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Intervention de Philippe Tourtelier

Réunion du 8 février 2012 à 10h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Tourtelier, rapporteur :

Le travail que nous avons effectué s'est révélé très intéressant. Comme l'a souligné Serge Poignant, la mission de contrôle de l'application des lois du Parlement est appelée à se développer. Nous ne pouvons que nous en réjouir car cela nous facilitera la tâche lorsque nous serons amenés à voter de nouvelles lois. Je remercie à mon tour Bertrand Pancher et l'ensemble des corapporteurs, ainsi que l'administration du ministère, qui s'est montrée extrêmement réactive et ouverte à la concertation. Cette nouvelle attitude a émergé avec la loi Grenelle II.

La loi Grenelle I a défini les objectifs. La loi Grenelle II a déterminé les moyens juridiques pour mettre en oeuvre, voire « stimuler » la loi Grenelle I. Le groupe socialiste a voté la loi Grenelle I, car nous étions d'accord sur les objectifs et les grandes mesures proposées. Tel n'a pas été le cas pour la loi Grenelle II – je vous renvoie à cet égard aux propos que j'ai tenus à l'époque. Je crains que les raisons pour lesquelles nous n'avons pas voté la loi Grenelle II soient malheureusement toujours d'actualité. Ce que certains ont appelé le « Grenelle III » couvre l'ensemble des mesures fiscales de soutien : la Cour des comptes a publié le 3 novembre dernier un référé (n° 2011-474-3) fort intéressant sur ce sujet. La fiscalité est en effet un des leviers de la mise en oeuvre – ou pas – de certaines dispositions du Grenelle. À l'heure du bilan, il ne faut pas oublier que certains textes peuvent le démolir, telle la proposition de loi (n° 3706) de notre collègue Jean-Luc Warsmann qui, sur divers points comme la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, affaiblit le Grenelle. La démarche Grenelle n'est donc pas à l'abri d'un risque de « détricotage » du fait de l'adoption de nouvelles lois.

Je situerai mes observations dans la perspective du Grenelle dans son ensemble, en m'efforçant de pointer les différentes mises en oeuvre de la loi Grenelle II.

S'agissant de l'habitat et de l'urbanisme, les choses sont bien parties pour les bâtiments neufs grâce à la RT 2012. En matière de réhabilitation, en revanche, le retard n'a pas été rattrapé. Quelques mesures concernant les copropriétés facilitent, certes, la réhabilitation, mais le problème est d'abord financier. Or les conditions actuelles ne sont pas favorables à cet égard.

Par ailleurs, quel rôle le diagnostic de performance énergétique (DPE) doit-il jouer ? Quelle est sa fiabilité ? Doit-il s'agir d'une simple sensibilisation des acteurs ou du début d'un programme de travaux, avec un audit plus « musclé » ? Il faudra répondre à cette question, car le DPE est la « porte d'entrée » de la réhabilitation.

Sur la publicité extérieure aux entrées de ville et alors que le décret a été pris, les discussions sont toujours aussi vives entre les annonceurs et les défenseurs du paysage. Cela montre que la loi n'était pas assez précise ou que les auditions auxquelles nous avons procédé préalablement n'ont pas été assez approfondies et n'ont donc pas permis d'atteindre un point d'équilibre.

S'agissant du titre II, relatif aux transports, l'essentiel des mesures est contenu dans la loi Grenelle I. Pour ce qui concerne le transport de marchandises et le report modal du fret routier vers le fret ferroviaire, la situation s'est encore dégradée. Quant au transport de personnes, il faisait l'objet de trois chapitres dans la loi Grenelle I. La première tranche du programme de soutien aux transports en commun en site propre (TCSP) était financée – j'espère que la deuxième le sera également. Pour les lignes à grande vitesse, la Cour des comptes a noté que seules trois lignes sur les quatorze annoncées sont financées. On ne peut donc que s'interroger sur la poursuite de ce programme, surtout lorsqu'on connaît les besoins de régénération des réseaux actuels.

C'est sur le titre III (Énergie et climat) que mes interrogations sont les plus grandes. Les décrets remettent-ils en cause les objectifs de la loi ? Mon collègue Bertrand Pancher répond par la négative. Je rappelle que, dans la loi Grenelle I, nous nous sommes engagés au niveau européen à baisser de 20 % les émissions de gaz à effet de serre, à prévoir 20 % d'énergies renouvelables dans notre consommation énergétique finale et à augmenter de 20 % notre efficacité énergétique. Or, s'agissant par exemple du développement de l'éolien, on constate un effondrement à la suite des dispositions votées dans la loi Grenelle II – 871 mégawatts raccordés en 2011 contre 1 100 ou 1 200 en 2010, soit une diminution de l'ordre de 30 %. Le syndicat des énergies renouvelables demande instamment qu'on lève la condition des cinq mâts. La loi Grenelle II, censée « booster » les énergies renouvelables sur l'éolien, les a finalement freinées.

