La campagne de vaccination contre la grippe H1N1 a été le baptême du feu pour l'établissement que je dirige depuis octobre 2008.
L'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires a été créé par la loi du 5 mars 2007 relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur, elle-même précisée par le décret du 27 août 2007.
L'ÉPRUS a pour mission, à la demande du ministre chargé de la santé, d'acquérir, de fabriquer, d'importer, de distribuer et d'exporter des produits et services nécessaires à la protection de la population face aux menaces sanitaires graves.
Par un heureux hasard, l'ÉPRUS a eu le statut d'établissement pharmaceutique un mois avant le déclenchement de la campagne sur laquelle enquête votre commission.
L'ÉPRUS est intervenu, à la demande de la ministre de la santé, dans l'approvisionnement et la distribution de produits et services nécessaires à la protection de la population face à la menace de pandémie grippale.
Plus précisément, l'ÉPRUS a procédé à l'acquisition des vaccins et des articles consommables nécessaires à la campagne de vaccination, a assuré la prise en charge des vaccins mis à disposition ou livrés par les fabricants dans des conditions garantissant leur sécurité et a conçu, en liaison avec sa tutelle, un dispositif logistique permettant de les stocker et de les distribuer dans des conditions garantissant à la fois le respect des conditions réglementaires de conservation et de l'impératif de traçabilité, la réactivité nécessaire à un ravitaillement efficace et adapté à la demande, l'adaptation possible de ce schéma logistique à la situation géographique des sites à ravitailler et aux acteurs susceptibles d'entrer en jeu.
L'ÉPRUS a, enfin, procédé aux modifications unilatérales de contrat demandées par le ministère et motivées par l'intérêt général – épisode que je suis en train de dénouer actuellement.
Les premières discussions avec les fabricants de vaccins ont été menées par le ministère. Elles avaient pour objet de déterminer la capacité de ceux-ci à honorer les besoins de l'État dans des délais et conditions satisfaisants. Des lettres d'intention non contractuelles, précisant les volumes et délais souhaités pour les acquisitions envisagées, ont été adressées aux laboratoires consultés.
La ministre de la santé m'a alors demandé d'initier des négociations en vue de l'acquisition de vaccins dirigés contre le virus H1N1 auprès de quatre fabricants : GlaxoSmithKline (GSK), Baxter, Sanofi et Novartis. À sa demande, j'ai associé à ces négociations le directeur de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et le président du Comité économique des produits de santé (CEPS).
Par courrier en date du 6 juillet 2009, la ministre de la santé m'a demandé de mener toutes les actions nécessaires en vue de signer des contrats avec ces quatre laboratoires.
Deux procédures ont été mises en oeuvre.
La première a consisté en l'affermissement des tranches conditionnelles prévues dans des marchés publics préexistants conclus avec Sanofi-Pasteur, d'une part, et avec Novartis, d'autre part, dans le cadre du plan pandémie grippale. Ces marchés ont été transférés à l'ÉPRUS en juillet 2009. L'apparition du virus H1N1 et le déclenchement du niveau 5 puis du niveau 6 d'alerte par l'OMS justifiaient la mise en oeuvre de ces deux marchés. À cette fin, l'objet des premières tranches conditionnelles prévues par ces marchés a été précisé pour permettre la fourniture d'un vaccin contre le virus H1N1 dans les meilleurs délais. Les commandes passées ont pris la forme d'avenants aux marchés initiaux : un avenant n° 3 au marché public conclu avec Sanofi-Pasteur, concernant 28 millions de doses à 6,25 euros hors taxe, a été transmis le 8 juillet 2009 ; un avenant n° 4 au marché public conclu avec Novartis, concernant 16 millions de doses à 9,34 euros hors taxe, a été notifié le 29 juillet 2009. Ces commandes fermes étaient assorties de tranches conditionnelles permettant de porter, en cas de besoin, le nombre total de doses commandées de 94 millions à 130 millions.
La seconde procédure a consisté en la conclusion de marchés publics, sur le fondement du 7° de l'article 3 du code des marchés publics, avec le laboratoire GSK – l'accord a été notifié le 15 juillet 2009 pour 50 millions de doses au prix unitaire de 7 euros hors taxe – et avec Baxter pour 50 000 doses au prix de 10 euros hors taxe.
