Je tiens d'abord à remercier chaleureusement M. Jean-Marc Roubaud pour son excellent travail à la présidence de cette Commission spéciale, ainsi que Mme Michèle Tabarot, qui a mis toute son ardeur au service de cette cause.
Je me trouvais hier à Lyon, où j'ai visité la Maison de l'adoption, une nouvelle structure qui accompagne les parents adoptifs, de l'agrément à l'arrivée de l'enfant, mais aussi au-delà. Et je peux vous dire que votre proposition de loi, Madame la rapporteure, est très attendue. Elle a en effet un double mérite.
D'abord, elle dessine une nouvelle architecture de l'adoption internationale, plus lisible et plus efficace, avec une vraie priorité donnée à l'intérêt supérieur de l'enfant.
Ensuite, elle pose en termes adaptés la question du délaissement parental, trop longtemps restée taboue.
Concrètement, il est proposé de renforcer la lisibilité de la déclaration judiciaire d'abandon et de modifier les règles de la procédure d'agrément en vue d'adoption.
L'adoption est un thème majeur de la politique familiale que je mène. Le statut de l'adoption a fait l'objet, depuis 1966, de plusieurs aménagements jusqu'à la réforme de 2005 qui a rénové le dispositif.
La parentalité adoptive mérite toujours aujourd'hui une attention particulière de la part de tous les acteurs : des acteurs de terrain, des conseils généraux qui instruisent les demandes et délivrent les agréments, mais aussi des pouvoirs publics et de l'État, car ce qui nous préoccupe tous est bien l'intérêt supérieur de l'enfant. Je dirais même que nous devons rechercher le meilleur pour l'enfant.
L'adoption est un sujet auquel les Français sont très sensibles car il touche à la famille et à la solidarité, valeurs auxquelles nos concitoyens sont particulièrement attachés. Adopter est un acte important qui porte en lui un engagement fort : celui de fonder une nouvelle famille ou d'élargir sa famille d'origine. Mais surtout, et j'ai eu l'occasion de le dire hier, c'est en partant des enfants et de leurs besoins que nous devons repenser l'adoption : c'est l'enfant qui a besoin d'une famille pour se construire – et non l'inverse. L'intérêt supérieur de l'enfant est donc une priorité politique.
Au niveau national, le secrétariat d'État en charge de la famille a un rôle essentiel dans le pilotage et dans l'animation de la politique publique en matière d'adoption, qu'il s'agisse des réformes touchant aux dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à l'agrément ou au statut des pupilles de l'État, ou de l'action du Conseil supérieur de l'adoption, créé en juillet 1975, dont il assure le secrétariat et dont il anime les différents groupes de travail. C'est d'ailleurs dans ce cadre qu'ont été élaborés les référentiels concernant l'information et l'évaluation des candidats à l'agrément en vue d'adoption.
S'agissant de l'accompagnement de l'adoption des pupilles à besoins spécifiques, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) anime un réseau d'échanges entre l'État et les conseils généraux, dont elle est l'interlocutrice privilégiée, en complément du système d'information partagé qui existe déjà, le service d'information pour l'adoption (SIAPE). Le 5 décembre dernier, une journée technique consacrée à ce sujet a rassemblé de nombreux professionnels ainsi que des représentants des conseils généraux et des directions départementales de la cohésion sociale.
Une convention d'objectifs et de gestion passée avec l'Agence française de l'adoption – je salue à cet égard l'investissement du député Yves Nicolin – est en cours de renouvellement, notamment pour prendre en compte les préconisations de l'IGAS et de l'Inspection générale des affaires étrangères. La nouvelle présidente de l'AFA est Mme Isabelle Vasseur, présente parmi nous aujourd'hui.
La diffusion d'un guide destiné à aider les adoptants dans leurs démarches et l'ouverture d'un espace professionnel au sein du portail « adoption.gouv.fr », dédié aux acteurs de l'adoption – services départementaux, services déconcentrés de l'État, organismes autorisés pour l'adoption (OAA), AFA – doivent utilement compléter le dispositif, en particulier en incitant à l'échange des bonnes pratiques.
