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Intervention de Jean-Pierre Clamadieu

Réunion du 16 mars 2011 à 16h00
Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

Jean-Pierre Clamadieu, président-directeur général de Rhodia :

Rhodia est une entreprise de chimie, leader mondial sur plusieurs marchés. La France ne compte que pour 7 % dans son chiffre d'affaires, l'essentiel de celui-ci étant réalisé dans les pays dits émergents, à forte croissance, comme le Brésil, où nous sommes implantés depuis quatre-vingt-dix ans, et la Chine, où nous somme installés depuis trente ans. La France représente environ 30 % de notre production et 50 % de nos activités de recherche et développement.

La chimie demeure un secteur d'activité très capitalistique : les coûts des matières premières et de l'énergie représentent la moitié de notre chiffre d'affaires, contre 15 % seulement pour la main-d'oeuvre. Notre approche est donc différente de celle d'un constructeur automobile ou d'une entreprise de services.

La localisation de nos activités se fonde d'abord sur la dynamique de nos marchés : nous cherchons à nous installer dans les zones de croissance de ceux-ci.

Les coûts d'accès aux matières premières et à l'énergie constituent aussi un facteur essentiel de localisation de nos activités. Ils diffèrent considérablement d'une région du monde à une autre. Par exemple, le coût d'accès au gaz – dont Rhodia est le premier consommateur industriel en France – est deux fois plus élevé en Europe qu'aux États-Unis. De même, pour accéder aux matières premières, notamment les terres rares, nous développons nos activités en Chine, qui en est l'un des principaux producteurs.

Enfin, le poids considérable de nos investissements industriels a pour conséquence une inertie très forte de nos implantations. Le coût de la construction d'une usine chimique s'établit à plusieurs centaines de millions, si ce n'est à des milliards d'euros. Un tel investissement est donc réalisé pour trente ou cinquante ans, voire un siècle, car il nous est difficile de délocaliser nos usines une fois construites. Pour cette raison – et nous en sommes très heureux – nous restons un producteur important sur le territoire français et donc un fort exportateur.

Rhodia conduit en France 50 % de ses activités de recherche et développement car l'environnement dans notre pays y est favorable. Nous avons, en effet, la chance de pouvoir nous appuyer sur les organismes de recherche universitaires et publics, avec lesquels nos relations sont étroites. Rhodia a ainsi monté quatre équipes mixtes, associant ses chercheurs et ceux du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur des thèmes de recherche définis en commun.

Le crédit d'impôt recherche, adopté lors de la présente législature, a rendu compétitif le coût d'un chercheur en France par rapport au reste du monde. Rhodia n'a donc plus aucune raison économique d'implanter des activités de recherche en Chine plutôt qu'en France. Les autres groupes industriels partagent cette analyse.

En revanche, si le coût du travail ne représente que 15 % du chiffre d'affaires du groupe, nous constatons qu'un opérateur industriel nous coûte 20 % plus cher en France qu'en Allemagne, du fait des charges patronales, sachant par ailleurs qu'il travaille pendant une durée inférieure de 7 % environ.

Un autre handicap de la France en matière de compétitivité réside dans la moindre flexibilité dans l'organisation du travail. Les nombreuses contraintes que nous impose le code du travail nous empêchent de nous organiser de manière optimale, ni même comme le souhaiteraient nos salariés.

Dans notre activité, le travail posté constitue la règle pour les opérateurs. Or, alors que, dans presque tous les pays du monde, nous collaborons avec des équipes travaillant douze heures par jour, en France nous n'avons pas le droit de leur imposer huit heures de travail par jour. Le plus grand nombre de nos salariés souhaiteraient pourtant travailler sur la base de créneaux horaires plus longs. Dans nos métiers, les opérateurs postés accomplissent pour la plupart des tâches de surveillance et d'intervention ponctuelle, qui seraient donc compatibles avec des durées de travail plus longues, en sachant que des postes de douze heures plutôt de huit permettent de limiter le nombre de jours de travail dans l'année. Seul le code du travail nous interdit d'établir une telle organisation, pourant souhaitée par nos partenaires sociaux et qui nous permettrait de simplifier notre organisation.

Chez Rhodia, un travailleur posté prend environ 180 postes dans l'année : en application du code du travail et des accords d'entreprise, il vient donc travailler huit heures d'affilée un jour sur deux. La mise en oeuvre des trente-cinq heures n'a pas eu de conséquences sur cette durée, car le temps de travail des travailleurs postés de Rhodia était déjà inférieur à cette limite.

Quant au taux de recouvrement des travailleurs de jour, il est en France de 1,5 salarié pour un poste assuré à plein temps pour l'ensemble de l'année, contre 1,2 dans la plupart des autres pays où nous opérons.

En France, la flexibilité de moyen terme demeure également limitée. Procéder à des ajustements d'organisation pour faire face par exemple à une chute sérieuse de la demande, nous impose d'affronter des contraintes de mise en oeuvre considérables.

Lors de la crise de 2009, Rhodia a fait le choix de faire porter la flexibilité sur les travailleurs intérimaires pour conserver le plus possible ses travailleurs permanents, former un opérateur à un poste dans une usine requérant de plusieurs mois à un an et demi, voire deux dans nos métiers. Pour supprimer quelques dizaines de postes, nous avons dû, afin de respecter le code du travail, élaborer un plan social. De ce fait, entre le début de la procédure et la première mise en oeuvre pratique, onze mois se sont écoulés. Ce délai est sans commune mesure avec ceux que nous constatons dans n'importe lequel des pays où nous opérons. La multiplicité des instances représentatives du personnel – comités d'entreprise, délégués du personnel, comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail – au niveau des sites comme de la direction de l'entreprise complexifie les procédures. Et, au bout du compte, chacun « joue la montre », dans un contexte où la sécurité juridique de l'entreprise reste fragile, car un juge pourra, à un moment donné, donner un coup d'arrêt, entraînant un retard supplémentaire, à un processus au motif que telle ou telle procédure de consultation ou d'information n'aura pas été conduite dans les règles.

Au contraire, dans certains pays comme l'Allemagne, il est possible en quelques mois de négocier un accord, même s'il peut se révéler coûteux, et de le mettre ensuite rapidement en oeuvre entre partenaires de bonne foi.

Tout ce qui nous permettrait en France de réagir plus vite face aux variations d'activité nous paraîtrait aller dans le sens d'une meilleure compétitivité de nos entreprises.

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