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Intervention de Eric Berdoati

Réunion du 6 février 2012 à 21h30
Responsabilité civile des sportifs — Discussion après engagement de la procédure accélérée d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEric Berdoati, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre assemblée est appelée à débattre aujourd'hui d'une proposition de loi que j'ai déposée le 24 janvier dernier. Je conviens que les délais impartis peuvent paraître courts, mais les enjeux le justifient ; je profite d'ailleurs de nos débats pour remercier le Gouvernement d'avoir accepté d'inscrire cette proposition de loi dans l'une des ultimes semaines de l'ordre du jour qui lui sont réservées, la procédure accélérée étant de nature à permettre au Parlement de statuer définitivement avant la fin de la treizième législature.

Les enjeux de ce texte sont importants. Ils ne concernent rien de moins que la pérennité de certaines pratiques sportives dans notre pays, qu'une jurisprudence de la Cour de cassation est susceptible de mettre en péril.

Comme toute activité humaine, la pratique sportive implique des risques qui peuvent se concrétiser par une atteinte à l'intégrité physique des pratiquants, des participants ou des tiers. Pendant longtemps, le juge a fait un sort particulier aux sportifs en matière de responsabilité civile délictuelle, au motif que les pratiquants ont connaissance des dangers normaux et prévisibles qu'ils encourent et, de ce fait, les assument. Ce raisonnement juridique était plus connu sous le nom de « théorie de l'acceptation des risques ».

Ainsi, jusqu'à très récemment, les pratiquants sportifs engagés dans une compétition et victimes d'un dommage causé par une chose placée sous la garde de concurrents ne pouvaient invoquer le droit commun de la responsabilité du fait des choses, posé au premier alinéa de l'article 1 384 du code civil, mais devaient au contraire prouver la faute de l'auteur du dommage. Le 4 novembre 2010, la Cour de cassation a mis un terme à cet état des choses, en procédant à un revirement de jurisprudence aux conséquences importantes.

Désormais, en effet, le bénéfice de la théorie de l'acceptation des risques n'est plus admis pour les pratiquants sportifs. Cette position, qui conduit à notablement assouplir les conditions de recevabilité et d'indemnisation des victimes du fait de choses sous la garde de leurs concurrents au cours d'une compétition, emporte des incidences lourdes pour la plupart des organisateurs et des fédérations de sports faisant intervenir des objets, qu'ils s'agisse de véhicules, d'animaux ou d'instruments divers.

La première de ces incidences est le passage d'un régime de responsabilité pour faute à un régime de responsabilité sans faute. Cela signifie concrètement que les victimes n'auront plus à établir la faute du gardien de la chose à l'origine de leur dommage pour pouvoir être indemnisées. Ainsi, la mise en cause juridique des organisateurs d'événements sportifs présentant des risques et des fédérations, seuls soumis à une obligation d'assurance en responsabilité civile aux termes de l'article L. 321-1 du code du sport et en première ligne pour des raisons de solvabilité, sera plus systématique et plus fréquente.

La deuxième conséquence est l'extension de la nature des dommages sujets à réparation. S'ajoutent désormais aux préjudices couverts les dommages moraux et les dommages immatériels. Les indemnisations à payer par les organisateurs d'événements sportifs ou les fédérations s'en trouveront majorées d'autant.

La dernière incidence, liée aux deux premières, est naturellement financière, dès lors que les organisateurs d'événements sportifs et les fédérations devront faire face à un coût beaucoup plus élevé de leurs assurances. Du fait de l'impact de la responsabilité de plein droit sur la sinistralité, les primes d'assurance subiront immanquablement une augmentation très substantielle. D'ores et déjà, le 15 juin 2011, le conseil d'administration du groupement de réassurance pour les manifestations de sports mécaniques a décidé de réviser l'ensemble de ses dossiers de sinistres ouverts et de doubler l'encaissement annuel des primes auprès de ses souscripteurs, dans un délai maximum de cinq ans – soit une hausse annuelle de 20 %.

Il n'est pas exclu, dans de telles conditions, que certains souscripteurs ne soient plus en mesure d'honorer leurs échéances assurantielles et, par voie de conséquence, de continuer leur activité. Cela n'est pas souhaitable pour la diversité des pratiques sportives en France, compte tenu notamment de la popularité des disciplines plus particulièrement concernées.

