Je remercie tout d'abord votre mission de nous avoir invités. Nous savons votre temps précieux et mesurons donc le privilège de pouvoir nous exprimer devant vous. Débattre avec des législateurs nationaux est toujours pour nous très enrichissant.
J'essaierai de vous donner un éclairage européen sur les questions de compétitivité et de financement de la protection sociale.
La France souffre-t-elle d'un problème de compétitivité ? Hélas, oui, les chiffres sont cruels. Depuis une quinzaine d'années, ses parts de marché se contractent et le déficit de sa balance courante se creuse, y compris dans le domaine des services, ce qui est nouveau.
Peut-on établir un lien entre cette détérioration et l'évolution du coût du travail ? La productivité a évolué de la même manière en France et en Allemagne, mais la politique de modération salariale menée par l'Allemagne, tout à fait exceptionnelle en Europe, explique la meilleure performance en matière de coût du travail outre-Rhin. Les coûts salariaux unitaires ont augmenté plus vite en France qu'en Allemagne, mais au même rythme que dans la zone euro en moyenne. La France étant en concurrence avec des pays à bas salaires, elle a bien entendu perdu en compétitivité de ce point de vue. Néanmoins, une fois pris en compte les taux de change effectifs, la dégradation est moins importante qu'il n'y paraît sur la seule base des coûts salariaux. Cela prouve que les exportateurs français se sont efforcés de préserver la compétitivité prix de leurs produits en réduisant leurs marges à l'exportation – ce qui, soit dit au passage, n'est pas viable à long terme. Le poids des charges sociales, dont le taux est parmi les plus élevés d'Europe, peut-il expliquer ce recul de la compétitivité relative de la France ? S'il peut être à l'origine de la difficulté à pénétrer certains marchés, il n'explique pas la perte de compétitivité constatée depuis une quinzaine d'années, car il n'a quasiment pas varié sur la période. Au total, la mauvaise performance de la France à l'exportation n'est donc pas imputable uniquement à l'évolution du coût du travail.
Il y a d'autres raisons, d'ordre plus structurel. Les indicateurs de compétitivité hors prix révèlent des faiblesses importantes du tissu productif français. Je n'en évoquerai que quelques-unes. Les petites et moyennes entreprises françaises sont beaucoup moins internationalisées que d'autres en Europe : le pourcentage de celles qui exportent est proche de celui des nouveaux États membres, très loin de ce qu'il est en Allemagne, en Italie ou en Espagne. Ce n'est pourtant pas une fatalité. Toute une série de facteurs entrent en ligne de compte. Prenons l'exemple de la fiscalité. Le taux théorique de l'impôt sur les sociétés en France est le plus élevé d'Europe, avec 34 %, mais le taux effectif d'imposition est beaucoup plus faible du fait des niches fiscales. Il est de surcroît dégressif : proche de 30 % pour les petites et moyennes entreprises, il tombe à 15 %, voire 10 %, pour de très grandes entreprises. Cette fiscalité est pénalisante pour les petites et moyennes entreprises. Je n'ai pas le temps de développer ce point dans le temps qui m'est imparti mais nous analysons de la même manière l'influence d'autres facteurs : politique de recherche, fonctionnement du marché du travail…
De tout cela, quelles conclusions tirer ? La première est qu'une politique de renforcement de la compétitivité qui se focaliserait exclusivement sur les coûts salariaux serait inappropriée. D'une part, parce que la France n'a pas vocation à concurrencer des pays à bas salaires. D'autre part, nous l'avons dit, les faits ne permettent pas d'établir que sa perte de compétitivité soit liée à une évolution particulièrement défavorable des coûts salariaux, cotisations sociales comprises. Si on souhaitait réduire celles-ci pour gagner en compétitivité, il conviendrait d'ailleurs d'être prudent dans le contexte actuel car les prestations sociales ont joué un rôle de stabilisateur automatique durant la crise.
Une autre conclusion est que la France doit engager des réformes structurelles. Avec la loi de modernisation de l'économie, elle a pris diverses mesures qui auront une incidence positive à moyen terme. Ce n'est toutefois pas suffisant. Il faudrait s'attaquer rapidement au chantier de la fiscalité et aussi prendre des mesures complémentaires à la loi de modernisation de l'économie, pour éviter de pénaliser des secteurs nouveaux de croissance.
Enfin, j'y insiste, quoi qu'on fasse pour renforcer la compétitivité en France, la consolidation budgétaire demeure la priorité à très court terme. La France s'est engagée à ramener son déficit budgétaire à 3 % du produit intérieur brut d'ici à 2013. Diverses mesures ont déjà été prises en ce sens. D'autres n'ont pas encore été annoncées sur lesquelles nous pensons qu'une réflexion doit s'engager sans retard. Priorité devrait être donnée au démantèlement des niches fiscales dans les deux années qui viennent. Si on envisageait de réduire les charges sociales pour des raisons de compétitivité, les mesures devraient être neutres pour les finances publiques. Une part de la protection sociale devra donc être financée par d'autres ressources fiscales. Dans une perspective de consolidation fiscale, il faudrait privilégier un impôt du type taxe à la valeur ajoutée plutôt que l'impôt sur le revenu. Comme l'a montré l'expérience allemande, un impôt du type taxe à la valeur ajoutée est d'autant plus efficace que son assiette est large et son taux uniforme. Il faudrait donc s'attaquer aussi aux niches que constituent les taux réduits de taxe à la valeur ajoutée.
La France doit nous adresser le 15 avril son programme national de réformes (PNR), listant les initiatives qu'elle compte prendre pour atteindre les objectifs fixés par l'Union d'ici à 2020. Nous espérons qu'il comportera des mesures d'effet immédiat et des mesures structurelles allant dans le sens de ce qu'attend votre mission d'information.