Cette proposition de résolution européenne pour la relance européenne et le renforcement du contrôle démocratique, que je présente au nom du groupe socialiste, a pour objectif d'évaluer et d'apprécier le processus de résolution de la crise économique mis en oeuvre au niveau européen. Il s'agit d'essayer de dégager, à partir de cette analyse, un certain nombre de pistes de réflexion pour améliorer la réponse européenne à la crise.
Dans le processus qui s'est mis en mouvement, depuis deux ans environ, avec l'affirmation de la crise grecque et la manifestation de la crise des dettes souveraines, deux aspects nous paraissent devoir être soulignés.
Le premier aspect concerne la manière dont ont été élaborées les réponses à cette crise, mais également la manière dont sont appliquées ces réponses. Dans les deux cas, nous considérons que les réponses ont été marquées par un manque d'implication des parlements nationaux et des institutions européennes. Tant au niveau des modalités de discussion et de décision, qu'au niveau de la mise en oeuvre des décisions, le processus est marqué par un grand déficit démocratique. Cela est inquiétant, car sans adhésion des peuples et des élus, il ne sera pas possible de surmonter cette crise. Il y a même un véritable risque de chaos démocratique, on le voit en Grèce, à vouloir à toute force imposer des solutions irréalistes.
Ce déficit démocratique s'est d'abord manifesté dans la manière dont l'Union européenne s'est saisie de ces questions et les a traitées. Ce processus a été conduit à marche forcée, à coup de sommets répétitifs et de rencontres franco-allemandes. Les institutions européennes, la Commission, le Parlement européen, ont été marginalisées. Les parlements nationaux ont été ignorés. Le Conseil européen a été souvent relégué. Les pays « récalcitrants », mis au pied du mur, ont été sommés de partir. Comme vous le savez, le traité budgétaire ne concernera pas l'ensemble des pays membres de l'Union européenne.
C'est un fonctionnement finalement atypique, centré quasi exclusivement sur le couple franco-allemand qui s'est mis en place et qui a dirigé les opérations durant cette période. Certains s'en réjouiront, considérant que l'éclatement du cadre institutionnel européen est une condition pour avancer. Je ne fais pas partie de ceux là. Je pense que ce fonctionnement n'est pas bon pour l'Europe. Un certain nombre de pays ont d'ailleurs contesté ce leadership « Merkozy ». Pour moi, il ne fait aucun doute que, si le traité budgétaire, qui sera soumis à notre ratification après l'élection présidentielle, avait été préparé au sein d'une convention, sa physionomie en aurait été changée. Je regrette qu'il ait été décidé de recourir à une révision simplifiée.
Ce fonctionnement n'est pas bon pour la France. Le couple franco-allemand est profondément déséquilibré. Dans les discussions qui ont opposé la France et l'Allemagne, sur la BCE, sur le fonds de stabilisation, sur les euro-obligations, sur le caractère contraignant de la discipline budgétaire, sur la taxe sur les transactions financières, ce sont à chaque fois les positions allemandes qui ont été retenues. Certains diront : « oui, mais nous avons obtenu un gouvernement économique. ». C'est vrai, mais celui-ci fonctionnera aux conditions allemandes : d'abord le budget et la discipline, ensuite la croissance, et uniquement sous l'angle de la compétitivité et des coûts salariaux. Si le couple franco-allemand donne à la France l'illusion de sa grandeur passée, il est surtout pour l'Allemagne un habillage utile pour faire entériner ses décisions. Ce mode de fonctionnement n'a pas été positif et a abouti à des décisions contestables.
Ce déficit démocratique est aussi la caractéristique des dispositifs qui ont été mis en place pour contraindre les États à la discipline ou à appliquer des programmes d'ajustement. Que ce soit dans le cadre des sanctions automatiques, ou dans celui de la judiciarisation de la discipline budgétaire avec l'intervention de la Cour de justice que consacre le traité budgétaire, ou dans la mise sous tutelle des États placés sous assistance, avec deux directives, les « two-packs », qui retirent toute souveraineté aux pays placés dans cette situation, il s'agit d'autant de dispositions qui visent à écarter les représentants des peuples de leurs responsabilités. Finalement, un ordre normatif extrêmement imposant est en train de se bâtir, qui va mettre à l'épreuve la souveraineté d'un certain nombre de pays, dont le nôtre. Ainsi, le budget de la France sera directement opposable à la Cour de justice européenne, si le traité budgétaire est ratifié.
