Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en France, ce n'est pas la nation qui a créé l'État, c'est l'État qui a créé la nation. Le rappeler, ce n'est pas seulement évoquer le passé, c'est surtout expliquer le présent : aujourd'hui comme hier, quels que soient les régimes, si brutaux qu'aient été les sursauts de l'histoire, l'État bénéficie d'un statut d'exception.
Lorsque la Révolution a balayé l'Ancien Régime, l'une de ses premières décisions a été de graver dans le marbre ce qui résultait auparavant de la tradition : le juge judiciaire n'a pas à connaître des affaires de l'État ; autrement dit, l'État n'est pas une personne juridique comme les autres. Sur ce point, la continuité a été sans faille.
Aujourd'hui comme hier, l'État a son propre droit, l'État a ses propres juges. Sa position n'est pas seulement singulière, elle est éminente. Il n'est donc pas surprenant qu'il n'ait jamais été spontanément enclin à développer des relations contractuelles, qui sont, ou qui devraient être, par nature, des relations égalitaires : le droit fiscal ne fait guère de place à ces compromis négociés qui ne choquent personne dans les pays anglo-saxons ; le droit de la commande publique – le terme de « commande » est lui-même lourd de sens – ne s'est ouvert que récemment au dialogue entre le donneur d'ordre et le soumissionnaire ; admirez, là encore, la sémantique.
Quant au droit de la fonction publique, il place les fonctionnaires « dans une situation statutaire et réglementaire », c'est-à-dire qu'ils sont à l'égard de leur employeur dans un rapport unilatéral et donc non contractuel, leur situation dépendant de la règle générale et non d'une rencontre des volontés.
Et pourtant, à toutes les époques, sous tous les régimes, l'État a eu recours à des agents contractuels. Mais il n'en parlait pas, et il s'en occupait peu. Aujourd'hui encore, qui sait – et M. le ministre a eu raison de le rappeler – que les agents non titulaires représentent près de 17 % des effectifs des trois fonctions publiques ?