La Commission européenne a adopté le 28 mars 2011 une communication, intitulé « feuille de route un espace européen unique des transports - vers un système de transport compétitif et économe en ressources », qui constitue le Livre blanc sur les transports.
La lecture de ce document nous a laissé une impression mitigée. Tout d'abord parce que le terme choisi, 2050, apparaît très éloigné et il est probable que les évolutions technologiques majeures ne peuvent pas être prises en compte dans un document à un horizon aussi éloigné. Ceci étant dit, le renouvellement du parc automobile prend une dizaine d'années et il en est de même pour la construction des infrastructures. Or, la dimension environnementale est essentielle dans le travail de la Commission européenne. Il faut néanmoins noter que la Commission européenne procédera à un suivi et à réexamen périodique de ces travaux, ce qui atténue la remarque qui précède.
Les rapporteurs ont peu de critiques à formuler sur les objectifs de la politique de transport voulu par la Commission européenne qui ne peuvent faire que l'unanimité. La réduction drastique des émissions de CO2, l'amélioration de la sécurité routière, l'amélioration du réseau de transport par la création d'axes trans-européens de transport, la lutte contre la congestion urbaine, le développement de l'inter modalité constitue une approche très consensuelle de la politique des transports.
Néanmoins, nous sommes critiques sur trois points essentiels :
- la politique de libéralisation du transport routier, vise à faire baisser les coûts de ce dernier au prix, souvent, d'une « exploitation » des chauffeurs routiers, qui va clairement à l'encontre de l'objectif affiché de promotion de l'intermodalité, car le fer a du mal à rivaliser avec la route ;
- les compétences des Etats doivent être clairement respectées, l'essentiel du trafic sur les routes et les voies ferrées est un trafic national ; il n'est pas complètement évident que le niveau européen soit le plus apte pour définir les travaux devant être réalisés par les autorités nationales ou locales ;
- enfin le coût des infrastructures souhaitées par Bruxelles, plus de 1 500 milliards d'euros sur vingt ans, n'est sans doute pas envisageable dans l'état actuel des finances publiques européennes, nationales et locales. S'il est exact que les infrastructures de transport accompagnent le développement économique, il n'est pas certain, comme l'illustre le cas de certains pays d'Europe du Sud, que la création d'un réseau de TGV ou d'autoroutes soient une condition suffisante à une croissance économique de long terme qui doit d'abord reposer sur la recherche d'activités à forte valeur ajoutée.
L'objectif prioritaire du Livre blanc est de favoriser le développement économique, en renforçant la compétitivité de l'Union Européenne tout en préservant les ressources non renouvelables. Dès lors, si l'enjeu économique domine ce projet, la difficulté réside dans la conciliation, toujours délicate, des objectifs économiques et des impératifs environnementaux et sociaux.
Le diagnostic de la Commission européenne est largement partagé par le parlement et le gouvernement français qui, dans le Grenelle de l'environnement, ont intégré certaines de ses remarques comme l'internalisation des coûts qui a donné lieu à la taxe sur les poids lourds empruntant certains axes. S'agissant de la politique de recherche, la difficulté dans l'élaboration des normes constitue un réel obstacle où la Commission européenne devrait procéder par la voie réglementaire, lorsque les industriels s'avèrent incapables de s'accorder. En effet, la recherche du consensus constitue souvent une faiblesse dans les prises de décision communautaires par, par exemple nous ne disposons toujours pas d'une norme commune pour la recharge des véhicules électriques.
Une autre difficulté, également très réelle, résulte de l'enchevêtrement des compétences entre les différents opérateurs, ce qui retarde considérablement les prises de décision. Le cas du chemin de fer est à cet égard caricatural. La création d'une ligne ferroviaire implique l'accord de réseau ferré de France de l'État, des collectivités locales et de l'Union européenne ainsi que du principal opérateur qui est la SNCF. Il est évident qu'il manque un pilote à cette structure. A défaut de pilote, une planification à long terme constitue sans doute un apport important pour la gestion du système.