Il nous faut donc revenir à un autre mode de fonctionnement, plus équilibré, plus respectueux des institutions européennes et des parlements nationaux. Sur ce plan, il faut se réjouir que, notamment grâce à l'action de M. Pierre Lequiller, président de la commission des Affaires européennes et à celle du président l'Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer, un article concernant la nécessité de consulter les parlements nationaux sur le processus budgétaire ait été introduit dans le traité budgétaire. Cela reste cependant insuffisant. Il faudra par ailleurs, au niveau national, renforcer les procédures de contrôle du Parlement et de l'Assemblée nationale en particulier. La ratification, la semaine prochaine, du mécanisme européen de stabilité – MES – sera l'occasion pour le Parlement de jouer un rôle plus important.
Le deuxième aspect qui nous a poussés à déposer cette proposition de résolution européenne, est la manière dont est conçue la réponse économique et financière à la crise. Nous avons aujourd'hui « sur la table » un traité budgétaire et un traité sur le MES dans lesquels, trois problématiques, trois nouvelles approches devraient, nous semble-t-il, être incluses.
La première approche est celle de la coordination des politiques économiques en Europe. Cette coordination ne peut pas uniquement être vue sous l'angle de la seule convergence. L'article 9 du traité budgétaire indique : « …les parties contractantes s'engagent à oeuvrer conjointement à la définition d'une politique économique qui favorise le bon fonctionnement de l'Union économique et monétaire et qui prône la croissance économique grâce au renforcement de la convergence et de la compétitivité. » Pour nous, la convergence est la finalité et non le moyen. La zone euro est profondément hétérogène et appliquer la même politique à tous les États qui la composent ne peut qu'accentuer cette hétérogénéité. C'est un grave contresens que de substituer la convergence à la coordination. Cela signifie que se pose la question du fonctionnement d'une zone monétaire sans transfert en son sein et uniquement à travers l'application de politiques semblables. Une zone monétaire doit fonctionner, de notre point de vue, avec des transferts, avec une meilleure coordination des différentes politiques économiques, en fonction des spécificités et des particularités de chacun des pays européens. Il n'est pas vrai que nous ferons de chacun des pays européens une petite Allemagne. Ce n'est pas souhaitable et c'est illusoire.
Le deuxième point est la question de la soutenabilité de l'ajustement dans un certain nombre de pays européens. L'assainissement budgétaire est indispensable car au-delà d'un certain niveau d'endettement, la situation n'est plus viable. Mais, il ne peut se faire dans de bonnes conditions que si les pays ont accès à la liquidité. À ce titre, nous répétons que la BCE a un rôle important à jouer. Elle le fait certes depuis quelques mois, mais tardivement et sans aucune garantie qu'elle continuera à le faire dans le futur.
Enfin, la croissance passe par l'investissement. Il est absolument nécessaire de mettre en place une politique d'investissements européens. Dans ce qui est proposé au niveau européen, cette politique fait défaut. On a le sentiment que le retour à la croissance n'est vu que sous l'angle de mesures structurelles. Elle n'est pas vue sous l'angle de projets d'investissements. Nous pensons qu'il convient de mettre en place un fédéralisme de projets dans un certain nombre de secteurs. Il faut pour cela des moyens financiers et donc doper l'investissement en Europe. Cela passe notamment par la Banque européenne d'investissement – BEI –, dont les capacités sont actuellement sous-employées et qui pourrait augmenter sensiblement ses prêts. Il faut également un budget européen profondément rénové et sans doute augmenté, alimenté par une taxe sur les transactions financières. Les « projects bunds » mis à l'étude par la Commission, permettraient à cette dernière d'emprunter et de venir en soutien à un certain nombre de projets européens.
Nous considérons donc que sur ces trois points, le compte n'y est pas. Cette proposition de résolution européenne présente un certain nombre d'axes qui permettent de compléter le dispositif qui nous est proposé. Il s'agit d'une proposition qui n'est ni idéologique, ni politique. À côté du nécessaire assainissement financier, il faut trouver des capacités de relance et de croissance au niveau européen. Nous ne voyons pas actuellement, sur ces sujets, de propositions crédibles dans les positions françaises et allemandes.