Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir lu cette proposition de résolution, j'ai tenté de comprendre le sens de la démarche qui a conduit à son dépôt. Naïveté ? Hypocrisie ? Révélation divine ? Schizophrénie ? Ce texte est-il « un brimborion hétéroclite, détail perdu d'un ensemble tronqué », pour citer Alexandre Vialatte ? S'agit-il d'un os à ronger ?
Connaissant le nom des cosignataires, tous membres de la majorité présidentielle, je penche plutôt pour un petit coup politique destiné à tenter de faire passer la pilule de dix années d'abandon industriel. Une industrie laminée par dix ans de laisser-faire, avec, à la clé, plus de 700 000 emplois industriels perdus. Une industrie laissée pendant dix ans à l'appétit insatiable des financiers, sans que jamais le Gouvernement y trouve à redire.
Voilà pourtant que, soudainement, la thématique du « produire français » revient sur le devant de la scène. Soigneusement présentée en bel objet de campagne électorale, elle doit cristalliser toutes les attentes.
Au-delà des intentions qui ont conduit au dépôt de ce texte – et que nous pouvons tous partager –, force est de constater que la nécessité, pour le pays, de restaurer une véritable capacité industrielle a été terriblement compromise par la politique de la majorité. Je me souviens des discours gouvernementaux qui, notamment en 2007, exaltaient le tertiaire et les services, présentés comme les nouveaux secteurs porteurs, et les politiques d'externalisation des grands groupes. Cette politique a, certes, été très efficace en termes de croissance financière et de niches de profit, mais elle a été désastreuse pour l'emploi et le tissu des PME dans nos territoires.
Est-il besoin de rappeler les beaux discours que le Président de la République, lorsqu'il n'était que ministre des finances, a tenus sur la production nationale, à l'intention des salariés d'Alstom, de Facom – qui, depuis, a délocalisé – ou de Sediver, qui a été liquidée ? Quant aux envolées du ministre candidat à Gandrange, en 2007, nous en connaissons tous la conclusion. Remarquable réussite du « Fabriqué en France » !
Et que dire des salariés de Fralib, qui ne souhaitent qu'une chose, pouvoir « produire français », mais qui ne trouvent manifestement pas un appui suffisant auprès du Gouvernement pour faire reculer une transnationale comme Unilever qui, en dépit d'une santé financière florissante, a fait le choix de la délocalisation pour engranger toujours plus de profit.
Que dire d'Arkema, né de la réorganisation de la branche chimie de Total, puis vendu, en novembre 2011, à un aventurier de la finance et qui fait aujourd'hui l'objet d'un plan social déguisé concernant 1 780 salariés en France ?
Que dire des 1 650 licenciements de la Comareg-Hebdoprint ?
Que dire des 305 salariés Merck-Organon, à Eragny-sur-Epte, dont les activités de production d'insuline sont indispensables à l'indépendance de la France en matière de traitement des malades du diabète ?
Que dire de M-Real, seule entreprise de France à produire des ramettes de papier, et de ses 330 salariés dans l'attente d'une solution industrielle ?
Que dire des 114 salariés d'Hélio-Corbeil? Des 140 salariés de Preciturn, à Thiers, et de tant d'autres ?
Les discours sont une chose, mais les chiffres sont têtus. Chers collègues de la majorité, les mots peuvent nous unir ; les actes nous divisent.
L'industrie ne représente plus en France que 13 % de la création de richesses, contre 18 % au début de la décennie. En trente ans, la France est passée de 5,3 millions d'emplois industriels à 3,4 millions. L'an dernier, 72 000 emplois ont encore été supprimés.
Je vous invite à méditer cette phrase de Bossuet : « Dieu se rit de ceux qui déplorent les conséquences de faits dont ils chérissent les causes. »
La proposition de résolution ne concerne pas uniquement l'industrie ; son exposé des motifs fait également une large place à la question de l'origine des produits agricoles. Là encore, cela prête à sourire. En effet, depuis cinq ans, chaque fois qu'un projet de loi relatif à l'agriculture a été examiné, j'ai défendu, par voie d'amendement, l'obligation de faire figurer leur origine sur l'ensemble des produits alimentaires, y compris les produits transformés ; chaque fois, je me suis heurté au refus de la majorité et du Gouvernement.
Il y a quelques semaines encore, lors de l'examen du projet de loi sur le renforcement des droits, de la protection et de l'information des consommateurs, j'ai défendu cette exigence, précisant que la loi portant modernisation de l'agriculture et de la pêche avait introduit la possibilité de faire figurer l'indication du pays d'origine pour les produits agricoles et alimentaires et pour les produits de la mer, à l'état brut ou transformé, mais que cette disposition facultative n'avait pas trouvé de traduction réglementaire pour l'ensemble des produits concernés. Or cette obligation permettrait aux producteurs français d'être assurés de l'indication de l'origine de leur production ; nous disposerions ainsi d'un levier contre la spéculation sur les produits alimentaires. Las ! le rapporteur et le ministre m'ont répondu que ma proposition « heurtait de plein fouet le principe de libre circulation des marchandises, au coeur du marché unique européen », que « la règle qui prévaut est le principe de non-discrimination et que si nous […] adoptions [cet amendement], nous aurions un texte contraire au droit européen, donc illégal et inapplicable. » Et le rapporteur d'ajouter : « Malheureusement, l'instauration d'une obligation générale est contraire au droit communautaire. »