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Intervention de étienne Apaire

Réunion du 19 janvier 2011 à 16h15
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

étienne Apaire, président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, MILDT :

Lutter contre la drogue, c'est certes prévenir les usages, combattre les trafics, soigner, mais également mener la vie dure aux idées fausses : ainsi, il ne serait pas possible de soigner et de se soigner, rien ne serait fait contre les grands trafiquants, la drogue serait une fatalité qu'il faudrait accepter, certains usages en seraient raisonnables, seules leurs conséquences néfastes devraient être combattues et la dépénalisation ou la légalisation de l'usage seraient inévitables.

Pourtant, si toutes les politiques peuvent être légitimes, toutes n'entraînent pas les mêmes conséquences. Selon certains, le nombre d'usagers de drogues n'a aucune importance au regard de leur prise en charge sanitaire ; pour d'autres, l'enfer réside dans l'asservissement à la drogue et il faut tout faire pour l'éviter. Les questions qui se posent ne sont donc pas seulement techniques, mais aussi éthiques. En outre, si des convergences se font jour entre différents pays, chaque gouvernement est responsable des conséquences des politiques qu'il met en oeuvre.

Avec cette mission d'information, qui permettra de clarifier les différentes problématiques auxquelles nous sommes confrontés, vous faites d'autant plus oeuvre utile que le monde change et que les trafics et les usages de drogue n'échappent pas à la règle : de nouvelles drogues apparaissent tous les mois, la disponibilité de la cocaïne et de l'héroïne augmente, une partie de la jeunesse est de plus en plus vulnérable. Les sujets qui alimenteront vos réflexions dans les semaines à venir sont nombreux et je ne doute pas que vous contribuerez à inspirer utilement les travaux de préparation du prochain plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies pour la période 2012-2016.

Je suis d'autant plus ravi de m'exprimer devant vous que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer les différentes politiques qui ont été menées devant les commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat ainsi que devant la commission des affaires sociales de la Haute assemblée : en effet, il n'y a que des avantages à rappeler que c'est la drogue qui est interdite, non le fait d'en parler. Tous les décideurs, et a fortiori le législateur, doivent pouvoir évoquer ce problème à l'instar de tous les autres.

La Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) est le bras armé du Gouvernement s'agissant des politiques de lutte contre la drogue puisqu'elle prépare les décisions qui sont prises et veille à la façon dont elles sont appliquées : chaque fois que l'un de ses responsables s'exprime, c'est en fait pour énoncer la politique gouvernementale mise en oeuvre. En l'occurrence, les arbitrages sont rendus par le Premier ministre et les politiques menées le sont en son nom, dans le respect des instructions données par le Président de la République. Plus spécifiquement, les vingt et un départements ministériels qui sont concernés témoignent de l'importance du dispositif gouvernemental. C'est 1,5 milliard d'euros qui est consacré à la lutte contre la drogue et la toxicomanie, somme correspondant d'ailleurs à peu près au chiffre d'affaires des trafiquants, le seul trafic du cannabis leur rapportant 900 millions d'euros. Plus précisément, 529 millions d'euros sont dédiés à la prévention et à la recherche, 620 millions d'euros à la lutte contre les trafics et 335 millions d'euros à la prise en charge sanitaire des toxicomanes, une telle répartition attestant éloquemment du caractère équilibré de notre politique.

Le Gouvernement poursuit des objectifs clairs : faire reculer les usages en clarifiant le discours public, lequel doit rappeler l'interdit pesant sur l'utilisation des drogues illicites et le caractère nécessairement limité de la consommation d'alcool et de tabac en fournissant les informations nécessaires à la prise de conscience des dangers sanitaires et sociaux de ces drogues ; réduire ou retarder les expérimentations de consommation de stupéfiants par les plus jeunes en cessant de penser que ces derniers s'éduquent eux-mêmes : le premier agent de prévention n'est en rien un autre jeune, qu'il soit fonctionnaire ou membre d'un réseau associatif, mais un adulte et, notamment, les parents dès lors qu'ils ont pu bénéficier des bonnes informations.

