Certes, le réseau est polyvalent. Il convient d'en prendre acte et d'organiser au mieux cette polyvalence. Les activités sont parfois difficilement compatibles, notamment dans les zones où le RER est en concurrence avec le trafic de fret et avec le TGV. Là où c'est possible, nous avons donc intérêt à séparer ces activités en procédant au cas par cas. Pour le RER B nord, nous l'avons fait, ce qui permet de faire circuler côte à côte des trains omnibus et des trains directs. L'interconnexion Sud des lignes à grande vitesse permet de retirer les TGV de la ligne empruntée par le RER C. La nouvelle liaison directe Paris Normandie permettra de dédier une ligne au RER Paris Mantes-la-Jolie. Mais cette séparation n'est pas possible partout. Il nous faut alors répartir les capacités d'une ligne, les sillons, entre les trains nationaux ou à grande vitesse, les RER et les trains de fret, en définissant des priorités.
Or il n'appartient pas au gestionnaire de l'infrastructure de décider à qui donner la priorité : RFF n'a pas le pouvoir de dire, à lui seul, s'il est plus important de faire passer sur une ligne un TER, un TGV ou un train de fret. Il faut donc en passer par un débat entre toutes les parties prenantes. La difficulté vient du fait que le STIF a compétence pour le TER, mais pas pour le TGV, qui relève uniquement de règlements européens. L'État lui-même est partie prenante en tant qu'autorité organisatrice pour les trains d'équilibre du territoire (TET). Quant au fret, il relève du libre marché. Et il n'existe pas à l'heure actuelle, dans ce paysage institutionnel, d'instance capable de réunir l'ensemble de ces autorités en vue de déterminer des règles d'arbitrage et de priorité ! La question ne semble pas avoir été vraiment traitée dans les débats de ces dernières semaines sur la gouvernance du système ferroviaire, mais RFF souhaite que, dans ce cadre, on ménage un lieu de rencontre où puissent se faire ces choix qui ont un caractère nettement politique. Autrement dit, si nous pouvons, nous, faire valoir des éléments techniques, nous avons besoin d'une gouvernance politique.
Il existe une règle européenne en vertu de laquelle un gestionnaire d'infrastructures qui se voit dans l'incapacité de répondre à la demande de transport dans une zone donnée, peut déclarer cette zone saturée. Cette déclaration, qui doit être adressée au ministre en charge des transports, entraîne cependant deux effets : le gestionnaire doit proposer des investissements propres à régler le problème de capacité, et il doit appliquer les règles de priorité européennes. Or celles-ci font passer les TGV, puis les trains de fret internationaux avant les trains régionaux…
Au vu de certaines situations, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) semble nous pousser à recourir à cette procédure, mais nous souhaitons en débattre avec les autorités publiques – le STIF et l'État – car les règles de priorité que nous serons alors obligés de respecter ne sont pas forcément celles que nous aurions appliquées. Ainsi les TER passeraient au troisième rang : est-ce bien ce que nous voulons ? Cela nécessite de s'accorder.
Cette discussion que nous allons avoir avec l'ARAF, l'État et les régions doit nous amener à une décision : soit celle de respecter la règle européenne, plutôt contraignante, soit celle d'arrêter entre nous d'autres priorités – l'Union européenne ne peut nous en empêcher – en organisant notre propre gouvernance. En effet, si la règle européenne était appliquée, un train allemand, belge ou italien pourrait passer avant un RER. Avant de nous engager dans un schéma juridique qui comporte des avantages mais également des contraintes, je propose donc de mener une réflexion qui pourrait notamment tenir compte des recommandations que pourrait faire votre commission d'enquête.
Le doublement du tunnel Gare du Nord-Châtelet est une opération de très grande ampleur sur laquelle nous n'avons pas encore engagé d'études. Nous allons toutefois le faire, à la demande du STIF. Il faut certes examiner les aspects techniques du projet, mais nous devons également, pour évaluer l'intérêt d'une telle opération et la dimension à donner à l'ouvrage, mesurer l'impact que cette réalisation ne manquera pas d'avoir sur l'ensemble du réseau et du trafic de voyageurs ; et il convient de faire de même s'agissant du Grand Paris. C'est à quoi nous devons prendre attache avec la Société du Grand Paris (SGP), avec la région et avec le STIF. Je ne prétends pas que la réalisation du Grand Paris résoudra les problèmes du RER et rendra ce tunnel inutile. Je considère seulement qu'il faut prendre en compte l'ensemble des données et que les trois grands gestionnaires de projet – SGP, RATP et RFF – doivent se rencontrer pour traiter le sujet de manière transversale.