S'agissant de l'objectif de baisse de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, nous avons beaucoup misé sur les plans climat-énergie territoriaux (PCET). Or le périmètre maximal SCOPE 3 – prise en compte de l'ensemble des émissions indirectes – n'a pas été retenu. Les PCET ne prendront donc en compte que moins de 50 % des émissions de gaz à effet de serre. On peut dès lors douter de leur fiabilité et de l'intérêt d'avoir des PCET au regard d'un suivi des objectifs régionaux agrégés au plan national pour respecter le taux de 20 %. Certes, nous ne méconnaissons pas les difficultés de financement des PCET, ni celles relatives à leur méthodologie. Mais si nous voulons garantir cette fiabilité, il faudra se pencher à nouveau sur les PCET.

Pour ce qui concerne le titre IV, chapitre 1 (Agriculture), il reste des questions en suspens sur le plan Écophyto, élément central de la démarche à l'égard des pesticides. On peut également s'interroger sur les retards constatés en matière de protection des captages, problème qui se posait avant le Grenelle et sur lequel une procédure européenne a été engagée. Le Grenelle n'a pas permis d'avancer sur ce dossier.

S'agissant du titre V (Risques-santé-déchets) et comme pour la publicité extérieure, la loi et les décrets ne font pas consensus. Certains considèrent ainsi que les dispositions relatives aux nuisances lumineuses ne servent à rien parce que nous avons repris des normes existantes, tandis que d'autres estiment au contraire qu'elles vont dans le bon sens. Le degré de technicité est tel que votre rapporteur ne saurait vous dire si nous sommes sur le bon chemin.

On peut également s'étonner que le décret sur les zones d'actions prioritaires pour l'air (ZAPA) ne soit toujours pas pris. Une procédure européenne a en effet été engagée contre la France au motif qu'elle n'aurait pas appliqué correctement la directive sur les particules et notre pays a invoqué le plan de protection de l'atmosphère et les ZAPA comme éléments de réponse. Or le décret concernant les ZAPA est prévu pour 2013. Nous voyons là une incohérence.

S'agissant enfin du titre VI sur la gouvernance, vous connaissez tous le débat portant sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (article 225 de la loi). La loi doit-elle être précise ou non ? Que doit-on laisser au décret et à l'adaptation ? L'expérience montre que lorsque les seuils des entreprises ne sont pas fixés dans la loi, les lobbies remontent au créneau et la loi s'en trouve affaiblie.

Je conclurai par des remarques plus positives sur la forme. La concertation engagée pour la sortie des décrets a ainsi été excellente. Et la méthode devrait être transposée à d'autres lois et à d'autres ministères. Quelques décrets ont certes posé des difficultés. Pour certains, le problème venait de la complexité juridique ; pour d'autres, des arbitrages interministériels qu'ils nécessitaient. Dans ce second cas, cela recouvre soit des considérations politiques, soit l'intervention de lobbies. Les décrets requérant des arbitrages financiers ne paraissent pas facilement non plus. Qui va payer ainsi le renforcement des réseaux électriques en bout de ligne ? Cela relève-t-il toujours de l'exécutif ? Ne faudrait-il pas interroger à nouveau les rapporteurs qui suivent la loi et qui pourraient éventuellement soulever la question en commission ? Il faut y réfléchir pour éviter un dévoiement de la loi. S'agissant enfin du suivi de la loi par des tables rondes, je considère – comme Bertrand Pancher – que la méthode est efficace et dynamique.

Deux points restent en suspens in fine. Premièrement, l'articulation entre le national et le local. Où doit-on fixer la barre ? Quelles marges de manoeuvre doit-on donner au local ? Deuxièmement, l'équilibre entre l'incitation et la norme. Si l'on s'en tient aux incitations, on risque d'attendre longtemps. Mais la fixation de normes risque de bloquer le processus. Ne faudrait-il pas prévoir des délais assortis d'un degré de coercition de plus en plus fort, qui aboutirait à terme à une norme impérative ?

Nous dressons le bilan ce matin de la mise en application du Grenelle. On parle de textes mais l'essentiel, finalement, que ce soit au niveau national ou local, c'est la volonté politique.

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