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Intervention de Xavier Bertrand

Réunion du 22 juin 2011 à 16h00
Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la sant :

Pour les politiques sociales comme pour les politiques de l'emploi, il faut à chaque fois se poser la question de l'efficacité. Si je suis aussi engagé, depuis 2004, dans la lutte contre les fraudes et les gaspillages, c'est parce qu'elles représentent un coût dont nous ne pouvons plus nous permettre le luxe. Avec ces milliards d'euros dépensés en pure perte, je préférerais diminuer les déficits ou mieux rembourser certains actes. Le chiffre avancé par le rapport de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) sur la fraude sociale ne me surprend pas : j'ai toujours dit que la fraude, au sens large, atteignait 30 à 35 milliards d'euros. Or la fraude fiscale est passée de 15 à 16 milliards d'euros. Quant aux sommes que nous économisons grâce à la lutte contre la fraude, elles ne constituent que la partie émergée de l'iceberg. S'agissant de la pertinence de certaines politiques, le débat n'est donc pas illégitime.

Les systèmes de gouvernance de la protection sociale sont-ils complètement obsolètes ? Je n'en suis pas sûr. Il faut maintenir le paritarisme, voire les négociations tripartites. Lorsque les partenaires sociaux se mettent d'accord entre eux et avec l'État, ils parviennent à trouver de bonnes solutions, comme pour le contrat de sécurisation professionnelle. Le système de gouvernance de l'assurance maladie, qui avait fait couler beaucoup d'encre en 2004, me semble aujourd'hui concilier le respect des partenaires sociaux et l'exigence d'efficacité. Cela étant, des évolutions restent possibles. Faut-il rester dans un strict paritarisme ou faut-il établir des passerelles avec d'autres organisations ? L'essentiel demeure de ne pas adopter une approche idéologique.

La loi « Larcher » nous impose le dialogue social dans tous les cas. Mais il ne s'agit pas d'opposer la légitimité politique et la légitimité sociale. L'élection présidentielle sera l'occasion pour chacun d'exprimer la direction dans laquelle il souhaite aller, mais le meilleur moyen pour y aller reste la négociation. Ce qu'il faut, c'est la volonté d'aboutir.

Les effets de seuil sont un thème sur lequel la négociation doit avancer. Il existe aujourd'hui huit seuils, générant une quinzaine d'obligations différentes. Le fait que les petites et moyennes entreprises allemandes réussissent mieux que les françaises tient à plusieurs facteurs, dont l'efficacité du financement de l'économie régionale et le recours systématique à l'export – notamment vers les marchés émergents. Mais les seuils fiscaux, sociaux, voire psychologiques jouent également pour beaucoup. De nombreux entrepreneurs hésitent à passer de 48 salariés à 52. Ils savent qu'ils devront miser une certaine somme, parce qu'ils seront obligés de se mettre à niveau avant même de savoir s'ils obtiendront des marchés en accroissant leur taille. Faut-il un dispositif de lissage ou de gel temporaire des obligations, de façon à éviter cette mise de départ ? Seule la négociation peut permettre d'avancer sur le sujet. En tout état de cause, les effets de seuil font partie des freins qui entravent la transformation de nos petites et moyennes entreprises en entreprises de taille intermédiaire et les empêchent de rivaliser avec leurs concurrentes allemandes.

Nous ne devons pas compliquer la tâche de nos grands groupes, mais au contraire les aider à devenir des leaders mondiaux. Quant aux très petites entreprises, on peut désormais les créer beaucoup plus facilement. L'institution des auto-entrepreneurs a été, à cet égard, une mesure forte. De même, les dispositions prises par M. Renaud Dutreil en direction des « gazelles » ont permis de changer la donne. Mais il faut que les petites et moyennes entreprises deviennent beaucoup plus grandes. Or, elles doivent faire face à de nombreuses résistances.

J'en reviens à la question de la durée du travail. Nous devons augmenter la quantité de travail en France. Mais les règles actuelles en matière de droit du travail ne l'empêchent pas, contrairement à ce qu'affirment certains.

