Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Agnès Benassy-Quéré

Réunion du 6 avril 2011 à 16h00
Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

Agnès Benassy-Quéré, directrice du Centre d'études prospectives et d'informations internationales :

Je concentrerai mon intervention sur nos performances à l'exportation.

En la matière, je suis d'accord avec M. Hervé Boulhol : outre que ce sont les parts de marché et non le solde commercial qui mesurent la capacité d'un pays d'être compétitif à l'extérieur, le dynamisme des exportations constitue plus un révélateur de la bonne santé des entreprises qu'un but en soi.

Seules environ 100 000 entreprises du secteur manufacturé sont concernées par les exportations – leur nombre, d'ailleurs, diminue, ce qui ne laisse pas d'être préoccupant –, 10 000 d'entre elles exportant des services – curieusement, peu d'entreprises de services sont exportatrices. Dans les pays étrangers, le dynamisme des exportations reposant pour les deux tiers sur le nombre des entreprises exportatrices et non sur le volume des exportations, l'un des enjeux importants de la politique économique consiste à multiplier le nombre des entreprises qui exportent. J'ajoute que la plupart de nos entreprises exportant vers une seule destination – la Belgique –, un autre enjeu consiste à leur faire franchir une deuxième frontière.

Notre pays, de surcroît, ne comporte pas assez de « gazelles » ou d'entreprises de taille intermédiaire exportatrices, notamment par rapport à l'Allemagne.

Si nous devrions être bien placés en matière d'exportations de services, une étude réalisée par le Centre d'études prospectives et d'informations internationales montre cependant que le potentiel de développement de ce secteur est très lié à la déréglementation en Europe : si la Grèce, par exemple, alignait sa réglementation en matière de services sur celle qui est en vigueur aux Royaume-Uni, nos exportations en direction de ce premier pays doubleraient. Cela constitue également un enjeu pour les années à venir.

Parmi les clés du succès à l'exportation figurent les coûts de production par unité produite, lesquels doivent être comparables à ceux de nos concurrents dans les pays développés européens – et non par rapport à la Chine ou à l'Inde, bien entendu – ainsi que la capacité de répartir d'une façon optimale la chaîne de production. Nombre de travaux montrent, en effet, que l'importation de produits intermédiaires à bas coût peut considérablement aider les entreprises à finaliser des produits compétitifs sur le plan international. De ce point de vue-là, les Allemands ont mieux réussi que nous.

Il faut également compter avec les capacités d'innovation. Nous exportons essentiellement des hautes technologies et des produits haut de gamme – l'un n'étant pas nécessairement lié à l'autre comme en témoigne le vin. Produire de tels biens et investir massivement dans la recherche et le développement supposent d'associer travail qualifié et capital et, donc, d'envisager leur coût respectif.

Les arbitrages entre compétitivité et emploi ne sont pas encore clairement rendus, mais il faut savoir que ces deux questions ne sont pas nécessairement superposables. J'ajoute que le coût du travail peu qualifié est perçu comme relativement contraignant dans notre pays à cause du salaire minimum.

S'agissant des mesures préconisées afin de favoriser les exportations et, donc, les petites et moyennes entreprises, je me permets de vous renvoyer au rapport de l'OCDE.

Par ailleurs, le débat sur le coût du travail me semble très confus. En effet, il ne faut pas confondre le coût horaire et le coût par unité produite. Depuis une dizaine d'années, le coût du travail dans l'industrie manufacturière en France a augmenté plus vite qu'en Allemagne, mais nous disposions d'un avantage initial. Nous avons donc assisté à un rattrapage mais si la dynamique se maintient, le risque de dépassement est grand.

En revanche, s'agissant du coût unitaire et donc corrigé par la productivité, nous ne pouvons pas réaliser de comparaisons de niveau – la productivité étant un indice, il est par exemple impossible d'effectuer une mesure en euro. Selon l'année de base utilisée, le diagnostic variera. En termes de coût unitaire, nous nous situons au même niveau qu'en 1992 par rapport à l'Allemagne – mais quant à savoir si nous étions alors au-dessus ou au-dessous… En tout cas, il est certain que, depuis 2000, dans l'industrie manufacturière, le coût par unité produite a augmenté dans notre pays par rapport à celui de notre voisin.