De plus, afin d'améliorer la gestion du processus de l'adoption, nous avons lancé une étude de faisabilité concernant la création d'une base nationale de données sur l'agrément. Outre son utilité en matière de gestion et de statistiques, cet outil serait susceptible de faciliter l'apparentement des pupilles de l'État, notamment en facilitant la recherche des candidats répondant au profil de ces enfants.
Concernant l'adoption internationale, on constate depuis quelques années une diminution du nombre d'enfants adoptables dans le monde, mais aussi une évolution de leur profil. Désormais, ceux qui sont proposés à l'adoption internationale sont plus âgés et sont, pour l'essentiel, des enfants à besoins spécifiques. Plusieurs facteurs sont à l'origine de cette évolution.
De plus en plus de pays d'origine signent et ratifient la convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale. Cela traduit une prise de conscience de la nécessité de protéger les enfants des dérives possibles de l'adoption. Toutefois, l'application des principes de cette convention, en particulier la subsidiarité de l'adoption internationale, se traduit systématiquement par une baisse significative du nombre d'enfants proposés à l'adoption internationale.
D'autre part, l'amélioration de la situation politique, sociale et économique de nombreux pays d'origine favorise le développement des systèmes de protection de l'enfance et l'essor de l'adoption interne, comme ce fut le cas au Brésil ou, plus récemment, en Chine.
Les enfants jeunes et sans handicap sont donc désormais majoritairement adoptés dans leur pays d'origine – c'est d'ailleurs ce qui est le mieux pour eux. Sont par conséquent proposés aux familles étrangères les enfants pour lesquels un projet d'adoption n'a pu être mené dans ce pays. Leur profil tend ainsi à se rapprocher de celui des pupilles de l'État, dès lors que sont écartés les enfants nés sous le secret.
Alors qui sont les enfants adoptables aujourd'hui ? Quel projet de vie y a-t-il lieu d'envisager pour chacun d'eux ? De quelle famille ont-ils besoin ?
Une politique assumée de l'adoption doit, plus encore qu'auparavant, être fondée sur un souci de qualité éthique, sur une bonne préparation des adoptants et sur leur suivi, ainsi que sur des garanties de transparence, car ce sont là les gages de l'épanouissement des familles adoptives et des enfants adoptés.
Votre proposition de loi, Madame la rapporteure, apporte des éléments de réponse à ces préoccupations.
Elle s'inscrit dans la continuité des travaux qui ont été menés depuis 2008 sur le sujet, avec les rapports de M. Colombani, de l'IGAS et de l'Académie nationale de médecine. Elle reprend certaines des dispositions du projet de loi sur l'adoption que le Gouvernement avait déposé en avril 2009 – je suis d'accord : le temps passe vite, trop vite, pour les enfants. Enfin, elle se nourrit des propositions du Conseil supérieur de l'adoption, que vous connaissez bien pour le présider. C'est là, la garantie d'avancées certaines.
J'évoquerai pour commencer, le délaissement parental, notion à laquelle je suis particulièrement attachée. Un certain nombre d'enfants pris en charge par les services de protection de l'enfance pourraient, parce qu'ils sont délaissés par leurs parents, accéder au statut protecteur de pupille de l'État après le prononcé d'une déclaration judiciaire d'abandon. Ils pourraient alors faire l'objet d'une adoption si cela est conforme à leur intérêt et s'inscrit dans leur projet de vie.
Depuis plusieurs années, une réflexion est, à juste titre, conduite sur la déclaration judiciaire d'abandon. La proposition de loi a le grand mérite de dissocier celle-ci de l'adoption et d'en faire une mesure de protection de l'enfant – protection vers laquelle on doit toujours tendre. Ce changement de vocable est très important car il permet de centrer l'appréciation de la situation sur l'enfant, et non plus sur les parents.
