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Intervention de Roger Karoutchi

Réunion du 25 janvier 2012 à 17h00
Commission d'enquête relative aux modalités, au financement et à l'impact sur l'environnement du projet de rénovation du réseau express régional d'Île-de-france

Roger Karoutchi :

président de la commission des Finances du conseil régional d'Île-de-France. Les transports publics en Île-de-France représentent un problème constant et permanent.

Depuis que le STIF, longtemps sous la présidence du préfet de région, a été transféré à la région, en 2005, la situation est plus compliquée. Au début des années 2000, j'interpellais déjà la SNCF et la RATP sur leurs responsabilités, d'autant plus grandes que ces deux entreprises publiques et, il faut bien le dire, l'État s'étaient longtemps désintéressés de l'Île-de-France. Durant des années, l'argent des contribuables franciliens a été consacré au TGV ou à des services de recherche de la RATP chargés d'obtenir des contrats en Amérique latine ou encore en Asie, au détriment des investissements nécessaires pour les infrastructures – au point que l'amortissement même du matériel roulant de la SNCF était transféré sur la province, au profit des lignes TGV ou TER. L'Île-de-France a conservé les fameux « petits gris », des trains qui ont désormais quarante ans, et possède des infrastructures usées, qui, elles aussi, remontent à plus de trente ou quarante ans et n'ont été ni rénovées, ni modernisées, ni actualisées entre 1990 et 2004 – ce qui place la droite et la gauche à responsabilité égale. En 2004, le président de la SNCF déclarait lui-même lors d'une audition qu'il n'y avait pas eu d'investissement de la SNCF sur les infrastructures ferroviaires d'Île-de-France depuis dix ans.

L'effort n'est pas nul pour autant. J'ai du reste voté et fait voter le transfert de la compétence à la région, car il vaut mieux que le budget, le contrôle et les travaux soient assumés par des élus responsables.

Entre 1997 et 2005, rien n'a été fait sur le RER A : on s'est contenté d'enregistrer, d'année en année, la hausse de fréquentation – passée de 500 000 voyageurs par jour au début des années 1990 à 1 million, puis 1,1 million – sans modifier les infrastructures. Pis encore, on a commis l'erreur monumentale d'allonger les lignes indéfiniment sans pour autant prévoir de centres de retournement intermédiaires, qu'on aurait pourtant pu prévoir en souterrain à Paris sur certaines portions : sur toutes les lignes, un accident a pour effet de bloquer toute la ligne ! Or, on compte aujourd'hui près de 4 millions d'usagers chaque jour sur l'ensemble des lignes du RER.

En 2003, j'interpellais la RATP et la SNCF en montrant qu'il était irresponsable et coûteux de ne pas mettre en place une gestion unifiée du RER en Île-de-France. Il a fallu quatre ans pour faire comprendre qu'il était aberrant d'arrêter le RER à la gare du Nord pour procéder à un changement d'équipe entre la SNCF et la RATP. Les technostructures des deux entreprises ont du reste trouvé mille bonnes raisons pour se renvoyer mutuellement la responsabilité. Dans un centre de surveillance de la RATP que je visitais, on m'a répondu que la coordination avec le centre de surveillance de la SNCF se faisait en échangeant des coups de téléphone – c'était « farcesque » ! Voilà où l'on en était lorsque les incidents lourds survenus à La Défense ont fini par entraîner une réaction, faisant apparaître – miracle ! – l'utilité d'un centre de surveillance commun sur l'ensemble d'une ligne RER. Sur certaines lignes de la SNCF, il est impossible de faire circuler les rames les plus anciennes de la RATP, de sorte que l'interaction est impossible. De même, les lignes RER sont toutes saturées.

Depuis le transfert du STIF à la région, en 2005, certains schémas directeurs ont été adoptés – celui de la ligne A ne le sera cependant que dans les mois prochains – et des travaux sont prévus dans certaines gares, mais on est encore loin du compte. Il n'y a pas assez d'argent sur la table, mais y en aurait-il que l'on ne pourrait pas pour autant rattraper rapidement quinze ans de retard dans les investissements. En effet, les infrastructures sont usées et le matériel à bout de souffle : il faudrait tout remplacer d'un coup et, au-delà des questions financières, les entreprises partenaires ne sont pas en mesure de fournir le matériel à un rythme soutenu, tandis que la rénovation des infrastructures ne peut se faire que la nuit.

Des mesures sont prises et les travaux démarrent, mais l'argent manque et les projets sont le plus souvent sous-évalués. Ainsi, tous les travaux entamés depuis dix ans connaissent des surcoûts représentant de 20% à 40% du montant des programmes, du fait de la concurrence à laquelle se livrent la SNCF et la RATP pour obtenir les contrats de la région et qui les pousse à sous-évaluer leurs projets. Ce problème s'atténue cependant depuis que le STIF a pris l'initiative de procéder lui-même à certaines évaluations.