Dans ces deux derniers cas, la ministre m'ayant demandé de recourir aux dispositions du code des marchés publics afin que les approvisionnements de vaccins contre le virus H1N1 s'effectuent dans les conditions élevées de confidentialité, de rapidité et de sécurité qu'exigeait la protection des intérêts essentiels de l'État, j'ai conclu des contrats avec ces laboratoires sur la base des dispositions du 7° de l'article 3 du code des marchés publics, qui instaure une exclusion du champ d'application du code pour les contrats dont l'exécution doit s'accompagner de mesures particulières de sécurité ou pour lesquels la protection des intérêts essentiels de l'État l'exige, et qui autorise à ce titre la conclusion de marché sans publicité ni mise en concurrence.
Les circonstances exceptionnelles dans lesquelles étaient envisagées ces acquisitions m'ont paru justifier pleinement cette forme de marché. En effet, face à l'émergence d'une pandémie grippale dont l'impact prévu sur les populations était redoutable, de très nombreux États ont sollicité dans l'urgence les laboratoires susceptibles de fabriquer un vaccin dirigé contre le virus H1N1. Cette situation conduisait à une mise en concurrence globalisée, chacun des États tentant d'obtenir, dans les meilleures conditions possibles, un stock suffisant de doses de vaccin destiné à sa population.
Par ailleurs, la tension du marché, marqué par une demande supérieure à l'offre, était renforcée par l'imminence de la pandémie grippale en Europe – prévue pour septembre 2009 –, associée aux délais incompressibles de fabrication et de commercialisation des vaccins.
Dans ce contexte, il était impératif pour l'État de garantir une stricte confidentialité des conditions d'exécution des contrats pour préserver la confidentialité des informations relatives aux conditions économiques et aux calendriers de production et assurer la sécurité des approvisionnements, des sites de production, de stockage et de livraison. L'objectif poursuivi était d'éviter que ne surviennent des agissements susceptibles de troubler l'ordre public, ou que des personnes mal intentionnées n'aient accès à des informations sensibles.
La répartition des commandes entre les quatre laboratoires s'est faite selon les capacités de ces derniers, en privilégiant les offres les plus robustes, les prévisions de livraisons de quantités significatives dans les délais les plus courts possibles et les conditions les moins onéreuses pour l'État.
Il fallait également prévoir une vaccination adaptée aux différents types de populations visées : vaccins non adjuvés et adjuvés, culture sur oeuf ou culture cellulaire, multi-doses et mono-dose.
À ce stade, il faut souligner que les laboratoires proposaient tous un schéma vaccinal à deux injections. À partir du moment où l'État avait décidé de couvrir l'ensemble de la population, il devait disposer de suffisamment de doses de vaccins pour vacciner potentiellement 65 millions de personnes, soit 130 millions de doses – cible atteinte par l'ajout de tranches conditionnelles. Les laboratoires proposaient une présentation unique des vaccins en multi-doses – GSK et Baxter – ou comportant en proportion très faible des mono-dose : Sanofi, à hauteur de 300 000 doses, et Novartis, dont l'offre était limitée à 10 % de la commande, soit 1,6 million de doses.
Malgré l'insistance de l'ÉPRUS, aucun des laboratoires ne pouvait, au moment de la signature des contrats, s'engager à offrir une alternative plus importante en mono-dose, compte tenu des incertitudes pesant alors sur leur capacité à produire des volumes aussi importants dans des délais aussi contraints. De fait, seul le laboratoire Novartis a pu proposer en octobre, par un avenant notifié le 13 octobre, une augmentation du pourcentage de mono-dose prévu dans la commande initiale. Au total, ce laboratoire a fourni, entre le 12 novembre et le 7 janvier, 5,8 millions de doses réparties sur neuf livraisons, ces mono-dose étant pour la plupart sous présentation collective, c'est-à-dire dans des boîtes de 10 seringues.
Comme cela était exigé par l'État, les contrats visaient expressément l'acquisition de vaccins autorisés à être mis sur le marché, ces AMM garantissant en particulier l'efficacité et l'innocuité des vaccins. Cette exigence rajoutait aux incertitudes de production du vaccin, des aléas pouvant survenir dans le cadre de l'instruction du dossier d'AMM, et renforçait le caractère indicatif des échéanciers de livraison.
Les livraisons de vaccins ont été dans l'ensemble plus tardives que ce qui était prévu à la signature des contrats.
La première mise à disposition a été effectuée par GSK le 9 octobre : 1,072 million de doses. À la fin du mois d'octobre, le stock détenu par l'ÉPRUS n'était alimenté que par ce laboratoire et atteignait 4,205 millions de doses.