Vous avez aussi souhaité définir cette notion de délaissement parental. Celui-ci est ainsi caractérisé dès lors que les parents n'ont contribué par aucun acte à l'éducation ou au développement de l'enfant pendant un an. Concrètement, une carte postale par an ou un coup de téléphone ne suffit pas à contribuer à l'éducation d'un enfant !
J'approuve la clarification qui résulte du recours au critère, plus objectif, d'absence d'acte effectué par les parents. Il n'est bien évidemment pas question de stigmatiser et de sanctionner des parents qui se retrouveraient, malgré eux, dans une situation les empêchant d'exercer leur autorité parentale – je pense notamment aux parents en difficulté sociale et économique, hospitalisés ou temporairement éloignés.
La mesure de déclaration judiciaire d'abandon étant celle qui entraîne les conséquences les plus graves parmi les mesures de protection, puisque les parents n'exercent plus l'autorité parentale sur leur enfant, il était indispensable d'en spécifier les contours. Votre amendement atteint cet objectif.
Vous prévoyez également que le tribunal de grande instance puisse être saisi d'une demande de déclaration judiciaire d'abandon par le parquet – et non plus seulement par le service social ou par le particulier qui a recueilli l'enfant, ce qui prenait beaucoup de temps. Il s'agit là d'une évolution des textes tout à fait bienvenue car le ministère public peut être amené, notamment par le biais de ses relations avec le juge des enfants, à connaître une situation de délaissement. Il était dès lors peu compréhensible de ne pas lui permettre de saisir directement le juge !
Votre démarche est tout à fait novatrice : elle part de l'enfant et du constat objectif de la carence des parents. Certains freins existent pour engager la procédure, comme l'a montré le rapport de l'IGAS sur le sujet. C'est pourquoi je suis favorable à ce que le rapport annuel de situation, qui doit être élaboré par le service de l'aide sociale à l'enfance pour tous les enfants qu'il prend en charge, soit l'occasion pour les responsables départementaux de faire le point sur l'état de santé de l'enfant, sur son bien-être, sur sa scolarité, mais aussi sur ses relations familiales. De ce point de vue, il est tout à fait pertinent d'envisager une procédure s'il s'avère que les parents se sont abstenus d'effectuer les actes contribuant à l'éducation et au développement de l'enfant.
Je propose aussi de renvoyer à un décret le contenu précis de ce rapport annuel de situation.
Cela étant, tout n'est pas du domaine législatif.
C'est pourquoi je ne suis pas favorable à ce que soit précisé dans la loi qu'un rapport supplémentaire sera rédigé pour les enfants de moins de deux ans. La loi prévoit déjà ce rapport une fois par an, ce qui représente une charge supplémentaire pour les départements. L'élaboration d'un guide de bonnes pratiques me semble plus opportune.
Les dispositions relatives à l'agrément vont également dans le bon sens, notamment en centrant celui-ci sur l'intérêt de l'enfant et sur la prise en compte de ses besoins. Néanmoins, je relève qu'un certain nombre de propositions, au demeurant pertinentes, sont de nature réglementaire.
Je suis particulièrement soucieuse de l'information et de la préparation des candidats à l'adoption. La réussite de celle-ci passe en effet par une préparation de qualité, à la fois sur les dimensions que revêt la parentalité adoptive, mais également sur l'adéquation du projet lui-même au profil de l'enfant. D'ailleurs, les parents, les professionnels de la petite enfance et les conseils généraux présents à la Maison de l'adoption que j'ai visitée hier n'ont pas manqué de soulever ce point. Néanmoins, il me paraît difficile d'imposer aux conseils généraux l'organisation de sessions d'information préparatoires à l'adoption, au risque d'accroître leurs charges comme ils me l'ont fait valoir.
