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Intervention de Hervé Boulhol

Réunion du 6 avril 2011 à 16h00
Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

Hervé Boulhol, chef du bureau France au département des affaires économiques de l'Organisation pour la coopération et le développement économique :

Après avoir posé un diagnostic sur la situation actuelle, je présenterai quelques priorités en matière de politique économique.

Si le diagnostic établi doit s'appuyer sur les excellents rapports du Conseil d'analyse économique – je songe notamment aux travaux de M. Lionel Frontagné –, qui relèvent les obstacles entravant la dynamique des entreprises et soulignent un positionnement en retrait en termes de gammes de produits, je les compléterai néanmoins, d'une part, en insistant sur le caractère général du problème posé par une insuffisance globale de la capacité de production de l'économie française et, d'autre part, en essayant de montrer que le concept de compétitivité appliqué à un pays est peu significatif – ce n'est pas là une simple considération sémantique puisque de ce diagnostic découlent les priorités de la politique économique. En bref, ce sont des réponses d'ordre général qui doivent être apportées à un problème général. Nous avons identifié quatre domaines de priorité : la fiscalité et les finances publiques ; le marché du travail ; l'éducation ; le secteur productif.

Plus que la dégradation du solde commercial, c'est la perte de parts de marché à l'exportation qui doit être au centre de notre réflexion. La situation française est comparable à celle des autres pays du Groupe des sept, l'Allemagne exceptée ; l'évolution pour la France est comparable à celle des autres grands pays développés, et cela s'explique en grande partie en raison du rattrapage salutaire effectué par les pays en développement. Il ne s'agit pas néanmoins de nier nos mauvaises performances à l'exportation, notre recul étant de surcroît plus prononcé que celui de l'ensemble des pays de la zone euro mais, également, que ceux de la Suisse, de la Suède ou du Danemark – seule l'Italie ayant des résultats aussi décevants que les nôtres.

Cela ne doit pas toutefois nous éloigner de l'essentiel : la richesse totale créée, soit le revenu national ainsi que sa répartition. Or, pour l'ensemble des pays développés, le lien entre la croissance des exportations et celle du produit intérieur brut par habitant – donc, le pouvoir d'achat – est peu évident. L'Allemagne, le Japon, le Danemark, la Suisse, le Portugal ont ainsi enregistré depuis dix ou quinze ans de bonnes performances à l'exportation sans que les retombées soient pour autant notables s'agissant du produit intérieur brut par tête. Autrement dit, la production pour l'exportation ne crée pas plus de richesse que celle destinée au marché domestique : il faut abandonner ce fétichisme-là. Depuis 1990, la croissance des exportations en Allemagne a été 20 % supérieure à celle de la France, mais la croissance du produit intérieur brut français a été de 7 % supérieure à celle de l'Allemagne en raison d'une augmentation de la consommation et de l'investissement domestiques 15 % plus élevés chez nous que chez nos voisins d'outre-Rhin. La comparaison avec ce pays est donc parfois fallacieuse. J'ajoute que la persistance d'un surplus élevé du solde commercial allemand suggère une sous-évaluation du taux de change réel – la modération salariale et l'atonie de la demande pourraient être ainsi la conséquence d'un déséquilibre.

S'agissant du diagnostic compétitivité-coût, l'évolution du coût du travail total en France ne semble pas être la cause première du décrochage des exportations, même s'il est vrai que la convergence des salaires minimaux liée aux trente-cinq heures a sans doute pesé. Chez nous, la part des salaires dans la valeur ajoutée est d'ailleurs restée stable, les salaires réels ayant suivi l'évolution de la productivité du travail. La compétitivité-coût ne s'est donc pas dégradée dans notre pays par rapport aux autres pays de la zone euro – à l'exception de l'Allemagne, où la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée peut difficilement être extrapolée. En revanche, le salaire minimum est chez nous élevé – relativement au salaire médian – et le coût du travail pour les bas salaires figure parmi les plus chers des pays de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), malgré les allégements de cotisations. Les conséquences de telles rigidités sur le marché du travail sont sans doute amplifiées par la globalisation, processus impliquant de forts ajustements structurels en fonction des avantages comparatifs.

