Dans le secteur agroalimentaire, le marché allemand est aujourd'hui dominé par le hard discount. Depuis quatre ans, nous perdons de l'argent en Allemagne, bien que nous soyons très compétitifs. Il s'agit d'une question de marges, et non de coûts. Nous avons fermé deux usines en deux ans, ce qui explique les aides octroyées par le gouvernement allemand pour conserver les emplois locaux. Dans le domaine de la boisson comme dans celui des produits frais, le marché n'y est pas dynamique.
L'innovation, un marché dynamique et les habitudes de consommation en France permettent aux entreprises qui y sont implantées de réaliser des profits. Tout le monde évoque la question du pouvoir d'achat, mais depuis que la marque Nutella est distribuée chez Lidl, les ventes de la pâte à tartiner concurrente proposée par ce distributeur ont été divisées par trois… Si le consommateur accepte de payer deux euros de plus pour acheter la marque Nutella, c'est donc qu'il est en mesure de faire des choix.
En matière de coûts, les Allemands ne peuvent pas aller plus loin. D'une manière générale, il est très compliqué d'innover tout en agissant sur les coûts. Pour créer de l'innovation, il faut de la structure – des ingénieurs, un peu de budget marketing, de la recherche et développement –, ce qui est peu compatible avec la réduction des coûts. En Allemagne, dans le secteur de l'agroalimentaire, la question ne se pose même plus : on réduit les coûts. Si on agissait de même en France, on y gagnerait pendant deux ans, puis on finirait comme les entreprises allemandes.
J'en viens à la formation professionnelle. Dans ce domaine, nous sommes très « court-termistes », car nous sommes très innovants. La place de l'innovation constitue le point commun entre les quatre entreprises participant aujourd'hui à cette table ronde. Pour répondre à l'innovation, nous disposons de trois mois, six mois, un an, mais nous n'avons aucune vision à trois ans – tout au moins dans le secteur agroalimentaire. Les machines utilisées dans nos ateliers progressent en effet d'année en année, notamment sous l'influence de la politique de développement durable : elles consomment moins d'eau, moins d'énergie, etc. Nous avons donc besoin d'un vivier de personnel disponible en amont que nous puissions former en trois ou six mois. C'est pour cela que nous recrutons des personnes diplômées au niveau d'un « bac + 2 » ou d'un « bac + 3 », alors que nous aurions plutôt besoin de titulaires de bac professionnel. Ils occupent pendant deux ou trois ans des postes en usine pour lesquels ils sont surqualifiés mais qui leur donnent une première expérience professionnelle. Nous les formons ensuite à nos propres métiers.
Nous avons besoin de filières de formation professionnelle pour le monde industriel. Qu'est-ce qu'une machine ? Comment travaille-t-on sur un écran ? Nous essayons de mettre en place ces formations de base avec d'autres entreprises du secteur, mais cela nous coûte très cher. Chaque formation n'est suivie, en effet, que par cinq ou six apprentis, alors qu'il nous faudrait des classes de vingt ou vingt-cinq personnes. Or nous avons du travail pour eux !
Dans le bassin rhodanien, où le chômage est important, les pouvoirs publics ont organisé des missions destinées à reconvertir dans le secteur agroalimentaire les travailleurs venant du secteur de la chaussure. Cela a été un échec : il n'a pas été possible de mettre derrière des machines ces gens qui avaient l'habitude d'effectuer des travaux manuels. Cette politique a pourtant coûté beaucoup d'argent. À l'inverse, dans certaines régions, des salariés ayant l'habitude de travailler en usine perdent leur emploi en raison des délocalisations. Nous aurions intérêt à récupérer ces gens et à les former.
La formation pose un vrai problème pour le monde industriel. Nous avons d'importants besoins en ce domaine, mais nous sommes loin des villes.