Le texte dont nous débattons ce soir vise principalement à remédier à la déstabilisation du cadre de la responsabilité civile pour les activités physiques et sportives provoquée par le revirement jurisprudentiel de la Cour de cassation. Son objet est donc ciblé même si – j'y reviendrai – des compléments peuvent y être apportés.

Formellement, la proposition de loi introduit un nouvel article L. 321-3-1 dans le code du sport, afin de revenir à une règle de droit proche de celle antérieure à la jurisprudence du 4 novembre 2010. La nouvelle disposition législative permettra explicitement d'exclure du champ du régime de la responsabilité civile sans faute les dommages causés, à l'occasion de l'exercice d'une pratique sportive sur un lieu dévolu à celle-ci, par une chose dont les pratiquants ont la garde, à l'encontre d'autres pratiquants.

Cette règle spéciale en matière de responsabilité civile délictuelle, qui n'est pas sans rappeler le droit applicable dans de nombreux autres pays, s'imposera aux juridictions judiciaires. Elle permettra d'alléger la contrainte assurantielle des organisateurs d'activités et de manifestations sportives présentant des risques, sans pour autant priver les pratiquants de toute protection, le droit applicable étant celui de la responsabilité civile pour faute, comme avant l'arrêt du 4 novembre 2010.

En outre, l'exclusion de la responsabilité civile sans faute pour les pratiquants d'une activité sportive ne trouvera à s'appliquer que pour les dommages survenus à l'occasion d'une pratique dans un lieu réservé à cet effet de manière permanente ou temporaire. Le régime de la responsabilité sans faute sera, dès lors, de mise pour les accidents entre sportifs du fait d'une chose, en dehors des lieux prévus pour la pratique de leur discipline.

Ces modifications procèdent du bon sens. L'on ne saurait en effet tenir pour responsables, en dehors de toute faute de leur part, les organisateurs de pratiques sportives présentant des risques s'agissant des dommages intervenus entre pratiquants dans les enceintes mises à leur disposition pour s'entraîner ou concourir. Ces pratiquants, dès lors qu'ils s'engagent en connaissance de cause, assument les risques qu'ils prennent ; le législateur, en adoptant la disposition figurant dans cette proposition de loi, ne fera que prendre acte, sur le plan juridique, de cette évidence.

Le 31 janvier dernier, la commission des affaires culturelles et de l'éducation a souscrit à l'objectif recherché, sous réserve d'une clarification rédactionnelle du texte. Depuis, quelques amendements ont été déposés et ils ont fait l'objet d'un examen attentif lors de la réunion organisée au titre de l'article 88 de notre règlement.

La commission des affaires culturelles et de l'éducation n'a pas accepté les amendements qui visent à étendre le dispositif de la proposition de loi aux dommages corporels. Indéniablement, ces amendements concernent un sujet important, mais la solution qu'ils proposent conduirait dans les faits à priver les victimes des dommages les plus graves de leur droit à réparation. Il a paru préférable de privilégier l'aboutissement des travaux interministériels en cours sur la question, lesquels devraient déboucher sur un mécanisme plus équilibré et plus efficace pour les victimes mais aussi les organisateurs d'événements ou de compétitions sportives.

En revanche, la commission a accepté d'étendre les sanctions pénales à l'encontre des revendeurs de billets d'accès aux manifestations sportives au cas des manifestations culturelles et commerciales, en privilégiant le transfert du dispositif dans le code pénal, sous réserve de son alignement sur la rédaction de l'actuel article L. 332-22 du code du sport. Je crois pouvoir assurer notre assemblée que l'amendement de synthèse qui lui est soumis par la commission devrait satisfaire le plus grand nombre de ceux qui, comme votre rapporteur, sont attachés à ce que la revente de titre d'accès à des manifestations, qu'elles soient culturelles ou sportives, obéisse à un minimum de règles et de principes à l'endroit des organisateurs et producteurs.

Au total, il me semble que le texte dont nous débattons ce soir, tout en conservant un objet limité, répondra de manière équilibrée à des attentes légitimes. J'invite donc notre assemblée à conforter la position de sa commission des affaires culturelles et de l'éducation. Je formule également le voeu que le Sénat nous rejoigne sur ces mesures, qui recueillent un large assentiment. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

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