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Intervention de Gwenole Cozigou

Réunion du 6 avril 2011 à 16h00
Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

Gwenole Cozigou, directeur « industries chimiques, métalliques, mécaniques, électriques et de la construction ; matières premières » à la direction générale entreprises et industrie de la Commission européenne :

Si vous le permettez, je traiterai essentiellement de l'industrie, qui est mon domaine de compétences à la Commission.

L'industrie manufacturière représente 20 % du produit national brut européen, les trois quarts des exportations communautaires et emploie un salarié du privé sur quatre. Et ces données sont inférieures à la réalité car des activités auparavant considérées comme industrielles sont désormais comptabilisées dans les statistiques parmi les services, sans compter que les services dépendent eux-mêmes fortement de l'industrie, si bien qu'en réalité l'industrie représente bien davantage. On est donc loin de la société post-industrielle, contrairement à ce qui a pu être affirmé il y a quelques années !

L'industrie est et demeure le moteur de la création de richesses. La productivité du travail dans l'industrie a augmenté en Europe de 46 % de 1995 à 2007 et 80 % de la recherche-développement du secteur privé sont réalisés dans le secteur industriel. L'industrie a certes été, comme le reste de l'activité économique, affectée par la crise. Certains secteurs ont vu leur production baisser de 30 %. Une reprise se dessine mais il faut encore être prudent. Cela étant, certains secteurs sont d'ores et déjà repartis. C'est le cas de l'industrie chimique, tirée d'ailleurs surtout par les marchés asiatiques.

Quelles leçons avons-nous retirées de la crise ? La première est que la mono-industrie est toujours très dangereuse et que lui est préférable une chaîne de valeur industrielle forte, compétitive et diversifiée.

La deuxième est que l'environnement économique mondial s'est profondément modifié : les pays longtemps dits « émergents » ont énormément progressé, y compris dans le domaine des produits à forte valeur ajoutée, et la vision que l'on en a est pour beaucoup dépassée. D'où l'importance croissante de la technologie et des qualifications. Il faudrait absolument qu'au lieu de s'orienter systématiquement vers le secteur financier, des compétences aillent aussi vers l'industrie, ce qui suppose de renforcer son attrait.

Une autre leçon est que le renchérissement du coût de l'énergie et des matières premières n'est pas l'effet seulement de mouvements spéculatifs mais une tendance lourde, du fait de l'accroissement de la demande mondiale.

Enfin, l'interdépendance des économies au niveau mondial est de plus en plus forte. L'idée de secteurs strictement nationaux n'est plus aujourd'hui que théorique. On l'a vu, les problèmes rencontrés au Japon après le tsunami et l'accident de Fukushima ont pu entraîner des difficultés d'approvisionnement dans d'autres pays. Les économies sont très interdépendantes, tout particulièrement dans l'Union européenne qui est encore la première puissance commerciale au monde.

Comment la Commission européenne approche-t-elle la politique industrielle ? Il faut tout d'abord rappeler que s'il s'agit bien d'une compétence communautaire, les instances européennes ne disposent pas de tous les instruments nécessaires, si bien que leurs décisions ont besoin d'être ensuite déclinées au niveau national et infra-national.

Premier volet de notre action : améliorer le cadre général. De ce point de vue, le marché intérieur constitue un outil essentiel. Ainsi la France réalise-t-elle une grande partie de son commerce extérieur avec les autres pays de l'Union et le marché intérieur des services est encore insuffisamment développé. L'environnement réglementaire est un autre élément-clé. La Commission a décidé dorénavant d'évaluer les incidences sur la compétitivité de toute nouvelle mesure législative. Elle souhaite également procéder à l'évaluation de la législation existante de ce point de vue. La même démarche pourrait être adoptée au niveau national. Dans cette démarche, il faut garder présent à l'esprit que les différents secteurs de l'économie ne sont pas cloisonnés : certaines mesures de réglementation financière peuvent ainsi avoir un impact sur l'accès au financement des entreprises. Enfin, lors de la négociation d'accords commerciaux avec des pays tiers, nous analyserons systématiquement le rapport coûtsbénéfices pour l'industrie européenne. Les infrastructures – transports, communications, fourniture énergétique… – sont un autre élément déterminant de la compétitivité. De ce point de vue, la France est assez bien placée. La Commission souhaite améliorer encore les infrastructures au niveau européen. Enfin, l'accès au financement des entreprises joue aussi un rôle essentiel dans le niveau de compétitivité.

