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Intervention de étienne Apaire

Réunion du 19 janvier 2011 à 16h15
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

étienne Apaire, président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, MILDT :

Dans certains domaines éthiques, l'expérimentation n'est pas possible. Il faut choisir. Le Gouvernement est hostile aux salles d'injection. Il n'est pas question que nous nous lancions dans une expérimentation alors que nous disposons déjà d'autres solutions. À Vancouver, alors que les autorités locales avaient commencé à réfléchir sur la fermeture de la salle, il leur a été objecté qu'elles allaient répartir de nouveau dans la ville les usagers qui y affluaient en masse. C'est cette raison qui a entraîné le maintien de ce centre expérimental.

Par ailleurs, monsieur Michel Heinrich, si, dans une ville, la localisation des personnes en situation précaire n'est pas connue, l'implantation future du centre, quant à elle, est assez prévisible. Si une salle d'injection est installée à Paris, elle le sera rue de la Goutte-d'Or plutôt que place du Palais-Bourbon. Des associations pourront alors se plaindre de la « ghettoïsation » supplémentaire que créera pour eux cette implantation, laquelle leur amènera des personnes sans aucun avenir, puisque cette solution ne permet pas de sortir de l'usage des stupéfiants.

L'expérimentation des salles d'injection n'est donc pas une réponse.

Par ailleurs, les termes du débat ne sont pas les mêmes qu'en 2006. Depuis lors, des alternatives ont été mises en place. Aujourd'hui, 330 millions d'euros sont consacrés aux soins aux usagers qui s'injectent de la drogue, et 15 millions de seringues sont distribuées chaque année. Aux salles d'injection, nous pouvons opposer la méthadone, la BHD, une communauté d'addictologues, un dispositif de soins des plus performants. Il est possible de sortir de la drogue. Encore faut-il que ceux qui en sont dépendants acceptent de fréquenter les centres prévus pour les y aider.

Monsieur Patrice Calméjane, monsieur Philippe Goujon, voilà trente ans que je suis au contact des usagers de drogues. J'en ai reçu des milliers au parquet de Paris au titre des injonctions thérapeutiques.

Par ailleurs, madame Michèle Delaunay, je ne crois pas qu'il faille opposer l'Académie nationale de médecine aux addictologues : des regards complémentaires sont nécessaires.

C'est parce que j'ai admis la politique de réduction des risques et que j'accepte les échanges de seringues et la substitution – solutions pour empêcher la mort – que je ne suis pas obligé d'accepter les salles d'injection. Pour moi, elles ne sont pas des solutions. L'instrument pour privilégier une vie la plus libre possible est la substitution, et celui qui permet de lutter contre la diffusion du VIH est l'échange de seringues.

En revanche, il ne faut pas s'enfoncer dans l'accompagnement de l'injection. Un médecin ne pourra pas ne pas se poser la question de ce qui est injecté à l'issue de la fréquentation de la salle. Cette problématique nous amènera rapidement à celle de l'héroïne médicalisée, c'est-à-dire à la prescription par l'État, dans des structures sanitaires, de drogues qui seront ensuite remboursées par l'assurance maladie. Certes, l'Allemagne pratique ainsi ; mais la France n'est pas obligée de reprendre à son compte toutes les bizarreries expérimentales conduites à travers le monde. Nul n'est obligé de partager le projet de société auquel correspondent les salles d'injection. Même si je peux comprendre que certains puissent y être favorables, j'y suis personnellement hostile. La contagion n'est pas telle que nous soyons obligés d'y avoir recours.

Deux types de propositions sont sur la table pour les personnes en situation de grande précarité.

D'abord, qui sait où elles sont localisées ? Pourquoi choisir Paris ou de grandes villes pour ouvrir des salles d'injection ? La grande précarité se développe fortement en milieu rural.

Les personnes qui fréquentent les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues sont plutôt en situation de comorbidité, consommatrices de cocaïne, et aussi, dans une proportion non négligeable, empêchées de fréquenter des centres de soins du fait d'une situation administrative irrégulière, notamment du fait de l'absence de papiers. Il faut d'abord envoyer des personnels de santé à leur contact. À Bordeaux, le préfet Dominique Schmitt a proposé d'envoyer des équipes de psychiatres là où les malades peuvent être en crise.

Le recours à la méthadone me semble préférable au recours à la BHD : il engage beaucoup mieux le patient dans un dispositif de soins. Les modalités de prescription de la méthadone, beaucoup trop rigoureuses et encadrées, devraient être simplifiées. Des bus mobiles permettant d'aller au contact des plus précaires pourraient être mis en place.

Un travail social doit aussi être conduit. On l'a vu avec le « Plan crack » à Paris : des personnes en très grande précarité peuvent être soignées dès lors qu'un toit et une certaine sécurité les « décollent du bitume », pour reprendre une expression de M. Xavier Emmanuelli. Il faut aller vers elles pour les ramener dans une vie où il sera possible de se préoccuper non seulement de leur intégration, mais surtout de leur situation psychique et des soins à leur apporter.

Monsieur le rapporteur, si des centres d'injection étaient mis en place, la MILDT ne pourrait pas les contrôler. Un dispositif de coopération interministérielle n'a aucune autorité sur la prescription de soins. Personne n'a le droit d'interférer dans la relation entre un médecin et son patient.

