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Intervention de Patrick Pélata

Réunion du 16 mars 2011 à 16h00
Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

Patrick Pélata, directeur général délégué aux opérations de Renault :

Nous nous réjouissons que la représentation nationale s'empare du thème de la compétitivité de l'industrie française, cruciale pour notre pays.

Les capitalisations boursières, traduisant en théorie l'espoir des profits futurs d'une entreprise et donc la confiance en sa croissance et sa santé financière, appellent à la modestie sur la force de Renault et de PSA Peugeot-Citroën dans la compétition mondiale.

Dans le secteur de l'automobile, au 15 mars 2011 – date peu favorable –, la capitalisation boursière de Toyota est d'un peu moins de 100 milliards d'euros, celles de Volkswagen, Daimler et Honda d'un peu moins de 50 milliards d'euros. Avec 11 milliards d'euros, Renault arrive en douzième position après Nissan, Hyundai et le premier chinois – près de 20 milliards d'euros –, suivi de Tata et de Dong Feng, à plus de 10 milliards d'euros, puis de Porsche, Suzuki, Fiat et BYD, un tout jeune constructeur chinois de voitures électriques, aux environs de 8 milliards d'euros. PSA Peugeot-Citroën occupe la dix-neuvième place du classement avec 6 à 7 milliards d'euros, dans une liste qui comprend encore trois constructeurs chinois dans les vingt-cinq premiers constructeurs mondiaux.

Si, en France, les deux constructeurs nationaux, et notamment Renault, sont considérés comme des entreprises très fortes, leur capitalisation montre qu'ils ne sont pas parmi les plus puissants au niveau mondial.

Grâce à son alliance avec Nissan, et un accord stratégique essentiel avec Daimler, Renault dispose cependant d'autres atouts. Ainsi, le budget de recherche et développement cumulé de Renault, Nissan et Daimler est le plus fort de l'industrie automobile, et supérieur même à celui de General Electric, probablement pourtant l'un des plus considérables de l'industrie mondiale. On voit quel potentiel ouvre une répartition intelligente du travail entre les trois entreprises.

En effet, comme l'a dit M. Jean-Pierre Clamadieu, le premier élément pour rendre une entreprise industrielle compétitive, c'est la recherche et le développement. Si, alors que la France représente pour Renault 25 % de son chiffre d'affaires, nous n'y fabriquons que 21 % ou 22 % de nos voitures en volume, cette production française représente 50 % environ de la valeur de notre production : autrement dit, nous fabriquons en France nos voitures à plus forte valeur ajoutée. C'est là le résultat d'une stratégie : eu égard à leur poids sur la profitabilité et à leur coût élevé, les coûts salariaux, charges comprises, nous poussent à produire en France les produits à plus forte valeur ajoutée.

L'institution du crédit d'impôt recherche a renforcé notre compétitivité. À l'année, nos ingénieurs français nous coûtent en moyenne 79 000 euros chacun. Grâce au crédit d'impôt recherche, ce coût est réduit à 68 000 euros. Celui de nos ingénieurs coréens ou brésiliens est de 38 000 euros ; en Inde, il est de 27 000 euros ; en Roumanie, il est de 21 000 euros. C'est dire l'intérêt de ce dernier pays, membre de l'Union européenne, pour Renault.

Nous avons également signé avec le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) un accord concernant la recherche sur les batteries de nouvelle génération. Nous y consacrons 20 millions d'euros par an. Nous n'avons conclu aucun partenariat équivalent ni en Corée, ni au Japon.

Enfin, la France est en pointe s'agissant du véhicule électrique. D'ailleurs, il y a un an, une mission japonaise est venue examiner son développement.

En matière d'émissions de CO2 dans l'automobile, l'Europe et, au sein de celle-ci, la France, sont en avance sur le reste du monde. Les véhicules vendus en France émettent en moyenne moins de 120 grammes de CO2 par kilomètre ; en Europe, le chiffre est supérieur à 145 grammes et il est aux États-Unis de 195 grammes. Autrement dit – propos rare de la part d'un industriel –, la force de la taxation « verte », traduisant l'exigence européenne en matière d'émission de CO2 constitue un avantage compétitif. Les constructeurs européens, et en particulier les constructeurs français, du fait de dispositifs comme le bonus-malus environnemental, sont toujours bien placés en matière de techniques de réduction des émissions de CO2.

Le regroupement, à l'initiative de l'État, d'une commande de 100 000 véhicules électriques par les grands groupes, publics et privés, notamment La Poste, est un outil de politique industrielle conciliant fonctionnement du marché et, pour les constructeurs, accès plus rapide à la grande série.

Le principal point faible de l'industrie française demeure cependant le poids des charges sociales, parmi les plus élevées du monde.

Pour y faire face, Renault a décidé de localiser en France ses activités de recherche et développement, 82 % de la valeur de celles-ci y étant produite, ainsi que la production des voitures dont la valeur ajoutée est la plus forte et des voitures qui font l'objet de nouveaux développements : les véhicules électriques, utilitaires, et de haut et de milieu de gamme de Renault sont pour l'essentiel fabriqués en France, pour 50 % de la valeur ajoutée, à comparer avec 25 % du chiffre d'affaires et 21 % du volume produit. Dans cette répartition réside notre stratégie.