L'instabilité de la norme, qu'elle soit fiscale ou sociale, constitue un autre grand problème, dans notre pays. Chaque projet de loi de finances, chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale est un véritable concours Lépine : les administrations sont souvent tentées de ressortir des projets qui encombrent leurs tiroirs, et de nombreux parlementaires en rajoutent avec leurs amendements. Or, dans notre système médiatique, même si un projet n'aboutit pas totalement, il suffit à susciter une inquiétude et à donner le sentiment de remettre en cause l'état de la réglementation. De nombreux entrepreneurs regrettent que les règles changent aussi souvent, car pour investir, il faut de la visibilité, et donc de la stabilité.

Il faudrait faire en sorte de ne pas modifier les règles pendant une certaine période, sauf événement exceptionnel. Mais comment ? Conventionnellement ? Je n'y crois pas. Constitutionnellement ? Cela semble complexe, comme le montre la difficulté à mettre en place la « règle d'or » en matière de finances publiques. Il faudrait que chacun laisse de côté les réflexes idéologiques et partisans. Quoi qu'il en soit, il faut en finir avec une instabilité chronique dont les effets sont désastreux.

L'application du programme du parti socialiste, monsieur Marc Laffineur, représenterait un danger mortel pour notre économie et notre compétitivité. Je ne sais pas d'ailleurs qui en assume vraiment la responsabilité – on reste dans les grandes déclarations. Le retour à la retraite à soixante ans coûterait 20 milliards d'euros par an, et nous ne sommes pas en mesure de financer des emplois-jeunes, dont le coût serait probablement de plus de 5 milliards d'euros. Dans ces conditions, on peut oublier tous les discours sur la réduction de la dette.

Les exonérations de charges font l'objet de nombreux débats. Mais une étude du Conseil d'orientation pour l'emploi, dont les résultats n'ont jamais été démentis, chiffre à 800 000 le nombre d'emplois maintenus ou créés grâce aux allègements « Fillon ».

M. Pierre Méhaignerie me demande quelle serait ma priorité parmi des sujets tels que l'innovation, la place de l'industrie, la formation professionnelle et le coût du travail. Tout est lié, mais pour moi, le coût du travail reste une question fondamentale, si nous voulons maintenir et créer des emplois. Cela ne signifie pas, bien sûr, que les autres préoccupations citées ne soient pas importantes.

Cela étant, nous devons aussi mener un combat international en faveur d'un socle de protection sociale et du respect des normes en la matière. Je lisais aujourd'hui une étude selon laquelle de nombreux pays en voie de développement atteindraient en 2017 des niveaux de charges et de salaires tels que la compétition ne serait plus disproportionnée comme elle l'est aujourd'hui. Mais, en attendant, nous devons agir vite sur le coût du travail.

Quant à l'attitude des Français à l'égard de l'industrie, elle ne relève pas de la fatalité. La logique qui a inspiré M. Christian Estrosi avec les États généraux de l'industrie doit être poursuivie. Ce n'est pas que les Français n'aiment pas ce secteur, mais de nombreux responsables économiques ont pensé naguère que l'on trouverait plus de valeur ajoutée dans les services. Les Anglais ont tenu ce raisonnement avec la finance, et les Espagnols avec l'immobilier. Mais dans un pays comme la France, où le secteur primaire compte toujours beaucoup, se priver du maillon essentiel de la chaîne économique qu'est le secteur secondaire serait une folie. Nous l'avons vu pendant la crise : ceux qui avaient mis tous leurs oeufs dans le même panier se sont retrouvés à genoux. L'intérêt de notre pays est de conforter son industrie en choisissant les marchés et en se développant dans les pays émergents.

En tout état de cause, on se tromperait lourdement si on pensait que le secteur tertiaire profiterait d'un affaiblissement du secteur secondaire. Si l'emploi industriel a reculé dans notre pays, c'est aussi, en effet, à cause des externalisations. Dans de nombreuses entreprises, la restauration, le gardiennage sont des emplois que l'on considérait hier comme industriels et qui ne le sont plus aujourd'hui. Dans une rue de ma ville, j'ai compté jusqu'à 5 000 emplois liés au textile ; aujourd'hui, il n'y en a plus que 50, tous dans le commerce. Tout a disparu avec l'industrie textile, mais il n'est pas trop tard pour relancer le secteur secondaire.

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