Je vais m'exprimer également au nom de la CGT-RATP.
Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames, Messieurs les députés, nous voudrions au préalable préciser que nous n'avons pas pu préparer cette rencontre dans les meilleures conditions, puisque nous n'avons été convoqués que tardivement – juste avant les fêtes de fin d'année.
La volonté de la commission de limiter ses travaux à la question du RER nous interpelle. En effet, le constat relatif aux dysfonctionnements du réseau nous parait devoir s'inscrire dans une réflexion plus globale sur les infrastructures ferroviaires en Île-de-France, qu'elles soient exploitées par la RATP ou la SNCF et qu'elles concernent les voyageurs ou les marchandises, du moins si on veut travailler de façon cohérente et prendre en compte les attentes et les besoins des Franciliens. Bien plus, on ne saurait traiter de façon objective la question des transports en Île-de-France sans prendre en compte la place de cette région dans l'ensemble du territoire, en termes de PIB comme sur le plan démographique, mais aussi son rôle dans les transports tant nationaux qu'européens.
Nous voudrions d'abord revenir sur les causes de la situation actuelle. Nous payons aujourd'hui plus de trente ans de retard d'investissement dans les infrastructures : du fait du désengagement de l'État, en dépit des évolutions positives que l'on constate depuis le changement de gouvernance du STIF et l'implication du conseil régional d'Île-de-France.
À ce désengagement de l'État s'est ajoutée la création de Réseau ferré de France (RFF) en 1997, sous le gouvernement de M. Juppé. Cette institution, que notre syndicat a toujours combattue, a été un frein à la rénovation du réseau et à la création de nouvelles infrastructures – beaucoup de celles prévues dans les différents contrats de plan entre l'État et la Région ne sont toujours pas mises en oeuvre. La CGT continue à demander l'abolition des dispositions législatives ayant permis la création de RFF, alors qu'une simple séparation comptable aurait suffi. La question du désendettement du système ferroviaire reste entière. Elle est même devenue un enjeu politique majeur depuis que le Grenelle de l'environnement a fait de l'évolution du transport ferroviaire dans notre pays et en Île-de-France un de ses objectifs. Il est établi aujourd'hui que la création de RFF a nui au développement et à la régénération du rail dans notre pays. Pour nous, RFF doit réintégrer la SNCF !
De même, la désignation par la loi de la RATP comme gestionnaire d'infrastructures, non seulement n'améliore pas la situation mais génère des coûts supplémentaires qui pénalisent l'investissement. Puisque nous avons la chance d'avoir, en Île-de-France, deux grandes entreprises nationales de transport, pourquoi ne pas les faire coopérer plutôt que de les placer en concurrence ? Ce n'est pas en fragilisant ces deux entreprises et le service public qu'elles assurent, en ouvrant à la concurrence les transports régionaux, en privatisant les transports publics qu'on fera évoluer la qualité des transports en Île-de-France.
La maîtrise publique du système de transport est nécessaire. Elle est tout à fait elle possible. Il s'agit d'un choix politique. Le service public de transports a besoin d'être renforcé.
C'est pourquoi la CGT propose depuis plusieurs années la création d'un pôle financier public afin de réorienter les ressources, les financements et l'épargne vers l'investissement à finalité sociale et le développement durable, en lieu et place de la spéculation financière. Il faut mettre à contribution ceux qui profitent – au sens de « faire du profit » – des équipements publics et du transport, telles l'industrie du tourisme, la grande distribution, les zones d'hyper concentration de bureaux, comme La Défense.