En outre, il faut bien distinguer la phase d'information générale et collective dispensée aux candidats pendant un délai de deux mois, du temps de l'évaluation sociale et psychologique dans les neuf mois à compter de la confirmation de la demande. À cet égard, des référentiels, conçus sous l'égide du Conseil supérieur de l'adoption, ont été diffusés au printemps 2010 à l'ensemble des départements, afin d'inciter à une meilleure préparation des adoptants. Convenez que, même s'ils ne peuvent suffire, ils ont le mérite d'exister. Il conviendra d'ailleurs de s'interroger avec tous les acteurs impliqués – conseils généraux, Assemblée des départements de France, Service de l'adoption internationale – sur la manière dont ils sont appliqués, sur les questions qu'ils soulèvent et sur les améliorations à leur apporter.
La limitation des possibilités de révocation de l'adoption simple est un sujet complexe. Je comprends et partage le souci de développer l'adoption simple, car c'est une réponse qui paraît adaptée dans certaines situations.
Je serai toutefois amenée à soutenir l'amendement de M. Lancelin tendant à supprimer l'article 5 de la proposition de loi, qui porte sur les conditions et modalités de révocation de l'adoption simple. En effet, il ne nous apparaît pas utile de modifier l'équilibre existant entre adoption simple et adoption plénière, sachant que nos concitoyens ont déjà bien du mal à saisir ce qui les distingue. La possibilité de révocation, exclue pour l'adoption plénière, est une spécificité de l'adoption simple et cette procédure est bien encadrée par la loi : elle ne peut être prononcée par le juge que pour « des motifs graves ». Cette notion est appréciée strictement par les magistrats : en 2010, pour 56 demandes, 17 révocations seulement ont été prononcées. Mais, bien que rare, une telle décision peut être opportune et justifiée par une situation familiale particulière, notamment par l'absence de toute relation effective entre l'adoptant et l'adopté, y compris lorsque l'adopté est mineur.
La kafala est une question importante à laquelle je porte une grande attention avec mon collègue Michel Mercier, garde des Sceaux. Une circulaire qui rappelle à l'autorité judiciaire les différentes formes et les effets de la kafala est en préparation à la Chancellerie et sera diffusée très prochainement.
Madame la rapporteure, il n'apparaît pas que cette proposition de loi soit le bon vecteur pour débattre de l'adoption par des couples non mariés, comme vous-même avez eu l'occasion de l'indiquer dans cette enceinte et pendant cette législature. Ce sujet pose évidemment la question des pays d'origine qui n'acceptent pas les postulants à l'adoption non mariés.
S'agissant de l'Agence française de l'adoption, je suis favorable à l'habilitation générale qui lui est donnée pour intervenir en qualité d'intermédiaire pour l'adoption de mineurs étrangers de quinze ans. Il s'agit là d'une mesure de simplification administrative qui évitera notamment à l'AFA, de solliciter l'habilitation du ministère des Affaires étrangères et européennes lorsque son conseil d'administration décidera de s'implanter dans un nouveau pays non adhérent à la convention de La Haye.
La proposition de faire siéger un membre d'un organisme autorisé pour l'adoption (OAA) au Conseil national d'accès aux origines personnelles (CNAOP) est intéressante sur le fond. Néanmoins, une telle mesure risquerait de bouleverser l'équilibre de la composition voulue par le législateur en 2002. C'est une question à envisager avec prudence. Les OAA, que j'ai également rencontrés hier à la Maison de l'adoption de Lyon, ont d'ailleurs été nombreux à se demander lequel d'entre eux pourrait siéger au CNAOP.
Pour finir, je redis tout mon attachement à l'intérêt de l'enfant, à la famille et à l'adoption. Le travail réalisé en vue de ce texte est, selon moi, très satisfaisant. Je voudrais donc vous remercier, chère Michèle Tabarot, pour cette proposition de loi qui vous tient particulièrement à coeur, et vous assurer de mon indéfectible soutien en faveur de la protection de l'enfance et de tous les enfants, qu'ils vivent dans leur famille d'origine ou dans leur famille adoptive.