Nous souhaitons également promouvoir une meilleure politique de soins et réduire les risques associés aux usages de drogue. Ce point n'est pas assez connu mais, en matière de lutte contre les addictions, la France dispose d'un système original articulé autour de structures médico-sociales spécialisées, anonymes et gratuites pour certaines. Aux 440 structures spécialisées dans le soin – les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) résultant de la fusion entre les centres spécialisés dans la prise en charge des alcooliques et ceux s'occupant des usagers de drogues illicites –, il convient d'ajouter 300 structures de consultation destinées aux jeunes consommateurs et 130 structures dédiées à la réduction des risques, les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD). Je rappelle au passage que les célébrités victimes d'addiction ne devraient pas se croire obligées d'aller en Suisse pour se faire soigner puisqu'il existe plus de 3 000 places d'hébergement thérapeutique dans notre pays – il est ainsi possible d'accueillir les patients pendant deux ans dans les sept ou huit communautés thérapeutiques existantes –, auxquelles s'ajoutent plus de 2 700 places d'hospitalisation spécialisées en addictologie. Au total, plus de 5 000 places avec hébergement permettent donc à toute personne désireuse de se soigner de bénéficier de sevrages simples ou complexes. De plus, toutes ces structures bénéficient désormais de financements pérennes garantissant la stabilité et la visibilité de leur action. La part du budget de l'assurance maladie qui leur est dédiée s'élève à 278 millions d'euros, mais nous avons prévu d'aller plus loin puisque le plan gouvernemental a dégagé 9 millions d'euros supplémentaires afin de cibler des personnes plus fragiles telles que les femmes avec des enfants, les personnes sortant de prison et les consommateurs de cocaïne qui, faute d'expérience, étaient jusqu'alors peu pris en charge par les médecins.

La réduction des risques s'inscrit quant à elle au coeur de la politique française depuis quinze ans : 130 000 usagers d'héroïnes sont sous traitement de substitution aux opiacés et 15 millions de seringues sont distribuées chaque année. Cas unique en Europe : l'utilité de la politique de réduction des risques est reconnue par la loi – je tente d'ailleurs de l'exporter, l'ouverture de nos frontières et donc la situation sanitaire de nos voisins ne pouvant qu'avoir un impact sur notre pays.

En matière de drogue, nous ne sommes pas seulement responsables de la limitation de la demande : nous devons également combattre l'offre. C'est ainsi que le Gouvernement a décidé de mieux lutter contre les trafics et l'argent qu'ils génèrent. Avec les ministères de la justice, de l'intérieur et du budget, la MILDT a impulsé une nouvelle orientation des enquêtes vers la confiscation des patrimoines des trafiquants. L'objectif est simple : nous voulons montrer à nos concitoyens, et plus particulièrement à ceux qui subissent chaque jour le triste spectacle de trafiquants dont le niveau de vie est ostentatoirement élevé, que, si le crime a payé, ce n'est plus désormais le cas. Afin d'évaluer l'efficacité de cette action, nous disposons d'un indicateur simple et fiable : le fonds de concours dit « Drogues » alimenté par le produit de la vente des biens confisqués aux trafiquants, dont le montant est passé de 1,2 million d'euros en 2007 à 21 millions d'euros en 2010. Une telle progression me semble suffisamment éloquente. En cette période budgétairement délicate, où chaque administration discute avec Bercy de la pérennité de ses crédits, nous avons trouvé une source de profits considérables, les crédits provenant de la poche des trafiquants n'étant jamais gelés ni abandonnés. Les crédits du fonds sont affectés respectivement à hauteur de 60 % aux services de police et de gendarmerie, de 20 % à la justice, de 10 % aux douanes, de même qu'à la politique de prévention. Telle est la rançon que le crime paie à la vertu !

