La France constitue-t-elle une exception en Europe, pour ce qui est de la compétitivité ? Objectivement non : l'exception serait plutôt allemande. Reste que nous sommes à cet égard sur la pente descendante, cependant que nos dépenses sociales restent plus élevées que celles de nos voisins.
Au cours de la dernière décennie, notre pays a perdu des parts de marché à un rythme proche de celui qu'on observe dans le reste de la zone euro – notre performance à l'exportation a baissé en moyenne de 2,4 % par an entre 2000 et 2008, et celle des pays du coeur de la zone euro, hors Allemagne, de 1,9 % –, mais, dans le même temps, l'Allemagne améliorait, elle, ses résultats de 1,2 % par an, si bien que l'écart avec notre voisin s'est creusé.
Ce décrochage, abondamment documenté, s'explique par une divergence des coûts salariaux, liée à un problème de compétitivité-coût. Aujourd'hui, notre coût salarial horaire dans l'industrie manufacturière, qui est de 33 euros, est à un niveau très proche de celui de l'Allemagne, laquelle a fait un effort gigantesque afin de compenser le coût de la réunification. En revanche, le coût des services reste à un niveau significativement supérieur en France. Or l'industrie manufacturière repose aussi sur les services.
Le problème de compétitivité-prix se pose de façon moins criante, notamment parce que nos entreprises ont comblé, en baissant leurs marges, cet écart de compétitivité lié aux coûts. Ainsi, au cours de la même période 2000-2008, notre compétitivité par rapport à l'Allemagne, qui s'est dégradée de 15 % sur les coûts, n'a diminué que de 5 % sur les prix. Mais l'effort consenti sur les marges se traduit par une diminution de l'effort de recherche et développement (R & D) et de l'investissement, ce qui peut expliquer une partie de notre handicap sur les autres déterminants de la compétitivité, la compétitivité hors-coût et hors-prix, où nous avons également perdu du terrain.
En matière de protection sociale, la situation de la France est un peu particulière.
Premièrement, nos dépenses sont notablement plus élevées que chez nos quinze principaux partenaires européens : en 2008, nous y consacrions 31 % de notre PIB, contre 27 % pour eux, en moyenne. Signalons accessoirement que, malgré un mouvement général plutôt orienté à la hausse, quelques pays – dont le Royaume-Uni, les pays nordiques et l'Allemagne – ont stabilisé, voire réduit le poids de ces dépenses de protection sociale au cours des dernières années.
Deuxièmement, notre protection sociale est financée à 65 % par des cotisations, alors que la moyenne chez nos principaux partenaires est de 58 %. Même si cette moyenne masque des différences importantes en fonction de l'histoire de chaque pays et des modèles d'organisation, il reste que notre mode de financement fait peser davantage que les leurs l'effort sur le travail, c'est-à-dire sur l'emploi. Remarquons cependant qu'entre 1997 et 2008, le poids relatif des cotisations a diminué de six points en France, ce qui se traduit par un timide début de convergence avec nos partenaires européens.
Quel lien établir entre notre compétitivité et le financement de notre protection sociale ? D'innombrables rapports ont été produits sur le sujet, notamment en 2007, à la suite de débats qui avaient défrayé la chronique, mais sans apporter de réponse. Où en est-on aujourd'hui ? Faut-il modifier les modalités de financement de notre protection sociale ?
En premier lieu, il convient de maîtriser les dépenses : le poids des prélèvements obligatoires dans notre pays – environ 43 % – est supérieur à la moyenne de nos principaux compétiteurs, qui se situe autour de 39 %. Au reste, la nécessité où nous nous trouvons d'assainir nos finances publiques ne nous laisse guère le choix !
Doit-on, pour parvenir à cette maîtrise, changer les assiettes, ou du moins les faire évoluer ? On peut se demander, par exemple, pourquoi la politique de la famille est financée par des cotisations assises sur le travail. Mais, pour s'en tenir à des considérations strictement économiques, il faut bien voir qu'une réduction des charges pesant sur le travail favoriserait l'emploi et améliorerait la compétitivité des entreprises, dans la mesure, évidemment, où les taxes appelées à compenser ces baisses de cotisation ne viendraient pas en annuler les effets positifs – il ne faut donc pas se tromper dans le choix d'une recette de substitution.
