Madame Catherine Lemorton, vous évoquez à juste titre les pays en difficulté, mais il existe un certain nombre de pays qui se portent mieux. En Colombie, M. Àlvaro Uribe a trouvé un État détruit, où Pablo Escobar était quasiment aux commandes. Il a réussi à reconstituer un État de droit et une force de sécurité qui, petit à petit, a gagné des parts de marché sur les criminels, qu'il s'agisse des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ou d'organisations terroristes devenues des organisations criminelles. Voilà un modèle de reconstruction d'État !
Dans tous les pays frappés par le phénomène, on ne pourra regagner les coeurs et restaurer la sécurité uniquement par une coopération militaire ou policière. En Guinée-Bissau, il faut une prison civile, ainsi que des juges qui ne libèrent pas les criminels et dont on puisse garantir la sécurité. Mais on peut regagner du terrain pour une raison économique simple : le paysan qui cultive la coca, le pavot ou le cannabis est souvent exploité et profite en réalité très peu de sa production. Une mobilisation suffisante de la communauté internationale suffirait pour substituer à la production de produits stupéfiants une production de céréales, par exemple, transformant ainsi une économie malsaine en économie saine. Ces économies de substitution peuvent être développées grâce aux budgets européens.
Nous devons donc reconstituer les États. Avec l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime et l'Union européenne, nous avons la volonté de développer cette « capacity building », c'est-à-dire de restaurer la capacité des États à être des États. Car ce n'est pas la drogue qui détruit les États : elle n'est qu'un révélateur de leur faiblesse. Dans certains pays qui se trouvent au coeur de l'actualité, les organisations criminelles se sont installées du fait d'un vide gouvernemental.
Concernant l'harmonisation des législations, nous nous heurtons à deux difficultés.
La première vient de ce que certains pays ne sont pas construits comme le nôtre. Dans les États fédéraux, en matière de salles d'injection, les compétences peuvent être régionales, voire locales, et on y observe parfois une très grande disparité entre les politiques mises en oeuvre. C'est le cas en Allemagne, où la politique de tel Land diffère de celle de son voisin. En Suisse, les cantons de Vaud et de Genève, pourtant peu éloignés l'un de l'autre, ne mènent pas du tout la même politique.
Seconde difficulté : le respect de la loi n'est pas le même partout. On trouve des lois « dures » associées à des pratiques « molles », et des pratiques « dures » associées à des lois « molles ». Dans ces conditions, il est très difficile pour l'observatoire d'évaluer la réalité. C'est pourquoi nous essayons de mettre en place des dispositifs minimaux. C'est ainsi que des pénalités minimales obligatoires ont été instituées sur le plan européen, obligeant chaque État à condamner les trafiquants à des peines planchers, ce qui n'était pas le cas par le passé. Cela traduit une évolution.
En outre, les mots n'ont pas partout la même signification. Dans certains États, une sanction administrative ressemble étrangement à ce que nous appelons une sanction pénale : la responsabilité a été transférée de la robe noire du magistrat à la blouse blanche du médecin, mais la sanction de privation de liberté existe tout autant. Il faut donc bien dégager les vraies différences. Nous disposons en Europe du groupe horizontal « Drogue » et du pacte européen contre la drogue : c'est bien, mais le meilleur moyen de convergence reste la population. Ce qui se passe aux Pays-Bas n'a rien à voir avec les mauvais compliments que la France adresse depuis trente ans à la politique de tolérance néerlandaise, mais doit être rapproché de l'attitude des citoyens néerlandais à l'égard de cette politique.
Nous devons être positifs, avancer vers ce qui nous rassemble et ne pas nous arrêter sur nos différences.
Les choses sont plus complexes avec les pays qui ne partagent pas notre sentiment d'urgence, dont certains d'ailleurs ne se trouvent pas à l'autre bout du monde. L'observatoire ne peut les mentionner, sous peine de se fâcher avec tous ces pays, mais il existe en Europe de gros différentiels de consommation. La France possède des frontières communes avec des pays qui comptent un million de consommateurs, tant à l'est, au sud-est, au sud-ouest qu'outre-Manche. En matière de trafic de cocaïne, par exemple, notre pays se trouve au centre d'une turbulence importante, car les substances doivent être véhiculées et la France est un grand pays de transit. L'avantage pour notre pays est que ces fortes consommations nous protègent. Nous sommes un peu dans la situation de l'appartement qui se trouve sur un palier en comptant plusieurs, mais qui seul possède une porte blindée. Cela dit, ceux de nos départements situés à la périphérie de ces pays – les Alpes-Maritimes et les Pyrénées-Orientales – enregistrent des consommations importantes. La situation sécuritaire de ces pays devra être réexaminée car ils sont victimes d'organisations criminelles qui se sont installées sur leur territoire afin d'alimenter toute l'Europe en produits stupéfiants. Nous devrons sans nul doute avancer, dans le cadre des discussions que nous menons à Bruxelles, sur le plan des conséquences sécuritaires et sanitaires des politiques qui sont menées par nos voisins.