Je partage l'analyse présentée par mon collègue Ramon Fernandez mais, pour ma part, j'insisterai sur la dégradation de notre balance commerciale qui, entre 2000 et 2010, est passée du quasi-équilibre à un déficit de plus de 50 milliards d'euros par an, et peut-être plus encore sur la dégradation de la balance des paiements courants qui, il y a dix ans, était excédentaire d'une vingtaine de milliards et est aujourd'hui déficitaire d'environ 40 milliards. Une telle évolution, insoutenable pour notre pays, traduit une perte de compétitivité de notre appareil économique, notamment de notre appareil productif et, plus spécifiquement, de son secteur industriel. Il ne s'agit pas d'une fatalité, liée par exemple à la montée des pays émergents, puisque l'Allemagne a su améliorer sa balance commerciale au cours de la même période. Je précise qu'en ce domaine, la France se trouve dans une situation sensiblement moins grave que celles de l'Espagne et de l'Italie, comparable à celle du Royaume-Uni.
Quelles sont nos faiblesses ?
Depuis dix ou quinze ans, nos gains de productivité sont relativement modestes, surtout dans les services, puisque la productivité moyenne a augmenté de 0,7 % mais de 3 % dans l'industrie. C'est en tout cas un élément à prendre en considération.
Par ailleurs, la France présente certainement un handicap sectoriel. Au regard de la mondialisation, on peut distinguer quatre catégories : des secteurs très exposés à la concurrence internationale – textile, habillement, électronique grand public, génériques en pharmacie, acier, aluminium –, le coût de la main-d'oeuvre y étant majeur ; des secteurs en équilibre instable comme la chimie et la construction automobile ; des secteurs continentaux peu délocalisables – raffinage, production et distribution d'énergie, télécommunications – et, enfin, des secteurs que nous qualifions de « moteurs d'innovation » – industrie aéronautique et spatiale, défense, filière nucléaire, pharmacie, biotechnologie, logiciels. À mesure qu'on passe d'une catégorie à l'autre, la valeur ajoutée par emploi augmente, partant de 55 000 euros pour aller jusqu'à 90 000 euros, comme augmente en principe la participation de ces secteurs à la croissance, dans les pays occidentaux. La France est sans doute un peu faible dans la dernière catégorie, celle des « moteurs d'innovation ». Il conviendrait de renforcer notre structure d'entreprises, notamment notre structure industrielle, dans ces secteurs à forte croissance et à forte valeur ajoutée, soutenues par un fort niveau de recherche et développement. Or, comme l'a remarqué mon collègue, la dégradation des marges des entreprises françaises a freiné l'investissement, notamment en recherche et développement. Celui-ci représentait 7 % de la valeur ajoutée industrielle il y a dix ans, comme en Allemagne. Le taux est resté à 7 %, alors qu'il est passé à 10 % chez notre voisin.
Enfin, l'évolution différenciée des coûts du travail a creusé entre la France et l'Allemagne un écart de dix ou quinze points en une dizaine d'années. Comme il ne nous est plus possible de compenser ce handicap par la monnaie – par des dévaluations –, il a été envisagé de procéder à un recalage par un ajustement des prélèvements obligatoires – mission confiée par deux ministres à M. Jean-François Dehecq, vice-président de la Conférence nationale de l'industrie.
Sachant que les prélèvements obligatoires sur les entreprises sont de 16 % du PIB en France contre 8 % en Allemagne, l'idée est de regarder comment transférer des prélèvements pesant sur le travail et l'investissement vers d'autres assiettes, plus neutres vis-à-vis des importations notamment, voire plus vertueuses du point de vue environnemental – mais en prenant garde alors à de possibles distorsions aux frontières. Il ne faut pas oublier non plus les allocations familiales, issues d'un prélèvement assis sur les salaires, ce qui est une particularité quasi exclusivement française. Dans le même temps, comme l'a conseillé mon collègue, il convient bien sûr de contenir les dépenses et les prélèvements obligatoires, qui pèsent sur la compétitivité nationale.
Cette mesure de recalage est une mesure de court terme. Bien d'autres, plus structurelles, peuvent être envisagées :
– tout d'abord, encourager la montée en gamme pour se différencier d'un certain nombre de pays concurrents. Beaucoup a été fait en ce sens ces dernières années : triplement du crédit d'impôt recherche, développement des pôles de compétitivité et, plus récemment, lancement du programme « investissements d'avenir ». Mais pour qu'elle fasse sentir ses effets sur les investissements des entreprises, une telle politique devrait gagner en lisibilité. En outre, il conviendrait de ne pas s'en tenir à la recherche « amont », mais de développer aussi l'innovation de façon à favoriser l'implantation d'activités manufacturières en France. On pourrait également envisager des mesures complémentaires en faveur de secteurs émergents dynamiques tels que les biotechnologies, les technologies vertes et certaines technologies de l'information ;
– accompagner les entreprises locales, comme savent le faire nos pays concurrents, dans trois domaines : pour l'exportation, en incitant davantage les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire à se lancer ; pour l'excellence opérationnelle, ou Lean Management ; pour « l'image qualité » des produits et des services car la qualité, qui se traduit dans le prix qu'accepte de payer le client, est un facteur de différenciation de notre pays par rapport à l'Allemagne ;
– accélérer la diffusion des technologies de l'information, notamment dans les services. La France investit plutôt moins que les autres pays de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) dans ces technologies, ce qui se traduit par des gains de compétitivité moindres. Plus généralement, il convient d'accélérer la diffusion de l'innovation dans notre appareil productif, car c'est un facteur de compétitivité et de productivité ;
– renforcer la concurrence, en particulier dans les services, en s'appuyant sur la directive « Services » et sur la loi de modernisation de l'économie ;
– faciliter les financements sur fonds propres. À cet effet, les entreprises peuvent déjà recourir au Fonds stratégique d'investissement et à son volet France Investissement destiné notamment à développer le capital risque et le capital développement, mais aussi sur des mesures fiscales comme la mesure dite « Madelin » et la mesure « ISFPME ». Ce sont des outils d'autant plus utiles que l'une de nos grandes différences avec l'Allemagne, s'agissant de la structure des échanges commerciaux, tient à la faible place des entreprises de taille moyenne ou intermédiaire ;
– favoriser le travail en filière – car les Français sont par nature individualistes – en encourageant les coopérations de moyen et long termes et en évitant de se focaliser sur le seul facteur prix. Travailler en filière permet de structurer des offres qui ne peuvent être le fait d'acteurs isolés, et pour lesquelles il convient d'additionner les capacités de donneur d'ordre et de fournisseur ;
– enfin, améliorer la formation et son adéquation aux besoins de l'économie en développant l'alternance, en multipliant les interactions entre les entreprises et l'éducation nationale et en veillant à la qualité de l'orientation. Dans un certain nombre de métiers, le décalage entre les besoins et l'offre constitue encore un frein à la croissance et à l'activité économique.