que le Gouvernement a choisi une négociation tronçonnée et éclatée entre plusieurs ministères. Enfin, la transcription menée en concertation avec les signataires est certes fidèle, mais partielle. Elle reprend essentiellement les nouvelles flexibilités souhaitées par le patronat : l'allongement des périodes d'essai, dont nous avons réussi à inscrire la définition dans la loi ; la séparation à l'amiable, rebaptisée « rupture conventionnelle », pour laquelle nous avons obtenu de préciser dans la loi qu'elle ouvrait droit, pour le salarié, à l'assurance chômage de droit commun. Troisième innovation : le contrat de projet sous la forme d'un « CDD long pour la réalisation d'un objet défini ». Ce sont là, il faut bien le dire, trois innovations sécurisant, pour les employeurs, les procédures de séparation avec leurs salariés, selon le postulat jamais démontré ni confirmé, et pourtant cher au MEDEF, d'après lequel plus il est facile de licencier, plus on embauche. Mais ces innovations sont porteuses de précarité pour les salariés.
Qu'obtiennent ces derniers en contrepartie ? La réaffirmation du CDI comme forme normale et – nous y avons insisté – générale, c'est-à-dire générique, de la relation de travail ; la suppression du CNE ; l'obligation faite à l'employeur de motiver tout licenciement ; l'intégration des périodes de stage dans les périodes d'essai ; l'abaissement de la durée d'ancienneté de deux à un an pour bénéficier de l'indemnité de licenciement, laquelle devrait être doublée par décret.
Pour autant, et quoi que vous en disiez, monsieur le ministre, ces avancées législatives ne suffisent pas à mettre en oeuvre une véritable flexicurité, alors que l'accord en contenait potentiellement tous les éléments. Je pense notamment à l'amélioration de l'indemnisation du chômage, notamment pour les plus jeunes, à l'anticipation des besoins et des qualifications, à l'amélioration de l'orientation et de la formation professionnelle, et surtout à la « transférabilité » des droits – prévue à l'article 14 de l'accord –, et notamment du droit individuel à la formation.
Faute de reprendre ces éléments, le texte offre une vision borgne de l'accord qui satisfait les attentes du patronat, alors que les avancées obtenues par les syndicats sont en partie renvoyées au domaine réglementaire et aux négociations à venir sur l'assurance chômage et la formation professionnelle. Bref, l'équilibre de l'accord relève désormais du pari que les négociations ultérieures viendront confirmer les bonnes intentions actées.
Nos craintes sont donc vives lorsque nous découvrons la manière dont ces négociations s'engagent et les propositions du Gouvernement sur les retraites, la formation professionnelle et l'assurance chômage, ou encore la manière dont vous-même, monsieur le ministre, avez annoncé la baisse de la cotisation chômage et une hausse proportionnelle des cotisations « retraites » alors même que la négociation avec les partenaires sociaux n'avait pas commencé.
Certains proposent même que le salarié ayant recours à une rupture conventionnelle ne bénéficie pas d'un taux plein d'assurance chômage, au moment où le Président de la République propose de sanctionner tout demandeur d'emploi déclinant plus de deux offres d'emploi.
Quant à la remise en cause de l'autonomie de gestion de l'UNEDIC par la mainmise de l'État, comme nous le dénoncions déjà dans le cadre de la fusion de l'ANPE et des ASSEDIC, elle augure mal de l'avenir du paritarisme !
Enfin, votre loi n'est pas à la hauteur des difficultés persistantes que connaît le marché du travail dans notre pays : d'un côté, une pénurie de main d'oeuvre qualifiée ; de l'autre, une précarisation croissante, que ce texte risque d'accentuer encore.
L'amélioration des statistiques du chômage ne saurait masquer la multiplication du nombre des « travailleurs pauvres » dans notre pays. Votre projet de loi ne relève pas ce défi, pas plus que les déclarations récentes du Président de la République sur le financement de la généralisation du RSA par une partie de la PPE.