Il convient également de différencier salaire de marché et salaire minimum. Pour les professions qualifiées ou hautement qualifiées, les salaires observés relèvent du marché et sont donc comme tels équilibrés sans qu'il soit possible de les considérer comme trop élevés ou trop faibles. S'ils sont plus hauts en France qu'en Allemagne, par exemple, c'est que la productivité est plus importante chez nous. Il n'en va pas de même s'agissant de la main-d'oeuvre peu qualifiée et du salaire minimum. Si une diminution des charges sociales patronales se répercuterait immédiatement sur le coût du travail peu qualifié, il n'est pas évident qu'il en irait de même sur le travail qualifié en raison, dans ce dernier cas, de la part de la rémunération liée au partage des gains entre l'entreprise et le salarié. Le salaire net des pays dont les charges sociales sont particulièrement élevées – dont la France – tend d'ailleurs à être relativement plus bas. Par ailleurs, lorsque l'on évoque le coût du travail, il faut tenir compte de l'impôt sur le revenu : un niveau plus élevé, comme c'est le cas en Allemagne par rapport à la France, doit se répercuter sur celui du salaire.

S'agissant de la compétitivité-prix dans le domaine manufacturé, les prix à l'exportation ont évolué d'une manière à peu près comparable entre la France et l'Allemagne sur le marché de l'Union européenne à quinze. Les prix français ont évolué légèrement plus vite que les prix allemands sur les marchés extra-européens mais sans comparaison aucune avec la situation italienne où cette évolution a été nettement plus rapide. Il est en revanche troublant que, malgré une telle situation, à la différence de l'Allemagne, nos parts de marché à l'exportation se soient fortement dégradées. En fait, la dégradation des marges des exportateurs français annonce peut-être la compétitivité-prix de demain puisque moins de marges implique moins d'investissements – un lien existe sans doute entre compétitivité-prix et compétitivité hors prix –, à moins que la hausse des prix en Allemagne ne soit liée à une augmentation de la qualité tandis que celle que nous avons connue en France ne le soit à la dégradation de la compétitivité-prix.

J'ajoute qu'il est moins question du coût du travail dans les services, celui-ci ayant explosé en France au cours des dix dernières années, notamment en raison du poids du salaire minimum interprofessionnel de croissance.

J'en viens au financement de la protection sociale.

En ce qui concerne la main-d'oeuvre qualifiée, le transfert d'un prélèvement sur une autre base – cotisations employeurs ou employés, impôt sur le revenu ou taxe à la valeur ajoutée – ne modifierait guère la donne puisque, je le répète, nous sommes sur un marché avec des offres et des demandes, des pénuries dans certaines professions et des excédents temporaires dans d'autres. Il n'en va pas de même en ce qui concerne la main-d'oeuvre peu qualifiée puisque le salaire net est rigide. Une baisse des cotisations versées par les employeurs peut donc contribuer à abaisser le coût du travail, l'impact final dépendant toutefois de l'indexation des salaires sur la taxe sur la valeur ajoutée – dès lors que la protection sociale serait financée par une hausse de cette dernière – et de la façon dont les pensions ou les revenus hors salaires sont indexés sur les prix à la consommation, donc, sur cette même taxe à la valeur ajoutée. Une indexation totale serait sans grand effet, une absence d'indexation rendant quant à elle impropre l'expression de « TVA sociale » puisque les gains de compétitivité obtenus le seraient au détriment du pouvoir d'achat de certaines catégories de la population. Une mesure comme la taxe sur la valeur ajoutée « sociale » doit avoir un effet redistributif entre salariés et non salariés mais, également, entre secteurs d'activité. Quoi qu'il en soit, même non profilée, une baisse de cotisation sociale diminue le coût relatif dans les secteurs qui emploient beaucoup de main-d'oeuvre non qualifiée. Si de telles mesures, comme en attestent certaines études, seraient favorables à l'emploi, il ne faut pas trop en attendre en revanche sur le plan de la compétitivité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion