Cette mission nous a permis d'auditionner la majeure partie des experts sur le sujet.
Je n'ajouterai rien aux propos de M. Michel Heinrich sur les « salles de consommation » qu'on ne saurait précisément réduire à de simples lieux de consommation de drogue. Elles permettent de créer du lien social. Pour avoir effectué des maraudes avec Médecins du monde, je puis dire qu'elles ne suffisent pas à détecter les plus désociabilisés des toxicomanes et à recréer du lien social avec eux.
Je regrette qu'on ne laisse pas les villes qui se sont portées volontaires – Paris, Marseille, Toulouse – expérimenter l'ouverture de telles salles. Je l'ai déjà dit : on ne peut pas distribuer des seringues stériles dans les pharmacies et accepter que, cinquante mètres plus loin, la personne se pique au vu et au su de tous sur des places publiques ou dans des parkings souterrains.
Je propose par ailleurs des corrections d'ordre technique, de peur que des spécialistes n'accusent le rapport d'avoir été mal écrit. Ainsi, page 109, le rapport évoque des substances « morphiniques » : en pharmacologie, on préfère parler d'opioïdes. Il est écrit à la même page que les traitements de substitution agissent sur les aspects « biologiques », alors qu'ils agissent en réalité sur les aspects « pharmacologiques ».
Par ailleurs, je m'étonne de lire page 116 que M. Jean-Yves Grall, directeur général de la santé, demande que soit menée « une étude épidémiologique approfondie afin d'étudier avec attention les décès liés à des surdoses de méthadone ». Comme je l'ai rappelé lors de la précédente réunion de la mission d'information, la méthadone est un agoniste total, qui sature tous les récepteurs des opioïdes ; si, donc, la personne prend aussi une autre substance opiacée, elle sera victime d'un surdosage. Le Subutex, quant à lui, s'adresse à des personnes moins stabilisées parce qu'il a, si l'on peut dire, l'avantage d'être un agoniste partiel : le consommateur qui prendra des substances non prévues par le traitement ne risquera donc pas de surdose puisque tous les récepteurs des opioïdes ne sont pas saturés. Un chef de service de l'hôpital de Toulouse, spécialiste de pharmacologie, me l'a confirmé hier au téléphone, devant M. Serge Blisko.
Par ailleurs, qu'est-ce que sortir une personne de l'addiction ? Il n'y a pas de règle générale et les corapporteurs ont raison de vouloir ouvrir toutes les possibilités de prise en charge des personnes. Est-il toutefois possible de sortir totalement de l'addiction une certaine frange de la population? Ma réponse est claire : c'est non. De même qu'on ne pourra jamais réintégrer dans le monde du travail la petite frange complètement désociabilisée de la population, de même, on ne réussira pas à sortir de l'addiction certains toxicomanes, ceux qui sont à trois grammes d'héroïne par jour depuis l'âge de quatorze ans et dont l'espérance de vie ne dépasse pas quarante ans. Tous les psychologues vous diront qu'ils ont déjà un pied dans la tombe. C'est peut-être dur à entendre, mais c'est la réalité du terrain, que j'ai connue durant quinze ans, comme M. Michel Heinrich, du reste.
S'agissant de la légalisation contrôlée, je répète ce qu'a dit M. Serge Blisko la semaine dernière : la position de M. Daniel Vaillant n'a rien à voir avec ce rapport parlementaire. Je regrette toutefois, en mon nom et au nom des signataires de la contribution des députés du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche, que le débat sur cette question ne soit pas ouvert alors même que chacun d'entre nous reconnaît que si la loi était aussi efficace qu'on le prétend, le nombre de consommateurs ne serait pas aussi élevé, ce qu'ont souligné aussi bien M. Robert Henrion dans son rapport que M. William Lowenstein. Loin de préjuger de la conclusion du débat, je me contente de faire le constat suivant : quand une loi n'est pas appliquée de la même manière selon l'origine sociale ou territoriale des personnes en infraction, la justice des adultes perd toute crédibilité aux yeux des adolescents et des jeunes.
De plus, dépénalisation n'est pas légalisation – ce n'est pas M. Jean-Paul Garraud qui me contredira. Il convient de le préciser, parce que beaucoup de Français, et même des politiques, confondent les deux notions.
S'agissant du dossier pharmaceutique, le rendre obligatoire pour les toxicomanes serait instaurer une mesure d'exception contraire à l'égalité républicaine. Nous avons rendu compte ce matin de l'expérimentation faite à Toulouse sur les toxicomanes « mégaconsommateurs » : nous avons réussi à en faire baisser le taux sans rendre le dossier pharmaceutique obligatoire. Nous étions à la limite de la loi, j'en conviens : c'est pourquoi nous attendons une adaptation de la réglementation.
Je m'élève violemment, en mon nom et au nom de mon groupe, contre la volonté, manifestée pages 66 et 68 du rapport, de cibler dès leur plus jeune âge les enfants dont les comportements sont agressifs ou déviants. Attention ! Un enfant peut avoir un comportement agressif, par exemple en raison du divorce difficile de ses parents, il ne deviendra pas pour autant un consommateur de substances illicites. Je rappel que l'Unesco a demandé des comptes à la France à propos de la base de données constituée sur les élèves. Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche sera intransigeant sur la question.
Je regrette enfin que la mission ait écarté la question de l'alcool. Il fallait certes définir un champ précis d'investigation ; toutefois, l'alcool se retrouve dans tous les cas de polyaddiction.