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Intervention de Gilbert Barbier

Réunion du 29 juin 2011 à 14h00
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat :

Je tiens à remercier nos deux coprésidents, ainsi que la corapporteure, Mme Françoise Branget. Si nous présentons chacun une partie des conclusions, elles n'en sont pas moins communes. Je remercie également l'ensemble des membres de la mission, notamment ceux du Sénat, dont certains sont en fin de mandat, ce qui entraîne pour eux un surcroît d'activité ; ainsi, Mme Marie-Thérèse Hermange a présenté hier un important rapport sur le Mediator.

Après la présentation par Mme Françoise Branget des questions touchant notamment à la prévention et aux centres d'injection supervisés, j'aborderai une autre question qui me paraît centrale : le caractère effectif de la dissuasion par la sanction. Toutefois, je souhaite auparavant compléter les propos de Mme Françoise Branget sur un point important de la réduction des risques : la question de la disponibilité de seringues dans les prisons.

Le risque d'être contaminé en prison par le virus de l'hépatite C est dix fois supérieur à celui encouru en milieu libre, et le risque de transmission des virus de l'hépatite B ou de l'immunodéficience humaine est multiplié par quatre. Les partages de matériel sont en effet systématiques en milieu carcéral. Face à cette situation, le Conseil national du SIDA, dont je suis membre, a estimé dans un avis de septembre 2009 que le dispositif de réduction des risques devait bénéficier aux personnes détenues. La peine d'emprisonnement, a remarqué le conseil, est privative de liberté, non pas de soins ni de prévention. Nous partageons cette conviction et proposons en conséquence que soient mis en oeuvre des programmes d'échange de seringues en milieu carcéral.

La question des sanctions de l'usage des drogues illicites comporte deux branches. Faut-il sanctionner ? Si oui, comment faire pour que la sanction soit plus efficace ?

Le débat sur la sanction est ancien ; il a été assez peu abordé par nos interlocuteurs mais relancé récemment par notre collègue député, M. Daniel Vaillant, qui propose de supprimer les sanctions de l'usage du cannabis et d'instituer un régime juridique de la fourniture de cannabis aux usagers. Je suis fondamentalement hostile à cette proposition car, à mes yeux, les drogues illicites, y compris le cannabis, sont des poisons – les auditions l'ont confirmé – dont il faut absolument combattre l'usage, et plus particulièrement par la jeunesse.

Vous avez lu le rapport. Je rappelle simplement qu'il n'y a pas de drogue « douce » : tous nos interlocuteurs en sont convenus peu ou prou. Le cannabis est dangereux, à l'instar des autres drogues. Je n'y reviens pas.

Cela dit, la plupart des arguments favorables à la dépénalisation de l'usage du cannabis mettent en avant non pas une supposée moindre dangerosité du cannabis mais des effets connexes de la prohibition de son usage, notamment la morbidité causée par l'absence de contrôle de la qualité des produits et le lien de causalité entre prohibition et criminalité.

Ces arguments ne convainquent pas.

S'agissant de la qualité des produits, je rappelle que ce qui est nocif, c'est la drogue et non pas tant ce qui peut lui être ajouté, qui est peu appétissant mais rarement dangereux – c'est du moins ce qui ressort des auditions. En tout état de cause, les marchés clandestins des produits restés interdits, qui se reconstitueraient nécessairement à la marge du secteur dépénalisé, seraient vraisemblablement approvisionnés par des produits plus dangereux, notamment en principe actif, que ceux qui sont actuellement proposés aux consommateurs : ces produits seraient plus concentrés et plus violents pour être plus alléchants. L'argument de la qualité des produits disponibles en régime de dépénalisation me paraît donc un leurre.

Je tiens également à remarquer qu'on a entendu parler de dépénalisation et de légalisation : ce sont, à nos yeux, deux termes synonymes.

En ce qui concerne les trafics, ne soyons pas non plus naïfs : le lien de cause à effet entre la prohibition, d'une part, la petite et la grande criminalité, d'autre part, est complexe. Il ne suffirait pas de supprimer la cause – la prohibition – pour supprimer la conséquence – la criminalité liée aux trafics : rappelons-nous la suppression de la prohibition de l'alcool aux États-Unis, qui a sans doute été largement à l'origine de la montée en puissance du trafic des stupéfiants et de la consolidation de la mafia. De la même manière, la suppression de la prohibition du cannabis susciterait l'apparition de nouveaux marchés clandestins contrôlés par les mêmes organisations criminelles ou mafieuses. J'ajoute, s'il en est besoin, que les engagements internationaux souscrits par la France ne permettent pas la légalisation de la consommation personnelle de quelque stupéfiant que ce soit.

Toutefois, ce n'est pas tout que de réaffirmer l'interdit, encore faut-il conforter son efficacité ; or notre législation laisse manifestement à désirer en la matière.

En principe, l'usage illicite des stupéfiants est sanctionné au maximum par une peine d'un an d'emprisonnement et une amende de 3 750 euros. Je pense que trop de sanction tue la sanction : est-il raisonnable de promettre à des jeunes s'essayant à un premier usage une peine de prison d'un an alors qu'ils ont du mal à se considérer comme de dangereux délinquants ? Du reste, on ne les traîne pas en prison lors de leur première interpellation en « situation » ou en possession d'une dose destinée à leur usage personnel, et c'est heureux. Ce qui l'est moins, et qui est même très regrettable, c'est que l'interpellation et la sanction épargnent ainsi des catégories entières de jeunes consommateurs – collégiens, lycéens, apprentis, étudiants, jeunes dans la vie active –, c'est-à-dire toute une population qu'il faudrait dissuader de se lancer en toute impunité dans l'expérience de la drogue. Les sanctions doivent être vraisemblables, c'est-à-dire proportionnées, et effectives, c'est-à-dire appliquées. Or, quand il y a, rarement, interpellation suivie d'une sanction, celle-ci se borne la plupart du temps à un maigre rappel à la loi, oublié aussitôt qu'infligé. Qu'en est-il dès lors de la valeur de l'interdit et du respect dû à la loi ?

C'est pourquoi je propose une stratégie de dissuasion orientée vers l'usager expérimentateur, en sanctionnant la première consommation constatée de toute drogue illicite par une amende contraventionnelle. Cette sanction remplacerait l'inapplicable peine délictuelle actuellement en vigueur dès le premier usage. En cas de deuxième interpellation, le contrevenant retomberait dans le régime délictuel actuel.

Il s'agirait d'une amende de troisième classe, dont le taux maximum est de 450 euros. Conformément au régime juridique des contraventions, il serait possible au contrevenant, et c'est tout l'intérêt de la mesure, d'empêcher le déclenchement des poursuites en réglant une amende forfaitaire de 68 euros dans un délai de quarante-cinq jours. Une sanction simple, immédiate et donc effective et crédible pourrait ainsi être appliquée par les forces de l'ordre. Cette sanction serait en outre homogène, c'est-à-dire équitable, son montant ne dépendant pas de l'appréciation d'un magistrat ou de la politique d'un parquet. Elle serait également non stigmatisante pour le primo-consommateur sanctionné, les contraventions de troisième classe n'étant pas mentionnées au casier judiciaire. En un mot, il s'agit de créer une véritable dissuasion pour un segment de population particulier, mais essentiel et qui nous intéresse en priorité, la jeunesse, population pour laquelle la réponse pénale à la violation de l'interdit est actuellement lacunaire parce qu'inadaptée aux réalités quotidiennes de la consommation de drogues illicites.

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