Les premières livraisons des autres fabricants sont intervenues dans la semaine 46, c'est-à-dire du 9 au 15 novembre. Elles concernaient le Panenza – vaccin non adjuvé – de Sanofi pour 1,1 million de multi-doses et 300 000 mono-dose, et le Focetria de Novartis pour un peu plus de 1 million de doses, dont 450 000 en présentation mono-dose. Ce vaccin qui, du fait de son conditionnement par 100 doses ou par 10 doses et sa présentation prête à l'emploi, convenait à des collectivités réduites ou dispersées, a été, dans un premier temps, utilisé pour la vaccination des Français à l'étranger et les besoins de Tahiti et de Nouvelle-Calédonie. Les premières livraisons concernaient également le Celvapan de Baxter. Les 12 000 premières doses de ce vaccin n'ont pu être livrées à l'ÉPRUS que le 12 novembre à la suite d'un retard dans l'obtention de l'AMM. Ce vaccin a été réservé à l'usage exclusivement hospitalier pour les personnes allergiques aux protéines de l'oeuf.
Entre le 9 octobre 2009 et le 18 février 2010, 35 livraisons ont été effectuées sur les sites des dépositaires. Compte tenu de la dispersion de ces derniers, cela a nécessité l'organisation de 45 transports et chaque livraison a été convoyée par une escorte de police ou de gendarmerie.
Pour assurer la conservation des vaccins et la distribution vers les répartiteurs, l'ÉPRUS a passé avec le dépositaire pharmaceutique DEPOLABO un marché permettant d'obtenir à la fois une capacité de stockage en froid suffisante – environ 1 500 palettes –, au sein de sites sécurisés dont le statut de dépositaire pharmaceutique garantit le respect des conditions de conservation et la traçabilité des mouvements de vaccins, un réseau de distribution permettant de ravitailler dans le respect des bonnes pratiques pharmaceutiques les structures en aval – les répartiteurs pharmaceutiques et les établissements de santé – et une répartition territoriale des cinq sites de stockage permettant de ravitailler sous 24 heures les établissements de santé ou de répartition rattachés à la zone desservie.
Ces sites dépositaires ont approvisionné, d'une part, les répartiteurs chargés à leur tour de ravitailler les centres de vaccination et, plus tard, les pharmacies d'officines, ainsi que, d'autre part, les établissements hospitaliers.
Afin d'assurer l'acheminement des vaccins vers les centres de vaccination et, aujourd'hui, vers les officines pharmaceutiques, l'ÉPRUS s'appuie sur le réseau de distribution pharmaceutique des grossistes-répartiteurs.
Pour l'approvisionnement des centres de vaccination, au sein de ce réseau de distribution, 93 agences locales avaient été sélectionnées sur des critères de desserte géographique et de capacité de stockage en chambres froides.
Aujourd'hui, pour le ravitaillement des médecins libéraux via les officines pharmaceutiques, toutes les agences locales – au nombre de 185 – sont concernées.
Ce réseau offre, outre l'intérêt d'un maillage géographique très fin, la garantie d'un fonctionnement dans le strict respect des bonnes pratiques de distribution pharmaceutique.
Il est à noter que les départements d'outre-mer ont bénéficié des mêmes procédures logistiques, adaptées cependant à la situation locale.
En collaboration avec le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens et la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique, l'ÉPRUS a rattaché chaque centre de vaccination à une agence de répartition. Cette liste établie et validée, l'ÉPRUS a communiqué à chaque responsable d'équipe opérationnelle départementale (EOD) les coordonnées des établissements de répartition pharmaceutique chargés du ravitaillement des centres de vaccination du département. Cette procédure a permis le ravitaillement quotidien de près de 1 200 centres de vaccination auxquels étaient rattachées des équipes mobiles, et assure aujourd'hui le ravitaillement de près de 23 000 officines pharmaceutiques.
Jusqu'à fin janvier 2010, les besoins en vaccins exprimés par les pharmacies à usage intérieur des établissements de santé « dédiés grippe » ont été adressés par mail à l'ÉPRUS, qui les faisait satisfaire directement par le site dépositaire compétent dans le délai maximum de 48 heures.
Du 20 octobre à ce jour, l'ÉPRUS a distribué quelque 13 millions de doses de vaccins, dont 1,5 million dans les établissements de santé, 10 millions dans le circuit des grossistes-répartiteurs pour le ravitaillement des centres de vaccination et, aujourd'hui, des officines, et 1,5 million pour l'approvisionnement de la France d'outre-mer, des Français de l'étranger et les deux cessions consenties – au Qatar pour 300 000 doses et à Monaco pour 80 000 doses.