Nous avons aussi entrepris d'attirer en France des productions à forte valeur ajoutée pour Daimler et Nissan. Ainsi, les moteurs diesel des Nissan Infiniti vendues en Europe proviennent de l'usine de Cléon en Normandie et ont été développés en région parisienne par les ingénieurs de Renault.

L'accord de coopération stratégique entre Renault et Daimler a comme objectif essentiel de répondre à la menace stratégique considérable représentée par Volkswagen. La production de ce constructeur, cinq à six fois supérieure, lui permet des économies d'échelle très importantes. De plus, son budget de recherche et développement a dépassé largement celui de Daimler, qui a pourtant construit la réputation de sa marque, Mercedes, sur l'avance technologique. Ne pouvant plus suivre, Daimler doit partager ses progrès avec Renault et Nissan, cette démarche conduisant à rapatrier en France un travail de recherche et développement qui s'avère très compétitif avec celui de nos alliés Allemands.

L'adaptation de nos capacités de production en France pour que le taux d'engagement des usines soit désormais au moins de 80 % à 90 % par équipes de deux fois huit devrait être achevée en 2012, et au plus tard en 2013.

Les charges sociales restent le point faible de la compétitivité en France : avec 30 usines environ dans le monde, Renault se trouve bien placé pour en effectuer une comparaison. Les coûts complets, payés dans les usines de Renault à l'heure de travail ouvrier, sont de 28 euros de l'heure en France, de 20 en Espagne, de 10 en Slovénie, de 5 en Roumanie, de 6 en Turquie, de 4 au Maroc, de 16 en Corée du Sud, de 8 au Brésil, et entre 1 et 2 en Inde, dans le sud de laquelle nous détenons une usine commune avec Nissan. Nous n'avons en revanche pas d'usine en Allemagne. Aux États-Unis, où Nissan possède des usines, la comparaison, un peu plus complexe, est défavorable à l'Europe, bien que les produits européens n'y soient pas en compétition avec ceux des États-Unis.

Un document dressant une comparaison entre la France et les États-Unis, établi en coopération avec PSA Peugeot Citroën – ce qui explique les écarts de périmètre avec les autres chiffres de Renault – montre aussi, à partir de données de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et de l'institut COE-Rexecode, que le poids des charges sociales dans le salaire brut au sein des secteurs exposés – industrie chimique, métallurgie, mécanique, électricité, électronique et automobile – varie en France entre 35 % et 43 % alors que, dans les secteurs abrités – construction, commerce, hôtellerie et restauration -, les taux sont compris entre 22 % et 28 %. Les taux élevés constatés dans les secteurs exposés fonctionnent comme des taux de douane dissimulés, puisque les voitures importées ne les subissent pas, au contraire des véhicules produits en France, qu'ils soient commercialisés en France ou à l'étranger.

Lors des états généraux de l'automobile lancés début 2009 par M. Luc Chatel, alors secrétaire d'État chargé de l'industrie, nous avions établi que l'écart de coût entre un véhicule produit en France et un autre entièrement conçu et produit en Europe de l'Est était de 1 400 euros, dont 1 000 dus aux charges sociales et 400 aux salaires réels. Or, si nous savons compenser ces 400 euros par la logistique, nous ne savons pas comment compenser les 1 000 autres.

Cette situation entraîne des difficultés considérables. Renault vend une Clio moins de 10 000 euros à son réseau. Or, 1 000 euros, c'est 10 % de cette valeur. La marge opérationnelle dans l'industrie automobile étant au mieux de 4 % à 5 %, l'écart représenté par le surcoût de 1 000 euros est celui entre un bénéfice confortable et un déficit dangereux.

Cela étant, une voiture Renault vendue en Europe de l'Est demeure moins chère fabriquée en Roumanie qu'en Inde ou en Chine. La situation face à la Chine n'est donc pas défavorable pour une Europe qui saurait bien gérer ses flux, et qui, comme le Japon le fait avec l'Asie, répartirait ses productions à faible valeur ajoutée dans les espaces où la main-d'oeuvre n'est pas chère et concentrerait celles réclamant des qualifications plus fortes dans les espaces où les salaires sont plus élevés.

Enfin, les difficultés que nous rencontrons en matière de flexibilité du travail ne concernent pas le travail ouvrier, notre production en Europe de l'Ouest ne subissant pas de très forte tension, mais l'ingénierie. Le technocentre représente un actif de 1,6 milliard d'euros et 14 000 personnes y sont employées, ce chiffre continuant de s'accroître. Le droit du travail français nous impose des contraintes considérables, alors que la gestion de l'activité courante n'est pas facile. Nous réussissons, avec difficulté, à maintenir un temps d'ouverture de 14 heures par jour cinq jours par semaine, pour un temps d'engagement qui n'est que de 50 %. Au contraire, l'ingénierie de Nissan, comparable en effectifs et en taille à celle de Renault, peut travailler sans difficulté, en cas de besoin, 24 heures sur 24. Le résultat sur l'engagement des actifs n'est évidemment pas le même, non plus que les délais de développement.

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