Pour en revenir à l'enquête de l'INSERM, certes un médecin peut considérer que la prescription de BHD n'est pas un vrai traitement médical. Il reste que la France a développé ce traitement comme tel. Le médecin qui le prescrit n'a aucune raison de se comporter comme une mécanique à distribuer des produits de substitution ; il inscrit bel et bien son malade dans un parcours de soins.

La lecture de la page 219 du rapport de l'institut montre que très peu d'usagers référencés dans les centres de soins entrent dans un parcours de soins. C'est assez logique : ils fréquentent ces salles d'injection non pour prendre un contact avec un professionnel du soin, mais simplement pour s'injecter ou « sniffer » le produit de leur choix dans un environnement sanitaire plus favorable.

Faute d'autre solution, j'admettrais l'intérêt de ces salles. Mais notre politique de pénalisation nous semble de nature à réduire les usages.

Par ailleurs, monsieur le coprésident François Pillet, monsieur Philippe Goujon, nous sommes liés par des conventions internationales. Prohibant la consommation de ces substances, elles ne nous incitent guère à nous lancer dans des expérimentations contraires à la loi. Alors que la communauté internationale compte cent quatre-vingt-dix pays, seules quelques villes, quelques régions, qui se comptent sur les doigts des deux mains, ont mis en place ce type de dispositif.

La MILDT va en revanche continuer à construire des communautés thérapeutiques. Elle ne reviendra pas sur la substitution. Elle est consciente du trafic de BHD : avec la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, elle a essayé de sécuriser les ordonnances afin de l'éviter.

Lorsque j'ai demandé quelle durée de traitement avait été prévue par l'autorisation de mise sur le marché de la BHD, il m'a été répondu que personne n'avait demandé au laboratoire d'y réfléchir. Pourquoi ? Le traitement est-il à vie ? La question ne mériterait-elle pas d'être posée ?

Les 10 % du fonds de concours au profit de la prévention s'ajoutent au budget de la MILDT, aujourd'hui de 22 millions d'euros par an, pour réaliser les campagnes télévisuelles et organiser des actions, notamment dans les écoles.

Nos enfants ont tous assisté, dans leur collège ou leur école, à une conférence d'un gendarme, d'un policier ou d'un représentant d'association. Ces actions de sensibilisation sont-elles utiles ?

Une vérification des connaissances auprès des enfants et de leurs parents sur les dangers des drogues et sur la loi qui s'applique à celles-ci a fait apparaître une maîtrise du sujet par les jeunes supérieure de 10 % au moins à celle de leurs parents. Nous en concluons que, ces dernières années, notre politique de prévention a négligé d'informer les adultes qui entouraient les jeunes. Pour combler cette lacune et faire en sorte que les adultes puissent répercuter nos messages, nous avons développé un dispositif dans leur direction. Il s'agit de les rencontrer dans les entreprises, les maisons d'emploi ou les mairies pour leur donner les éléments d'un discours clair vis-à-vis de leurs enfants.

Comment expliquer les distorsions entre l'accroissement du trafic et les chiffres positifs en matière de réduction de la consommation ?

Les organisations de trafiquants sont internationales et très riches. Leur chiffre d'affaires n'est pas entièrement réalisé en France.

Nous savons aussi que, malgré l'efficacité de notre action et la diminution de la consommation, chaque département français abrite deux ou trois grossistes en cannabis – il n'a pas été réalisé d'étude pour les autres drogues –, dont le chiffre d'affaires est compris entre 250 000 et 500 000 euros par an. Cette situation n'est du reste pas sans impact sur le débat relatif à la dépénalisation.

Or, ces grossistes ne sont pas spécialisés. Tous les produits les intéressent. Lorsqu'ils constatent une baisse de consommation d'un produit, ils essaient d'en lancer un autre. À cet égard, nous avons déjà évoqué le GBL et les nouvelles drogues synthétiques.

En admettant – hypothèse hautement improbable – que le Gouvernement légalise la production de cannabis, du jour au lendemain les organisations criminelles essaieraient aussitôt de diffuser un autre produit.

Autrement dit, la diminution de la consommation d'un produit peut être contrebalancée par l'augmentation du trafic d'un autre, et donc ne pas être incompatible avec un maintien à haut niveau du chiffre d'affaires des trafiquants.

Fait nouveau cependant, le législateur – autrement dit l'Assemblée nationale et le Sénat – a récemment fourni aux forces de police et à la justice des outils leur permettant de s'attaquer franchement au patrimoine des trafiquants. Alors qu'autrefois confisquer le patrimoine d'un trafiquant était extrêmement difficile, le dispositif adopté – à l'unanimité, me semble-t-il – à l'initiative du président de la Commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Jean-Luc Warsmann, va rendre l'opération beaucoup plus simple pour les magistrats.

Enfin, si vous décidiez d'encourager le Gouvernement à s'engager dans des voies qu'il ne souhaite pas suivre, pourriez-vous faire l'économie d'un débat parlementaire ? Dans tous les pays où l'usage a été libéralisé, la décision a été précédée par un tel débat. L'Italie a même organisé un référendum ! Sans doute ne faut-il pas toujours suivre l'avis de la majorité : cette décision a mis l'Italie dans une situation invraisemblable, avec des taux de consommation énormes. Il reste que le peuple s'est prononcé.

Tous les parlementaires sont la voix de la France ; les faire débattre, si nécessaire, sur ce sujet ne me paraît pas complètement absurde. En tout état de cause, une telle proposition ne saurait pouvoir être négociée sur un coin de table, dans un bureau, à Matignon : elle doit être l'expression de la volonté de chacun.

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