De très intéressants changements de stratégie ont émergé en Europe, par exemple en Écosse, mais aussi en Angleterre, dont la stratégie est désormais plus conforme à celle de la France.
D'autres pays évoluent, comme les Pays-Bas, où le débat a conduit certaines autorités locales à souhaiter voir réservée la fréquentation des « coffee shops » aux seuls résidents réguliers. En outre, la distinction entre la consommation des majeurs et celle des mineurs y est désormais plus claire. Nous attendons la nouvelle stratégie de ce pays, qui doit nous conduire à être très prudents dans nos propositions.
La Californie, après un débat important, a renoncé à légaliser la production et la consommation du cannabis. On peut cependant se demander si ce n'est pas ce débat qui a abouti à faire croire aux jeunes Américains que le cannabis n'était pas si dangereux, alors que sa consommation avait baissé de 25 % ces dernières années aux États-Unis.
Autre évolution au plan mondial : les distinctions subtiles entre pays producteurs et pays consommateurs s'amenuisent considérablement. En effet, si les drogues chimiques sont plutôt l'apanage de pays développés, leur consommation se développe dans les pays asiatiques. En outre, les pays producteurs deviennent des pays consommateurs. Le débat international reposant sur l'idée d'un partage des responsabilités plutôt au débit des pays riches est donc en train de changer, sachant que les pays producteurs disposent de beaucoup moins de moyens pour se défendre. On compte un million d'héroïnomanes en Afghanistan, entre trois et quatre millions au Pakistan. Ces pays sont désormais tout autant victimes que nous de leur production. Au Sénégal, en Guinée et Guinée-Bissau, et maintenant au Maroc et en Algérie, la route de la cocaïne déverse aussi des drogues parmi les populations.
Nous devons impérativement, dans le cadre de nos coopérations, mettre nos savoirs – en particulier en matière de réduction des risques – à la disposition de ces pays. Pour ce faire, le Groupe Pompidou est très attaché à tenir compte de la présence, dans le cadre de la « Grande Europe », de trente-cinq pays fort différents les uns des autres en termes de culture, tels que l'Allemagne, la Russie, l'Ukraine ou la Biélorussie.
Le Groupe Pompidou, dont la France a accepté de prendre la présidence, réunit en effet trente-cinq États : les vingt-sept membres de l'Union européenne, auxquels s'ajoutent, notamment, la Russie, la Suisse, la Turquie, l'Azerbaïdjan, l'ancienne république de Macédoine et la Serbie. Des accords d'association avec d'autres pays riverains – Maroc, Tunisie, Liban, Égypte et Jordanie –, notamment dans le cadre du réseau méditerranéen MedNet, permettent de mettre en place des dispositifs de formation, voire des échanges de savoir en matière de soins.
Le Groupe Pompidou permet de promouvoir une politique équilibrée, identique à celle de l'Union européenne, privilégiant à la fois la prévention, le soin et la lutte contre les trafics, et ce dans une franche affirmation du respect des droits de l'homme.
Le Groupe Pompidou a été à l'initiative de la création de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, repris par l'Union européenne. Nous souhaitons, dans le cadre de la présidence française, appuyer le caractère équilibré des politiques à mettre en oeuvre, mais aussi développer une logique d'observatoire pour tous ces pays, beaucoup d'entre eux ignorant les dangers qui les guettent : les trafics, mais aussi les conséquences désastreuses de l'usage des drogues.
La Russie, située sur la route de l'héroïne, est très désireuse de nous sensibiliser sur les dangers qu'elle court, mais également sur les possibles partages de savoir, notamment en matière de substitution et de traitement judiciaire.