La Commission européenne a défini sept domaines d'action dans lesquels des mesures concrètes pourraient jouer un rôle déterminant pour stimuler la conversion du système de transport vers un nouveau modèle: tarification, fiscalité, recherche et innovation, normes d'efficacité et mesures d'accompagnement, marché intérieur, infrastructures et planification des transports
Bien entendu nous ne pouvons que partager ses objectifs, mais avec néanmoins une nuance : dans une démocratie il faut tenir compte des desiderata des citoyens ; or, en particulier en province, il est difficile à nos compatriotes d'abandonner l'usage de la voiture. D'autre part, il ne faut pas que l'Union européenne oublie la nécessité d'une adaptation aux données géographiques. Le réseau de transport en commun ne peut pas avoir la même efficience en milieu urbain ou rural, en plaine ou en montagne.
Parmi les scenarii de la Commission européenne, ceux qui privilégient la composante économique sont sans doute les plus réalistes dans la mesure où la mise en avant de cet objectif devrait s'accompagner de retombées positives dans les autres domaines. Dans le tableau d'analyse d'impact où trois options sont proposées, on voit effectivement que le couplage des intérêts économiques et sociaux est tout à fait possible. C'est plus difficile lorsque l'on essaie de coupler à la fois intérêts économiques, sociaux et environnementaux. D'après ce même tableau, la conciliation des trois s'avère impossible : il faut donc privilégier soit le couple économie-social soit l'option environnementale, l'une ou l'autre de ces options représentant un choix politique. En réalité nous pouvons penser qu'il s'agit d'un faux débat, dépendant d'une vision à plus ou moins long terme.
En effet, à long terme les dépenses générées par les investissements dans les nouvelles technologies, les infrastructures respectueuses de la nature, les véhicules propres, etc, sont vouées à créer des emplois, conduisant, à terme, à une baisse du chômage, une reprise de la croissance et donc un gain économique. Il s'agit donc d'arbitrer entre des dépenses immédiates en vue de gains significatifs par la suite, ou bien entre des économies immédiates synonymes de stagnation économique par la suite.
La Commission européenne a décliné l'objectif général en dix objectifs spécifiques et chiffrés :
1. Assurer le déploiement complet du nouveau système européen de gestion du trafic aérien (SESAR) d'ici 2020 et le déploiement de systèmes équivalents dans les autres modes de transports (ERTMS pour le rail, système de transport intelligent pour la route, services d'information fluviale) ;
2. D'ici 2020, établir le cadre pour un système de transport multimodal intégré (information, achat des tickets, paiement). Diminuer de moitié l'utilisation des voitures conventionnelles dans le transport urbain d'ici 2030 ;
3. D'ici 2050, ces voitures devraient avoir disparu des villes. La logistique dans les principaux centres urbains se ferait d'ici 2030 sans émissions de CO2 ;
4. Mettre en place un réseau central de corridors transeuropéens de transport, multimodaux, d'ici 2030 ;
5. Achever un réseau européen de trains à grande vitesse d'ici 2050. En 2030, la longueur des voies ferroviaires à grande vitesse devrait avoir triplé. D'ici 2050, la majorité des transports passagers de moyenne distance se ferait par rail ;
6. D'ici 2030, faire basculer 30 % du trafic routier de marchandises, sur les distances de plus de 300 kilomètres, vers d'autres modes comme le rail ou la voie fluviale (50 % en 2050) ;
7. D'ici 2050, connecter les principaux aéroports de l'Union européenne au réseau ferroviaire, de préférence à grande vitesse. S'assurer que les principaux ports maritimes soient suffisamment connectés au réseau de fret ferroviaire et, quand c'est possible, au réseau fluvial ;
8. Atteindre les 40 % de carburant faible en émissions dans le secteur aérien d'ici 2050. Diminuer les émissions des carburants maritimes de 40 %, d'ici 2050 également ;
9. Mettre davantage en application le système de « l'utilisateur payeur » et du « pollueur payeur », ainsi qu'une plus grande implication du secteur privé, pour éliminer les distorsions entre les modes, générer des revenus et s'assurer de financements pour les investissements futurs ;
10. D'ici 2020, diminuer de moitié le nombre de blessés sur la route et parvenir à un taux proche de zéro d'ici 2050. Faire de l'Union européenne un « leader mondial » en matière de sécurité et de sûreté des transports aérien, ferroviaire et maritime.