Madame la présidente, mes chers collègues, il est clair que l'examen de ce texte est quelque peu précipité mais ceci s'explique par la nécessité de répondre à des difficultés bien concrètes que je vais vous exposer.
Comme toute activité humaine, la pratique sportive implique des risques qui peuvent se concrétiser par une atteinte à l'intégrité physique des pratiquants, des participants ou des tiers. Pendant longtemps, le juge a fait un sort particulier aux sportifs en matière de responsabilité civile délictuelle, au motif qu'ils ont connaissance des dangers normaux et prévisibles qu'ils encourent et, de ce fait, les assument. Ce raisonnement juridique était plus connu sous le nom de « théorie de l'acceptation des risques ».
Ainsi, jusqu'à très récemment, les pratiquants sportifs engagés dans une compétition et victimes d'un dommage causé par une chose placée sous la garde de concurrents ne pouvaient invoquer le droit commun de la responsabilité du fait des choses, posé au premier alinéa de l'article 1384 du code civil, mais devaient au contraire prouver la faute de l'auteur du dommage. Le 4 novembre 2010, la Cour de cassation a mis un terme à cet état des choses en procédant à un revirement de jurisprudence aux conséquences importantes.
Désormais, en effet, le bénéfice de la théorie de l'acceptation des risques n'est plus admis pour les pratiquants sportifs. Cette position, qui conduit à assouplir notablement les conditions de recevabilité et d'indemnisation des victimes du fait de choses sous la garde de leurs concurrents au cours d'une compétition, emporte des incidences lourdes pour la plupart des organisateurs d'événements et des fédérations, dans les disciplines sportives faisant intervenir un ou plusieurs véhicules – sports mécaniques et cyclisme, notamment.
La première de ces incidences est le passage d'un régime de responsabilité pour faute à un régime de responsabilité sans faute. Cela signifie concrètement que les victimes n'auront plus à établir la faute du gardien de la chose à l'origine de leur dommage pour pouvoir être indemnisées. Dès lors, la responsabilité des organisateurs d'événements sportifs à risques et des fédérations, seuls soumis à une obligation d'assurance en responsabilité civile aux termes de l'article L. 321-1 du code du sport et en première ligne pour des raisons de solvabilité, sera plus systématiquement et plus fréquemment mise en cause.
La deuxième conséquence est l'extension de la nature des dommages sujets à réparation. S'ajoutent désormais aux préjudices couverts les dommages moraux – pretium doloris et préjudice esthétique, entre autres – et les dommages immatériels – perte de chance d'obtenir un titre ou un prix, manque à gagner auprès de partenaires commerciaux, etc. Les indemnisations à payer par les organisateurs d'événements sportifs ou par les fédérations s'en trouveront majorées d'autant.
La dernière incidence, liée aux deux premières, est naturellement financière, dès lors que ces organisateurs et ces fédérations devront faire face à des charges d'assurance beaucoup plus élevées. Du fait de l'impact de la responsabilité de plein droit sur la sinistralité, les primes d'assurance subiront immanquablement une augmentation très substantielle. D'ores et déjà, le 15 juin 2011, le conseil d'administration du groupement de réassurance pour les manifestations de sports mécaniques a décidé de réviser l'ensemble de ses dossiers de sinistres ouverts et de doubler l'encaissement annuel des primes auprès de ses souscripteurs, dans un délai maximum de cinq ans, soit une hausse annuelle de 20 %.
Il n'est pas exclu, dans de telles conditions, que certains souscripteurs ne se trouvent hors d'état d'honorer leurs échéances d'assurance et, par voie de conséquence, de continuer leur activité. Ce n'est souhaitable ni pour la diversité des pratiques sportives en France ni au regard de la popularité des disciplines concernées.
La proposition de loi que j'ai déposée le 24 janvier dernier vise à remédier à la déstabilisation du cadre de la responsabilité civile pour les activités physiques et sportives, provoquée par le revirement jurisprudentiel de la Cour de cassation. Son objet est donc volontairement circonscrit.
Formellement, le texte introduit un nouvel article L. 321-3-1 dans le chapitre Ier du titre II du livre III du code du sport, relatif aux obligations d'assurance liées aux activités sportives, afin de revenir à une règle de droit proche de celle qui prévalait avant la jurisprudence du 4 novembre 2010. La nouvelle disposition exclura explicitement du champ du régime de la responsabilité civile sans faute les dommages matériels causés à d'autres pratiquants, à l'occasion de l'exercice d'une pratique sportive sur un lieu dévolu à celle-ci, par une chose dont les pratiquants ont la garde.
Cette règle spéciale en matière de responsabilité civile délictuelle, qui n'est pas sans rappeler le droit applicable dans de nombreux autres pays, s'imposera aux juridictions judiciaires. Elle permettra d'alléger la contrainte assurantielle des organisateurs d'activités et de manifestations sportives présentant des risques, sans pour autant priver les pratiquants de toute protection, le droit applicable étant celui de la responsabilité civile pour faute, comme avant l'arrêt du 4 novembre 2010.
En outre, la responsabilité civile sans faute ne sera exclue que pour les dommages survenus à l'occasion d'une pratique dans un lieu réservé à cet effet de manière permanente ou temporaire, et entrera donc en jeu pour les accidents survenus entre sportifs, du fait d'une chose, en dehors des lieux prévus pour cette pratique.
Ces modifications procèdent du bon sens. L'on ne saurait en effet tenir pour responsables, en dehors de toute faute de leur part, les organisateurs de pratiques sportives présentant des risques, s'agissant des dommages intervenus entre pratiquants dans les enceintes mises à leur disposition pour s'entraîner ou concourir. Ces pratiquants, dès lors qu'ils s'engagent en connaissance de cause, assument les risques qu'ils prennent. Le législateur, en adoptant cette proposition de loi, ne fera que prendre acte, sur le plan juridique, de cette évidence.