- Oui et non. On s'est beaucoup interrogé sur le choix de la drogue par les toxicomanes. Depuis quarante ans, on constate que la variable la plus déterminante dans le choix d'une drogue est la disponibilité. On sait que, depuis l'élargissement des traitements de substitution, l'héroïne a diminué dans l'imaginaire des toxicomanes et a progressivement été remplacée par la cocaïne -alors que ce devrait être le contraire !
On a avec l'héroïne un anesthésique, un analgésique qui calme toutes les souffrances ; il s'agit d'un produit d'automédication par excellence. C'est une des rares substances qui mette fin aux souffrances des psycho-traumatisés alors que la cocaïne constitue un produit excitant, un produit d'action. Or, ce sont les mêmes personnes qui recourent aux deux produits !
Il ne faut donc pas trop faire de psychanalyse -même si c'est humiliant pour nous : ce que veulent les toxicomanes, c'est ne plus être eux-mêmes, c'est être ailleurs, ce qu'ils peuvent faire avec n'importe quel produit dès lors que cela entraîne un changement de l'état de conscience !
Cela étant, le lien entre dangerosité sociale, passage à l'acte et usage de drogue est extrêmement complexe. On a vu, dans les années 1970, des toxicomanes devenir agressifs parce qu'ils étaient en manque. Cette délinquance d'acquisition pouvait devenir extrêmement violente. C'est l'époque des casses de pharmacie et des arrachages de sacs à main perpétrés par des gens qui avaient besoin d'argent pour s'acheter leur drogue et qui tombaient dans la délinquance.
On a le même schéma, même atténué, avec les jeux d'argent. Le joueur qui veut se refaire et qui n'a plus d'argent va commencer par faire des chèques sans provision et finira par commettre des détournements de fond, des faux ou des vols afin de continuer à jouer et tenter de se refaire. Il s'agit d'une délinquance acquisitive, liée à l'état de manque et au besoin de continuer.
Il existe également des délinquances de type psychopharmacologique, où le passage à l'acte est déclenché par l'effet même de la substance : c'est le cas avec certains délires amphétaminiques ou cocaïnique, le produit le plus en cause restant toutefois l'alcool, produit le plus documenté en matière de passage à l'acte suicidaire ou délinquant. Un train entre Nice et Grasse a ainsi été saccagé par des jeunes qui ont massacré tout le monde, lors d'un retour de réveillon !
Le troisième type de lien entre toxicomanie et délinquance est ce que l'on peut appeler un lien systémique : les mêmes personnes, pour des raisons sociologiques, psychologiques et culturelles vont être amenées à être à la fois délinquants et usagers de drogues. Traumatisés dans leur enfance et n'ayant pas foi en l'avenir, ils sont malheureux et ne voient leur salut que dans la révolte et la délinquance. Demandant en quelque sorte réparation à un monde qu'ils considèrent injuste, ils vont s'adonner à la drogue pour essayer d'atténuer des souffrances préexistantes.