J'ajoute que les résultats d'une telle politique devraient être encore accrus puisque vous avez voté récemment la création d'une Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, la mobilisation des administrations de l'État devant permettre d'éviter à ceux qui ont mal agi de profiter de leur argent et de récidiver, tant il est insupportable qu'un trafiquant puisse continuer de gérer ses affaires en prison.

La mutualisation des moyens de lutte dont disposent les administrations contre le trafic de drogue s'exerce certes sur le plan régional, notamment à travers les groupes d'intervention régionaux (GIR), mais aussi sur un plan international puisque avec l'Union européenne nous avons créé des bases à Accra, au Ghana, et à Dakar, au Sénégal. L'agence dite « MAOC-N » (Maritime analysis and operations center for narcotics ou Centre opérationnel d'analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants) de Lisbonne vise, quant à elle, à lutter contre le trafic maritime en provenance d'Amérique du Sud en particulier, le Centre de coordination pour la lutte anti-drogue en Méditerranée (CeCLAD-M) de Toulon étant dédié à la répression du trafic contre le cannabis.

C'est un fait : seul, aucun pays n'est à même de lutter contre les trafiquants.

Enfin, il convient d'autant plus de moderniser les moyens dont nous disposons en matière de recherche et d'information que l'addictologie n'est pas enseignée dans les facultés de médecine. Nous avons donc mis en place un réseau associant une dizaine de facultés afin d'organiser des enseignements permettant à cette discipline d'être diffusée, à l'instar de ce qui se passe aux États-Unis. De la même manière, nous avons lancé des appels à projet dans le domaine des sciences humaines et sociales, puisqu'il n'existe à ce jour aucune enquête digne de ce nom consacrée à l'étude des problèmes liés à l'addiction au travail ou pendant la scolarité.

Certes, chacun est libre de considérer que ma présentation de la politique gouvernementale relève de la visite d'un appartement témoin, mais les résultats obtenus, qui procèdent également d'une action au long cours, n'en sont pas moins réels. Si, d'après l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), la consommation de cocaïne a augmenté dans notre pays depuis 2000 – on dénombre de 250 000 à 300 000 usagers –, elle n'en reste pas moins trois fois plus faible que celle de l'Italie, du Royaume-Uni ou de l'Espagne. Et si ce dernier pays entretient des relations privilégiées avec l'Amérique du Sud et si la mafia est implantée dans le premier, le Royaume-Uni ne cultive pas la coca, non plus que ses voisins immédiats. Cela montre combien les politiques publiques sont précieuses : contrairement à ce que l'on entend dire parfois, elles ne se valent pas toutes. Les États qui se montrent les plus tolérants en matière de consommation en paient aujourd'hui le prix. Le Royaume-Uni est tout de même le pays qui consomme le plus de cocaïne au monde ! En France, la mobilisation des forces de sécurité et de la justice ainsi que les messages de prévention ont entravé la diffusion de cette drogue : si les prix n'ont dès lors pas chuté depuis trois ans – le gramme vaut toujours 60 euros en moyenne, sauf pour les consommateurs qui disposent de facultés contributives plus importantes –, on ne peut pas en dire autant du degré de pureté : les stocks disponibles étant moins importants, les trafiquants sont obligés d'utiliser des additifs. Ce sont là autant de preuves de l'efficacité de notre action.

Je vous rappelle par ailleurs qu'au début des années 2000, la France était le premier pays consommateur de cannabis en Europe puisqu'un jeune sur deux âgé de dix-sept ans en avait goûté. Sans que l'on puisse prétendre avoir considérablement réduit la consommation, on ne peut que constater qu'ils ne sont plus aujourd'hui que 42 % : la normalité, c'est de considérer que 60 % des jeunes Français âgés de dix-sept ans n'y ont jamais touché.