En ce qui concerne le lien entre compétivité, productivité et production, il convient également de noter que la notion de compétitivité est floue et peu significative sur un plan normatif. La compétitivité-coût peut ainsi être associée à des salaires sous-optimaux et à une demande trop faible, la compétitivité-prix pouvant être quant à elle liée à une réduction trop forte des marges pénalisant l'investissement. La productivité et la production totale résultant de l'emploi et du temps de travail moyen constituent, en revanche, des concepts plus porteurs. L'économie française souffre d'abord d'un problème général de déficit d'emplois et d'un manque de gains de productivité. Dans un tel contexte, certaines mesures qui ont été récemment prises vont dans le bon sens – je vous renvoie à ce sujet au document détaillé que je vous ai communiqué.

Alors que nos finances publiques sont dégradées et que les coûts liés au vieillissement de la population augmentent, des priorités doivent être définies.

La première concerne la réduction de la fiscalité pesant sur le travail.

Le maintien d'un haut niveau de protection sociale – lequel semble faire l'objet d'un assez large consensus – passe par l'amélioration de la situation de l'emploi, une gestion rigoureuse des dépenses publiques ainsi qu'une structure fiscale efficace à la fois redistributive et favorable à la croissance. Dans notre pays, la différence entre le coût du travail et le salaire super net est plus élevée que dans les États membres de l'OCDE à l'exception de la Belgique, de la Hongrie et de l'Allemagne, le salaire minimum n'étant toutefois pas très haut dans ce dernier pays. D'où une double conséquence : d'une part, compte tenu de l'état des finances publiques, la baisse de la fiscalité pesant sur le travail passe par un renforcement de la discipline budgétaire, notamment en ce qui concerne le volet des dépenses ; d'autre part, pour pouvoir maintenir un haut niveau de protection sociale, le financement doit davantage porter sur des bases moins défavorables à l'emploi et à la croissance : propriété immobilière, environnement et consommation – je songe au taux réduit de taxe à la valeur ajoutée.

D'une manière générale, il faut rendre la fiscalité plus lisible et efficace, notre système favorisant ceux qui savent tirer partie de son opacité et de sa complexité. Cela passe par l'élargissement des bases, la suppression des niches fiscales et sociales les moins efficaces, la réduction des distorsions, notamment entre l'investissement résidentiel et l'investissement productif, la diminution du soutien à la construction et l'engagement d'une réflexion sur les distorsions engendrées par la fiscalité de l'épargne.

Deuxième priorité : combler le déficit d'emplois.

Au-delà de la perte d'emplois cyclique liée à la grande récession, le déficit structurel s'élève à environ 8 % des emplois dont 2,5 % de taux de chômage structurel et 5 % voire plus en termes de participation à la population active. Le déficit d'emplois concerne principalement les jeunes et les seniors, le taux d'emploi des trente-cinquante-cinq ans étant supérieur à la moyenne de l'OCDE. En outre, le nombre d'emplois manquants est du même ordre de grandeur que l'emploi industriel manufacturé total – 2 millions d'emplois contre 3 millions. Dans ces conditions, les gains de parts de marché à l'exportation ne suffiront pas : nous devons produire plus et tous azimuts en nous attaquant à un problème global. Je vous renvoie, à ce propos, au graphique qui figure dans le document que je vous ai remis et qui met en évidence le fait qu'il n'y a pas de corrélation entre la taille de l'industrie et le taux d'emploi total : ce graphique montre en effet que si le taux d'emploi et la taille des industries dans notre pays sont relativement faibles, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Norvège, le Canada et les Pays-Bas, qui ont encore moins d'industries que nous, ont un taux d'emploi plus élevé, tandis que la Suisse et la Suède, qui sont des pays plus industriels, ont des taux d'emploi très élevés, l'Italie étant quant à elle un pays très industrialisé dont le taux d'emplois est très faible.

Troisième priorité : l'éducation.

Il convient de mieux former les jeunes pour accroître les perspectives à long terme et assurer une meilleure articulation entre les entreprises et la recherche universitaire. Il faut également limiter les situations d'échec scolaire, notamment à un stade précoce, et, enfin, assurer une meilleure adéquation entre les compétences qui sont requises par les entreprises et celles qui sont acquises à la sortie du système éducatif.

Quatrième et dernière priorité, enfin : l'amélioration de l'offre productive.

Cela passe par une adaptation de la fiscalité – en particulier celle de l'impôt sur les sociétés – et peut-être par le financement des petites et moyennes entreprises. Il convient également d'engager une réflexion sur les réglementations et la concurrence.

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