Certains États membres du Groupe Pompidou, comme la Bosnie-Herzégovine et la Serbie, disposent d'une panoplie étoffée d'outils de prise en charge des toxicomanes : programmes de substitution, d'échanges de seringues, communautés thérapeutiques. D'autres ont peu de moyens ; c'est le cas de la Macédoine, du Monténégro et de l'Albanie. D'autres encore s'interrogent sur les dispositifs à mettre en place. À cet égard, une des difficultés réside – comme pour toutes les enceintes – dans notre incapacité à définir les limites des concepts que nous employons. Cela renvoie d'ailleurs au débat national sur le regard des Français sur les dispositifs de réduction des risques. Certains pays fonctionnent comme le nôtre : s'ils estiment le concept précis, ils seront favorables aux échanges de seringues et à la substitution, mais s'ils se rendent compte que ces dispositifs s'accompagnent de l'existence des salles d'injection supervisées ou de la prescription médicalisée d'héroïne, ils feront un blocage et seront contre, et tout le dispositif de réduction des risques sera alors remis en cause.
Au sein de l'Organisation des Nations Unies, le même débat existe entre les partisans d'une définition des termes et ceux qui y sont opposés, souhaitant ne pas voir obérées les mesures mises en place à titre plus ou moins expérimental par certains pays. Je pense donc qu'il sera important à l'avenir de définir les termes employés.
Sans citer de pays, je dirai que toutes les expérimentations sont menées dans le monde, mais que toutes les politiques ne se valent pas. De ce fait, parmi les pays où la consommation de drogue est très importante, certains enregistrent un taux de transmission des maladies très élevé, alors que d'autres, beaucoup plus tolérants, connaissent une situation sanitaire moins grave. Il faut donc arriver à mettre en place des consensus minimaux : c'est ce à quoi la France va s'employer.
Les salles d'injection et les échanges de seringues en prison sont des dispositifs très minoritaires. Nous ne pouvons pas, dans des enceintes internationales comme le Groupe Pompidou ou le groupe horizontal « Drogue », penser que nos convictions sont obligatoirement partagées. Si nous voulons faire partager nos convictions sur certains dispositifs faisant consensus, comme l'échange de seringues et la substitution, il nous faudra avoir des ambitions plus raisonnables.
Il importe de considérer le phénomène au-delà du seul point de vue national. Pour passer beaucoup de temps dans les enceintes internationales, je sais que notre communauté scientifique souhaite voir mises en oeuvre des politiques fondées sur des preuves scientifiques. Cela implique de mettre en place des dispositifs destinés à recueillir l'opinion des populations sur les mesures existantes. L'enquête sur les représentations, opinions et perceptions sur les psychotropes est une des rares qui existent à l'échelle européenne. L'Italie a, certes, organisé un référendum sur la politique de dépénalisation, mais très peu de pays réalisent ce genre d'enquêtes d'opinion.
Je suis très heureux que ce débat ait lieu et que la presse y participe, car nous devons aussi progresser dans le domaine de l'information des populations pour faire de la lutte contre la toxicomanie un vrai sujet de société. Cette évolution répond aux souhaits des membres du Groupe Pompidou, au même titre que le partage des politiques en matière de prévention. Un clip antidrogue européen, réalisé à l'initiative du Groupe Pompidou, a été diffusé par ARTE et par plusieurs chaînes internationales. Sous la présidence française de l'Union européenne, nous avons proposé à nos amis européens de partager quelques films de prévention, mais nous nous sommes heurtés à des questions juridiques, liées à la protection du droit à l'image.
Sachant qu'un grand nombre de Français regardent de nombreuses chaînes de télévision, nous devrions utiliser nos dispositifs de prévention de manière plus complète. Nous allons essayer de le faire grâce au Groupe Pompidou car celui-ci a la chance, en tant que groupe d'États, de ne pas dépendre, comme nos amis de l'Union européenne, de mécanismes compliqués tant sur le plan politique que sur le plan financier. Au Groupe Pompidou, ce qui est décidé le 1er janvier peut être mis en place avant le 31 décembre.
Le Groupe Pompidou propose un certain nombre de formations : une formation d'addictologue nous a permis de proposer la substitution au Maroc, ce qui n'était pas facile dans un pays du Maghreb. En Algérie, nous proposons une formation commune destinée aux magistrats, aux éducateurs et aux policiers. Nous souhaitons, avec l'aide de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, mettre en place à très bref délai des observatoires dans chacun de ces pays ainsi qu'un observatoire méditerranéen, qui pourrait être situé à Lisbonne.