Il faut étendre le versement transports à toutes les entreprises. Il faut également réformer la fiscalité du transport professionnel, afin que celle-ci prenne en compte les coûts externes – pollutions, nuisances, coûts d'infrastructures, coûts des accidents, etc. – aujourd'hui à la charge de la collectivité. Il faut en effet rappeler avec force que le transport le plus subventionné c'est le transport routier des marchandises et des voyageurs. Que l'État arrête, en outre, de siphonner les caisses des entreprises publiques comme la SNCF, qui a reversé depuis 2009 600 millions d'euros à l'État, et le financement des infrastructures publiques pourra rester public, comme il doit l'être. Nous sommes totalement opposés aux formules du partenariat public privé, le PPP. Elles conduisent à une privatisation des infrastructures dont on connaît les effets négatifs notamment sur le plan financier.
Il faut par ailleurs mettre fin à la réduction des effectifs, tant à la RATP qu'à la SNCF – à la RATP, 700 postes ont été supprimés pour la seule année 2011 ; la situation est similaire à la SNCF. Bien plus, il faut accroître le nombre des personnels qui travaillent à l'entretien de l'infrastructure et des matériels, dans les gares et les stations, si on veut améliorer la qualité du service et la régularité ; sans oublier la sécurité des personnes et des biens, qui est pour nous une priorité. On pourra ainsi remédier à la déshumanisation des gares, renforcer la présence dans les trains d'agents à statut, et lutter contre les incivilités, qui ont également un impact sur les retards.
Je voudrais ici saluer le savoir-faire de ces deux entreprises et l'investissement des personnels. Sans eux rien ne fonctionnerait. Sur la ligne A, c'est dix millions de déplacements quotidiens, 1,2 million de voyageurs par jour ouvrable ; 290 millions par an. À la station Châtelet, ce sont 900 voyageurs à la minute. Sur la ligne D, le nombre de voyageurs a progressé de 40% en huit ans, de 30% sur la ligne B. Or, cette explosion du trafic est assurée par les mêmes infrastructures qu'il y a quarante ou cinquante ans. Ces chiffres permettent de mesurer l'insuffisance des investissements et l'état de sous-effectif permanent. Assurer le service public dans ces conditions constitue quasiment une prouesse quotidienne, tant à la RATP qu'à la SNCF. À cela s'ajoutent les réorganisations permanentes, plus particulièrement à la SNCF, qui désorganisent complètement la production : elles entraînent la perte de savoir-faire et la réduction de la réactivité. Celles-ci ont des répercussions délétères, non seulement sur la vie quotidienne des usagers, mais aussi sur les conditions de travail des personnels de plus en plus en souffrance en Île-de-France.
Si nous voulons améliorer les conditions de transports des Franciliens, il faut aussi arrêter de créer de nouveaux besoins de transports. Cela pose la question de l'aménagement du territoire, du logement et de son coût. En Île-de-France, les temps de transports journaliers sont d'une heure trente en moyenne. Sur la ligne A, complètement saturée, plus de 70% des transports sont traversants. L'arrivée potentielle de 35 000 à 60 000 nouveaux salariés sur la dalle de La Défense va encore aggraver significativement la situation.
On ne saurait parler d'aménagement du territoire sans évoquer le projet de Grand Paris. À nos yeux, il s'agit d'abord et surtout du projet capitalistique de création d'une métropole financière de rang mondial, dont la majorité des Franciliens n'a rien à en attendre en matière de logement, de services publics ou pour leurs transports. Il en est de même du projet Grand Paris Express. Si on doit se féliciter de l'instauration de dessertes supplémentaires de proximité grâce à l'action conjuguée d'élus locaux, d'usagers et de la population, ce projet reste loin de répondre aux attentes et besoins. Il va au contraire renforcer les inégalités, au détriment notamment des populations moins bien dotées en matière de transports collectifs.