Deuxième volet : renforcer les politiques industrielles. Certaines initiatives ont été prises dans différents États membres. Nous souhaitons faire porter l'effort sur les technologies clés comme les technologies de l'information ou les nanotechnologies, et sur les structures, en favorisant les réseaux et les clusters ou grappes d'entreprises. Les pôles de compétitivité tels qu'ils ont été créés en France répondent tout à fait à cette préoccupation.

Troisième volet : accompagner la mondialisation. Plusieurs de nos partenaires commerciaux entravent l'accès à leur marché intérieur par bien d'autres moyens que des barrières tarifaires et les pratiques déloyales sont fréquentes. Nous sommes déterminés à nous saisir du problème. Nous avons revu notre stratégie en ce qui concerne les matières premières et entendons nous attaquer par exemple aux restrictions injustifiées à l'exportation, notamment quantitatives, contraires au règlement de l'Organisation mondiale du commerce.

Quatrième volet : soutenir les transformations et les ajustements structurels. Ainsi, souhaitons-nous, pour relever le défi du changement climatique, accompagner la modernisation du tissu industriel.

J'en viens à la compétitivité française. La France avait encore un avantage comparatif de compétitivité prix il y a une dizaine d'années, qu'elle a perdu, parce que les coûts ont augmenté. La France ne décroche pas par rapport à la zone euro mais elle se situe quand même au-dessus de la moyenne – l'Allemagne, elle, étant très nettement en dessous. Cela dit, serait-il réaliste d'essayer de concurrencer sur les prix des pays comme la Chine ? Plus grave est que cette détérioration de la compétitivité prix n'est pas compensée par une amélioration de la compétitivité hors prix. Plusieurs signaux sont inquiétants. Si les dépenses publiques de recherche-développement sont au niveau de la stratégie fixée par l'Union pour 2020, ce n'est pas le cas des dépenses privées. Il faut absolument trouver les moyens d'orienter le capital privé vers l'investissement et la recherche rentables.

Pour répondre à la question sur le comportement du secteur bancaire en France, je dirais que la crise a certainement, hélas, accru son aversion au risque, mais la réglementation n'est pas neutre non plus. J'entends souvent des industriels français, notamment de petites et moyennes entreprises, se plaindre que les centres de décision sont très éloignés des besoins de l'entreprise – ce qui n'est pas le cas dans tous les États membres.

S'agissant de l'environnement réglementaire, l'important est d'avoir une approche systématique, même si elle est moins visible que des actions ponctuelles. Ce doit devenir une routine que d'évaluer l'impact sur la compétitivité de toute nouvelle mesure législative ou réglementaire.

Les industriels déplorent un manque de compétences scientifiques et techniques. Ce n'est d'ailleurs pas propre à la France : en Allemagne aussi, on manque de techniciens, d'ingénieurs, de géologues – si précieux dans le secteur des matières premières. Il faudrait donc faire un effort en matière de formation scientifique et technique, d'autant que le système de formation français est réputé. Mais les industriels doivent aussi améliorer l'image de l'industrie pour renforcer son attrait : l'usine n'est pas quelque chose de sale, on ne le sait pas assez.

J'en viens aux difficultés des petites et moyennes entreprises françaises à l'exportation. Lorsqu'on fait des comparaisons, il faut savoir que les petites et moyennes entreprises allemandes fortement exportatrices ne seraient pas classées en France comme des petites et moyennes entreprises. Elles sont souvent plus grandes, sans qu'il soit d'ailleurs facile de déterminer si elles ont pu grandir parce qu'elles exportaient beaucoup ou si elles ont pu exporter parce qu'elles étaient déjà assez grandes.

En politique industrielle, l'important est de jouer sur tous les tableaux à la fois : amélioration constante du cadre général plutôt que des mesures ponctuelles, réglementation, infrastructures, accès au financement.

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