D'autres succès sont à mettre à notre actif commun : la vague du crack qui inquiétait tant les autorités au début des années 1990 a été contenue, les surdoses d'héroïne ont significativement baissé, la méphédrone et la méthamphétamine – nouvelles drogues qui provoquent des ravages aux États-Unis ou en Europe de l'Est – sont tout à fait marginales. Espérons que ce sera le cas pour encore un certain temps !

J'attire également votre attention sur le développement rapide des « legal highs », drogues de synthèse en perpétuelle évolution du fait de l'imagination de chimistes peu scrupuleux, lequel nous obligera sans doute à modifier notre dispositif législatif puisque ces « drug designers » contournent l'interdiction de commercialisation de molécules classées parmi les produits stupéfiants en choisissant celles qui leur sont les plus proches, avant que ces dernières ne soient interdites à leur tour. Il faut en effet savoir qu'une nouvelle drogue apparaît environ tous les deux mois. Il n'a guère fallu plus de temps pour qu'au Royaume-Uni la méphédrone, d'abord légale, devienne le quatrième produit le plus consommé avant d'être classée comme stupéfiant.

Il me semble nécessaire de revenir sur deux thèmes importants.

Je parlerai d'abord des centres d'injection supervisés, ou « salles de shoot », dont certains proposent l'ouverture. Je me garderai bien de remettre en cause la légitimité des experts qui s'expriment à ce sujet, mais je vous prie de faire preuve de réalisme. Je crois que vous avez auditionné Mme Jeanne Étiemble, de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Comment l'expertise de cet organisme s'est-elle déroulée ? Quels sont les experts extérieurs qui ont été entendus ? Si j'ai eu la joie de constater que ce fut le cas de Mme Nicole Maestracci, je n'ai quant à moi pas eu cette chance. Quoi qu'il en soit, ce fut une « expertise littéraire », tout le monde – à la différence de M. Philippe Goujon – n'ayant pas été sur le terrain.

Par qui, en effet, les articles considérés ont-ils été écrits – la question est importante en pleine crise du Mediator ? L'ont-ils été par des experts proches des structures en question ou par des personnes ayant bénéficié d'un certain recul leur conférant peut-être un peu plus d'objectivité ? À ce propos, je me réjouis que le ministère chargé de la recherche, conscient de la nécessité d'harmoniser les pratiques des organismes de recherche publics en matière d'expertise, ait récemment élaboré une charte nationale de l'expertise afin de répondre à ce type d'interrogations. Les solutions proposées sont-elles adaptées aux enjeux nationaux ? Sont-elles politiquement et économiquement viables pour répondre aux difficultés que vous connaissez bien dans vos circonscriptions ? Y seront-elles acceptées ? Qu'en est-il du rapport coût-bénéfice pour la santé ?

Les propos du Premier ministre, cet été, n'ont pas été bien compris : si, selon le Gouvernement, la mise en place de centres d'injection supervisés n'est ni utile ni souhaitable, il n'a jamais été question de ne pas en débattre ! Il a seulement argué de dispositifs existants et de principes éthiques pour contester l'idée selon laquelle ces structures constitueraient la seule et unique solution possible. Le Gouvernement, je le répète, se réjouit du débat qui a lieu car il est toujours sain d'évoquer les thèmes qui intéressent ou inquiètent les Français. Nous sommes en l'occurrence ravis de constater que notre position a été confortée par un vote massif des membres de l'Académie nationale de médecine, lesquels ont considéré que l'implantation de telles salles n'était pas souhaitable pour des raisons éthiques, mais également en raison de leur inadaptation à une bonne prise en charge des toxicomanes. En quoi la parole de quelques associations promouvant l'usage de drogues devrait-elle recevoir plus d'écho que celle de praticiens expérimentés ?

Je ne sais si M. Roger Nordmann, membre de l'Académie nationale de médecine, sera auditionné…

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