Je continue de penser que la coexistence en Île-de-France de deux entreprises de transport public est une erreur et je suis favorable, depuis des années, à la création par la RATP et la SNCF d'une entreprise unifiée de transports publics dans cette région. Alors que la rareté de l'argent public plaide pour l'unification, les deux entreprises se font aujourd'hui concurrence sur des lignes parallèles. À Nanterre-Préfecture, par exemple, on trouve de part et d'autre du même quai le RER et le train. De même, alors que le projet Métrophérique de la RATP – devenu depuis lors le projet du Grand Paris modifié – couvrait huit à dix kilomètres autour de Paris, il existait un projet de la SCNF couvrant un rayon de quinze kilomètres et les deux entreprises ont consacré parallèlement d'importants moyens aux études relatives à ces projets et à l'obtention de l'accord des pouvoirs publics ou du STIF. Si l'on veut unifier les matériels pour réduire les coûts, uniformiser la gestion et la sécurité et disposer de services plus opérationnels, pourquoi ne pas adopter une gestion unifiée des RER ? Le tronçonnage de lignes entre les deux entreprises n'a pas de sens. Il faut opter pour une répartition par lignes entières ou pour une gestion unifiée de l'ensemble du système du RER. La concurrence qui prévaut aujourd'hui est coûteuse. Il convient d'y mettre un terme.

Les élus – quelle que soit leur orientation politique – portent cependant une part de responsabilité dans cette situation, car tout maire d'une commune tant soit peu éloignée de Paris veut qu'elle soit desservie par le RER, ce qui pousse à prolonger les lignes à l'excès. Lorsqu'une ligne est longue de plus de 150 kilomètres et ne comporte pas de pôle de retournement, il est inévitable que le moindre accident ralentisse l'ensemble des trains. Le niveau d'irrégularité est anormal – il était de 5% voilà moins de dix ans et atteint aujourd'hui au moins 20% selon les chiffres officiels de la SNCF et de la RATP, voire 50% selon le « ressenti » des usagers.

Par ailleurs, comment la saturation du réseau diminuerait-elle, dès lors que les logements sont à l'Est et les activités à l'Ouest ? L'élu des Hauts-de-Seine que je suis ne voit certes aucun mal à ce que le pôle de La Défense continue de se développer – car ce n'est pas en tuant les moteurs qu'on créera de l'activité, mais en créant d'autres moteurs. Ce développement va cependant continuer à attirer des actifs de l'Est, accentuant la saturation. L'automatisation de la ligne 1 et la prolongation d'Éole jusqu'à La Défense afin d'alléger la charge du RER A sont peut-être des solutions. Toutefois, ce dernier projet ne verra le jour qu'à l'horizon 2020. Le dédoublement de la ligne 1 a été envisagé, mais le coût en serait colossal. Quant au tunnel entre Châtelet-Les-Halles et Gare du Nord, le Syndicat des transports parisiens (STP) – devenu depuis le STIF –, que j'ai interpellé à ce sujet voilà des années, m'a répondu qu'il était impossible. Il a fallu qu'un chef de ligne du RER me révèle qu'on m'avait menti et que le projet, bien que coûteux, était réalisable, pour qu'on en arrive à lancer des études. Si l'on veut plus de régularité sur les lignes B et D, il faudra bien dédoubler ce goulot d'étranglement.

La collectivité régionale, le STIF et les entreprises consacrent aujourd'hui plus d'argent à l'Île-de-France qu'elle n'en a reçu entre 1990 et 2005. Le processus sera cependant très long. Pour le seul RER A, une première tranche est prévue jusqu'à 2014 et une deuxième jusqu'à 2017, et il faudra au moins dix à douze ans pour disposer de matériels modernes et performants sur les autres lignes. Aura-t-on les moyens de poursuivre régulièrement l'investissement sur une telle durée ?

Le plan d'urgence – que j'ai voté – est cher et ce ne sont certainement pas les ressources dont dispose aujourd'hui la région qui permettent de le financer. Les 250 millions d'euros par an que pourrait dégager, au maximum, l'augmentation du versement transport (VT) serait loin de couvrir les 500 à 600 millions d'euros supplémentaires qui seraient nécessaires chaque année pour maintenir le système. Il est certes légitime, compte tenu de l'insatisfaction des usagers, de vouloir moderniser l'existant, mais on ne prévoit pas suffisamment la suite. Face à l'accroissement des déplacements et à la politique de Paris et de la région visant à dissuader le recours à la voiture, la « double boucle » prévue au titre du Grand Paris ne suffit pas. Il faut consacrer beaucoup plus de moyens aux transports publics.

J'ai déjà proposé, à plusieurs reprises, que la région se concentre sur ses activités essentielles, notamment sur les transports publics – ce qui supposerait qu'elle abandonne certaines de ses autres politiques, économisant ainsi 200 ou 300 millions d'euros. Une politique globale d'aménagement du territoire est nécessaire, englobant les routes et les voies ferrées et définissant la répartition du financement entre les entreprises, les collectivités et l'État. Actuellement, les tables rondes ne sont ni cohérentes, ni suffisantes : on limite le désastre, mais on ne l'empêchera pas. Faute de mettre en place d'ici trois ou quatre ans une entreprise unifiée et une politique conventionnelle avec l'État beaucoup plus lourde et plus responsabilisée, les mêmes problèmes se poseront à nouveau.

Je le répète, je suis très inquiet face à l'état des transports publics. Nous avons pris quinze ans de retard. Nous sommes incapables de rattraper ce retard d'un coup ! Les usagers sont exaspérés. Ils ne comprendront pas que, tout en montrant qu'on a pris en considération leur exaspération, on n'ait pas de solution plus rapide.

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