Les déplacements en voiture ne représentent que 13% des déplacements dans Paris intra muros, contre 43% des déplacements pour l'ensemble des Franciliens. Persister dans la voie de l'hyper concentration de lieux de travail, souvent le fruit de délocalisations, complètement déconnectées de l'habitat et des lieux de vie, continuer à implanter des centres commerciaux au milieu des champs de betterave, c'est augmenter les besoins de transports et multiplier les coûts. Par ailleurs, le projet du Grand Paris ignore le transport de marchandises. Si nous ne voulons pas atteindre un point de non-retour, il est nécessaire de constituer des réserves foncières en préservant pour le fret des sites et des voies ferrées, qui pourront aussi servir pour le transport de voyageurs
Améliorer la situation suppose des solutions à court terme et à moyen et long terme.
À court terme, il faut augmenter les effectifs pour assurer une meilleure maintenance des infrastructures, renforcer les astreintes, notamment de proximité, pour assurer une plus grande réactivité en cas d'incident. Il faut revoir l'organisation des roulements, détendre les journées de travail comme le roulement des rames, augmenter le nombre des agents de réserve, particulièrement à la conduite. Il faut consacrer également des effectifs supplémentaires à l'entretien du matériel qui subit les conséquences d'une perte du savoir-faire. Le problème d'essieux qui a récemment perturbé le trafic sur la ligne D illustre la désorganisation provoquée par les réformes mises en place à la SNCF. Ce sont là des situations que l'on peut résoudre rapidement, pourvu qu'on en ait la volonté.
Sur le moyen et long terme, des projets prévus depuis longtemps par les contrats de plans État-Région commencent à être mis en oeuvre, grâce notamment à l'engagement des élus régionaux : je pense au programme IMPACT sur la ligne D, ligne classée sensible, au projet RER B + ou encore à l'arrivée de nouvelles rames sur la ligne A. D'autres travaux prévus de longue date doivent être immédiatement engagés, comme le dédoublement du tunnel entre Châtelet et la Gare du nord pour désengorger les lignes B et D.
Il faut quadrupler la ligne 1 entre Lagny et Meaux, augmenter le nombre de rames sur la ligne E et la prolonger jusqu'à La Défense. Sur la ligne C, nous demandons le sextuplement des voies de Paris à Brétigny, qui est inscrit au schéma directeur depuis 1992. Il faut aussi prolonger cette ligne jusqu'à l'intérieur du Marché d'intérêt national (MIN) de Rungis. Il faut également renouveler les sous-stations électriques. Pour les lignes N et U, classées sensibles, nous demandons depuis des années la création d'un « saute-mouton » à Porchefontaine et des travaux de rénovation, notamment à Versailles. Il faut favoriser les interconnections en développant les tangentielles, travailler à un périphérique ferroviaire de Grande Couronne. La réouverture de la Petite Couronne ferroviaire est aussi une perspective intéressante. Il faut cependant savoir qu'il se passe plus de dix ans entre le lancement d'un projet et sa réalisation, ce qui fait que, bien souvent, une infrastructure est saturée dès sa mise en service.
S'agissant du matériel, nous constatons que l'engagement du conseil régional, en collaboration avec la RATP et la SNCF a permis au cours de ces dernières années un progrès, tant qualitatif que quantitatif, mais on doit encore amplifier la démarche si on veut qu'elle soit à la hauteur des besoins.
Concernant la maintenance, il faut stopper la tendance à recourir toujours plus à la sous-traitance. Il faut renforcer l'intégration de la maintenance au sein des entreprises publiques de service public : elle a fait ses preuves en matière d'efficacité sociale et économique. Le problème des essieux sur la ligne D et, plus récemment, la découverte d'amiante sur la ligne B posent la question de la pérennité de la rénovation du matériel ferroviaire en France.
Telles sont les solutions si on veut endiguer les déplacements routiers en Île de France et diminuer l'émission des gaz à effet de serre.
Nous espérons que la mise en place de cette commission d'enquête permettra un travail objectif ; l'enjeu des transports dépassant largement des échéances électorales. C'est pourquoi la CGT demande la tenue d'Assises consacrées aux transports collectifs en Île-de-France qui réuniraient le Gouvernement, des élus, les collectivités territoriales, les usagers et les organisations syndicales.