Les pays voisins nous offrent des exemples intéressants. L'Italie a compensé en 1998 la suppression des cotisations santé des employeurs, assises sur le travail, par un nouvel impôt régional sur les activités productives. La Suède s'est engagée sur une autre voie, entre 2001 et 2006, en verdissant sa fiscalité par la hausse des taxes environnementales. L'Allemagne, en 2007, a relevé sa taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de trois points, ce qui lui a rapporté 24 milliards d'euros ; en même temps, elle a baissé de 1,6 point, et de 11,5 milliards, les cotisations sociales. Cette « TVA sociale » a donc servi à la fois à restaurer la compétitivité et à redresser les comptes publics. De la même façon, en fiscalisant une partie des cotisations de sécurité sociale avec la contribution sociale généralisée (CSG), la France a fait évoluer, quoique à un moindre degré, la structure de ses prélèvements.
Quelles seraient les conditions à remplir pour poursuivre dans cette voie ?
D'abord, il faut déterminer si ce sont les cotisations salariales ou les cotisations patronales que l'on souhaite baisser. Les effets ne sont évidemment pas les mêmes dans les deux cas. À court terme, la baisse des cotisations sociales des employeurs, de loin les plus importantes, permettrait de stimuler à la fois l'emploi et la compétitivité. La baisse des cotisations salariales améliorerait, quant à elle, le pouvoir d'achat.
Ensuite, il convient de déterminer quels régimes sociaux seraient concernés. On sait par exemple que, s'agissant des cotisations salariales, les taux appliqués dans les branches Maladie et Famille sont déjà presque nuls. J'éviterai d'entrer trop dans les détails à cet égard, mais il faut au moins distinguer entre les différents étages de notre protection sociale. S'agissant de la sécurité sociale au sens strict, compte tenu des allégements de charges déjà consentis, une nouvelle baisse des cotisations ne pourrait jouer que sur des rémunérations nettement supérieures au salaire minimum de croissance (SMIC) – au-delà de 1,6 SMIC. L'effet sur l'emploi serait, de ce fait, limité. Dès lors, faut-il plutôt agir sur le deuxième étage qui rassemble régimes obligatoires, complémentaire vieillesse, assurance chômage et une myriade de contributions, qui, additionnés, finissent par peser assez lourd comme l'a remarqué récemment la Cour des comptes dans son rapport où elle comparait la France et l'Allemagne ?
L'option couramment avancée consiste à faire baisser les taux de droit commun de sécurité sociale. C'est bon pour la compétitivité, mais ce n'est pas forcément ce qu'il y a de meilleur pour l'emploi, je le répète, en raison des allégements de charges existants sur les bas salaires.
Une autre option consisterait à alléger les charges des employeurs qui financent les grands régimes paritaires. Concevable en théorie, une telle mesure risquerait d'avoir de très lourdes conséquences en termes de gouvernance.
Mais il reste de la place pour des actions plus techniques. Par exemple, on pourrait bouger les curseurs des allégements de charges dans toutes sortes de directions, pour essayer d'avoir un impact plus marqué sur l'emploi.
Pour compenser ces baisses de charges, quelles taxes ou contributions relever ? Chaque solution présente des avantages et des inconvénients. Relever la taxe sur la valeur ajoutée pénaliserait le pouvoir d'achat des actifs dans la mesure où cela aurait nécessairement un impact sur les prix, variable en fonction du contexte plus ou moins inflationniste et du degré de concurrence dans l'économie. Augmenter la contribution sociale généralisée serait s'inscrire dans le prolongement des réformes des années quatre-vingt-dix mais, comme il n'y a pratiquement plus de cotisations salariales pour les prestations de nature universelle, toute hausse de la contribution sociale généralisée réduirait le salaire net et donc le pouvoir d'achat. Enfin, on pourrait agir sur les taxes « carbone » et les taxes comportementales, celles dont on dit qu'elles apportent un double dividende, parce qu'elles procurent des recettes tout en contribuant à faire évoluer les comportements.
En conclusion, il faut d'abord agir sur la dépense, comme l'ont dit ici ceux qui sont en charge des différents régimes ; ensuite, si l'on décide de faire évoluer les recettes, définir clairement les objectifs que l'on poursuit, en les hiérarchisant ou en arbitrant entre eux – par exemple entre pouvoir d'achat, emploi et compétitivité ; enfin, dégager la meilleure des options.
Je laisserai à M. Luc Rousseau le soin de parler de ce que l'on fait, ou de ce que l'on doit encore faire, pour améliorer notre compétitivité économique. Je me bornerai ici à citer quelques outils susceptibles d'y contribuer : la loi de modernisation de l'économie, en particulier son volet « concurrence » ; les incitations à développer la recherche-développement (R&D) – crédit d'impôt recherche, réforme des universités… –, la réforme de la taxe professionnelle et l'accompagnement de nos entreprises, notamment des petites et moyennes entreprises, à l'exportation grâce aux plans Export, à la Coface et à UbiFrance.