Nous sommes saisis ce matin d'une proposition de loi déposée en février 2010 par le sénateur Raymond Couderc et adoptée le 19 janvier dernier par le Sénat. Ce texte vise à réprimer pénalement les injures publiques et les diffamations publiques commises contre les harkis et, plus généralement – nous verrons que le choix des termes a son importance –, contre l'ensemble des anciens membres des formations supplétives de l'armée française.
Telle qu'elle nous est présentée ce matin, cette proposition de loi modifie la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Mais je vous présenterai tout à l'heure deux amendements visant à dissocier le nouveau dispositif du texte de la loi de 2005, car celle-ci concerne les rapatriés tandis que le présent texte concerne les anciens supplétifs.
Sur le fond, cette proposition de loi vise à répondre aux difficultés qu'ont rencontrées nombre de harkis confrontés à des mises en cause publiques. À cet égard, les propos tenus en 2006 par un ancien président de région ne sont – malheureusement – pas un exemple isolé.
Plusieurs décisions de justice ont, ces dernières années, montré les lacunes de notre droit pénal en matière de protection des harkis et autres supplétifs.
D'abord, lorsqu'une injure est proférée à rencontre d'un groupe, un particulier n'est recevable à agir qu'à la condition de pouvoir prouver qu'il a été lui-même personnellement visé, ce qui est loin d'être évident en pratique.
Ensuite, les harkis ne constituent pas un groupe bénéficiant d'une protection pénale renforcée, telle que celle permettant de réprimer les injures et diffamations commises à raison de l'ethnie, de la race, de la religion, etc. Des associations de défense des harkis se fondant sur ces dispositions pénales ont donc vu, à plusieurs reprises, leurs recours rejetés par la Cour de cassation.
Enfin, s'il existe bien, dans la loi de 2005 sur les rapatriés, une interdiction d'injurier ou de diffamer des personnes « à raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d'ancien membre des formations supplétives ou assimilés », cette interdiction n'est assortie d'aucune sanction pénale.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à remédier à l'ensemble de ces lacunes, en apportant deux innovations.
La première constitue une avancée majeure : pour la répression de l'injure et de la diffamation publiques, telle est qu'elle est prévue par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les formations supplétives seront dorénavant assimilées à l'armée régulière.
C'est une reconnaissance symbolique assez forte de l'engagement de tous ceux qui ont fait le choix de se battre pour la France.
Mais, surtout, une telle disposition aura des conséquences pénales très précises : à l'instar des délits commis envers les armées et, plus généralement, envers les administrations publiques, la diffamation contre les formations supplétives sera désormais punissable de 45 000 euros d'amende, tandis que l'injure sera punie de 12 000 euros d'amende.
Je précise que ces dispositions résultent de l'adoption en séance par le Sénat d'un amendement de M. Raymond Couderc, sous-amendé par la commission des Lois. Initialement, seuls les harkis et les anciens supplétifs ayant servi en Algérie étaient mentionnés dans la proposition de loi, ce qui pouvait poser un problème d'égalité devant la loi, d'autant plus que la protection pénale dont ils auraient bénéficié était calquée sur celle existant contre les atteintes en raison de l'ethnie, de la race ou de la religion.
Au contraire, le texte finalement adopté par le Sénat dispose d'un fondement beaucoup plus solide : c'est parce que les harkis et l'ensemble des autres supplétifs se sont engagés pour la France qu'ils méritent, à l'instar de l'armée régulière, d'être spécialement protégés contre les injures et diffamations publiques. Et c'est d'ailleurs pourquoi mes deux amendements déconnectent ce nouveau dispositif de la loi de 2005 sur les rapatriés.
Deuxième innovation apportée par la proposition de loi : les associations de défense des anciens supplétifs pourront désormais se constituer partie civile en cas de diffamation ou d'injure publique.
Je vous invite à adopter cette proposition de loi ainsi que les deux amendements que j'ai déposés. Ainsi, les harkis et les autres anciens supplétifs ne pourront plus être publiquement injuriés ou diffamés – comme cela a trop souvent été le cas dans le passé – sans que de tels propos soient pénalement sanctionnés. En votant ce texte, nous rétablissons l'équité et faisons oeuvre de justice républicaine.