Le stock actuellement disponible est de 30 millions de doses, dont il faut déduire les 9,4 millions de doses réservées pour le don OMS concernant une vingtaine de pays, qui sont en cours d'enlèvement.
Enfin, la vaccination se poursuit dans les cabinets médicaux et les établissements de santé.
Les marchés publics sont des contrats administratifs et demeurent régis, à ce titre, par le corpus juridique applicable à ce type de contrat.
Les marchés publics conclus avec Sanofi-Pasteur et Novartis étaient notamment fondés sur les dispositions du cahier des charges générales, fournitures courantes et services dans sa version de 1977, qui fixe notamment des règles précises en matière de résiliation, dans son article 24. Celles-ci, le cas échéant, étaient pleinement applicables.
Pour ces marchés ainsi que pour ceux concernant les marchés conclus avec GSK et Baxter, l'État a donc utilisé la jurisprudence ancienne et constante du Conseil d'État et les règles générales applicables aux contrats administratifs que nous avions évidemment intégrées dans les négociations.
Ainsi, je rappelle qu'en application des règles générales applicables aux contrats administratifs, l'administration dispose, même sans texte et même si ce n'est pas expressément prévu aux clauses du contrat, d'un pouvoir de modification unilatérale de ses contrats pour des motifs d'intérêt général. La personne publique doit seulement pouvoir justifier d'un intérêt public.
En l'espèce, l'intérêt public se justifiait pleinement par le changement du schéma vaccinal – une dose au lieu de deux doses prévues à l'origine – applicable pour la quasi-totalité de la population et validé par l'Agence européenne des médicaments (EMEA) fin novembre 2009.
C'est sur ce fondement que j'ai pu, à la demande de la ministre de la santé, modifier unilatéralement, le 4 janvier 2010, les marchés publics afin de réduire de 50 millions de doses les commandes initialement conclues. Le montant hors taxe de la commande a été ainsi ramené de 675 millions d'euros à 317 millions d'euros.
Les négociations menées depuis ces notifications avec chaque laboratoire ont abouti à un accord transactionnel avec le laboratoire Novartis pour un montant de 10,5 millions d'euros, correspondant à 16 % du montant des doses annulées.
Vendredi dernier, j'ai procédé à la notification d'un dédit au laboratoire Sanofi à hauteur de 2 millions d'euros, qui correspondait également à 16 % du montant des doses annulées.
Quant au laboratoire GSK, je suis encore en discussion avec lui.
Je conclurai mon propos liminaire sur les moyens d'injection et de consommables de vaccination.
Au titre de la préparation à la pandémie aviaire, l'État avait constitué un stock de 30 millions de seringues et de 150 000 collecteurs pour seringues. Ce stock a été complété par l'achat de 50 millions de seringues et de 200 000 collecteurs. Le différentiel entre le nombre de doses et le nombre de seringues tenait à la fourniture par Novartis des moyens d'injection.
Ont été également acquis à cette occasion les consommables nécessaires aux centres de vaccination : antiseptiques, compresses, gants de soins, blouses à usage unique, entre autres. Le montant total de ces acquisitions s'élève à 8,9 millions d'euros TTC, les achats de seringues et de collecteurs représentant 55 % de ce montant, soit 4,9 millions d'euros.
À l'occasion de ce baptême du feu, l'ÉPRUS a pu éprouver des modalités et des flux logistiques qui, compte tenu de sa courte expérience comme opérateur logistique du ministère de la santé, étaient encore au stade de concept au début de l'alerte pandémique. Le dispositif logistique utilisé à cette occasion a montré sa robustesse et sa flexibilité – de la vaccination collective à la vaccination individuelle –, ses capacités d'adaptation à des besoins variant de quelques centaines à plus de 200 000 vaccinations quotidiennes, dans les premières semaines de décembre 2009, ainsi que sa réactivité puisqu'il a été en mesure de satisfaire les urgences sous 24 heures. Les capacités de traitement des demandes par l'ÉPRUS ont également été confirmées puisqu'il y a eu, en moyenne, entre 30 000 et 50 000 mails par mois entre juin et décembre 2009.
Cette campagne de vaccination aura montré l'utilité de l'instrument créé en 2007 et permis de tester un certain nombre de procédures qui nous ont permis d'être aussi réactifs que nous pouvions l'être dans ce genre de situation.