Monsieur Yves Pozzo di Borgo, l'arsenal de conventions et de textes législatifs paraît largement suffisant. La difficulté, c'est leur application opérationnelle.
Dans ce domaine, la difficulté en matière de drogue, c'est le cannabis. Il représente le deuxième revenu du Maroc, principal fournisseur de la France. Après être restés longtemps inactifs, malgré nos demandes, les Marocains ont changé d'attitude, à l'époque où le ministre de l'intérieur était M. Nicolas Sarkozy : ils se sont rendu compte que les revenus des trafiquants de cannabis marocains étaient tels qu'ils suscitaient des vocations politiques… À partir de là, nous avons beaucoup travaillé avec les Marocains, et nous continuons. Nous avons aussi passé un accord avec l'Espagne, par où transite le cannabis.
Cela dit, le cannabis ne vient plus majoritairement du Rif, mais des Pays-Bas et celui qui est cultivé sous serre a une teneur en tétrahydocannabinol dix fois supérieure.
La cocaïne est produite en Amérique latine, surtout en Colombie. Pour lutter contre le trafic, les États-Unis ont installé à Key West un dispositif assez sévère.
Toujours à l'époque ou M. Nicolas Sarkozy était ministre de l'intérieur, nous avons créé la première antenne de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants aux Antilles. Cette création a porté ses fruits. Le trafic, ainsi bloqué, s'est détourné vers l'Afrique. Le travail a été poursuivi. Un dispositif a été mis en place au Portugal à l'époque où Mme Michèle Alliot-Marie a été ministre de l'intérieur. Une antenne de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants a aussi été installée à Toulon. Nous avons donc continué à progresser.
L'héroïne, quant à elle, nous arrive essentiellement d'Afghanistan via la Turquie, mais quelquefois aussi par les ports néerlandais – comme la cocaïne, du reste. Il y a eu plusieurs phases : les talibans l'avaient éradiquée lors de leur première prise de pouvoir, mais, à leur retour, ils l'ont considérée comme une arme susceptible de nuire aux mécréants. Ils favorisent donc désormais sa culture.
Les Français n'ont pas été inactifs dans la lutte contre l'héroïne. Nous avons mis en place des laboratoires de contrôle des précurseurs en Afghanistan. En revanche, les Allemands et les Turcs, qui en étaient chargés, n'ont pas réussi à installer un « bouclier » antidrogue. De ce fait, il arrive de nouveau beaucoup d'héroïne, de nouveau par les Pays-Bas. Cette évolution est assez préoccupante pour la France.
Enfin, les drogues de synthèse sont fabriquées aux Pays-Bas ainsi que dans quelques laboratoires en Belgique. Les Néerlandais ont démantelé quelques laboratoires, mais ils affirment que si la production ne se fait plus chez eux, elle trouvera refuge en Pologne, ce qui n'est pas faux.
Les outils, conventionnels et juridiques, sont parfaitement suffisants. Nous connaissons tous les circuits. Ce sont les dispositifs opérationnels qui nous font défaut.
Je regrette que les objectifs qui sous-tendaient la création d'Europol n'aient pas été poursuivis. L'objet de cette ancienne « unité européenne antidrogue » a été élargi à l'ensemble de la délinquance, ce qui n'a guère été efficace. De plus, Europol est fondé sur des conceptions anglo-saxonnes, privilégiant les analyses sur l'opérationnel. J'ai toujours plaidé, notamment dans le cadre du G5, quand j'étais directeur général de la police nationale, pour qu'Europol renforce son action en matière de drogue.
La coopération policière n'est pas assez développée. Avec les Néerlandais, nous conduisons des opérations qui ne servent à rien : l'opération « Hazeldonk », qui a mobilisé cent vingt policiers pour la surveillance des trains, a abouti à la saisie de quelques grammes de cannabis ! Il faut revoir les modalités opérationnelles de la coopération policière.
Nous travaillons bel et bien à toucher les réseaux au portefeuille. L'an dernier, nous avons saisi un million d'euros en numéraire. Le dispositif des groupes d'intervention régionaux permet de saisir le patrimoine des trafiquants. Hier, dans le cadre de l'application de la loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, nous avons saisi, pour la deuxième fois, un fonds de commerce.
Si M. Nicolas Sakozy, alors ministre de l'intérieur, avait envisagé la contraventionnalisation du cannabis, c'est parce que la loi du 31 décembre 1970 est un « sabre de bois » face à l'ampleur de la consommation. Comment condamner à un an de prison un mineur consommateur occasionnel ? Je ne suis pas hostile à la condamnation à une contravention.