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Intervention de Yves Bot

Réunion du 18 mai 2011 à 16h00
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

Yves Bot :

- Je vous remercie de me permettre de renouer avec un tropisme personnel qui ne m'a pas vraiment quitté. Ce sont des fonctions dont on sort rarement indemne et j'avoue ne pas être encore vacciné.

Je dois dire que je suis étonné que l'on parle encore de la question éventuelle d'un changement de statut pénal concernant la consommation de cannabis. Les publications périodiques de l'OEDT démontrent notamment que le trafic et la consommation de cannabis ne faiblissent pas ; elles constituent une part extrêmement importante du chiffre d'affaires global de la drogue. Ce phénomène n'est peut-être pas toujours pris en compte comme il le devrait.

L'alternative qui s'offre à nous se situe souvent entre répression et prévention, le choix médian étant d'essayer de mettre les deux en oeuvre.

L'option qui a été prise depuis fort longtemps par la législation pénale et la pratique judiciaire françaises, a consisté en une approche pluridirectionnelle, tout en gardant le principe de l'interdiction totale, avec possibilité d'aménager des poursuites grâce au principe de l'opportunité. Celle-ci permet d'asseoir une véritable politique pénale aussi individualisée que possible autorisant, selon les hypothèses, à choisir la voie pénale classique ou celle de l'injonction thérapeutique, du soin, de l'examen, etc.

Je suis personnellement favorable au maintien de la pluridisciplinarité de cette approche mais elle ne peut être réellement efficace que si on lui maintient certains moyens juridiques. Ainsi, la garde à vue permet d'abord de faire le point. On ne va pas punir pénalement l'usager simple mais comment détermine-t-on qu'il s'agit bien d'un usager simple ? Seul le statut d'infraction à caractère correctionnel permet d'asseoir un choix de politique pénale sur des éléments objectifs.

La garde à vue permet également de mettre l'usager simple en présence d'une équipe qui va établir un premier contact. La qualification pénale correctionnelle de l'usage simple va donc permettre d'enclencher une prise en charge par les autorités médicales.

Ceci suppose bien entendu la mise en oeuvre d'une politique pénale, mais aussi la bonne volonté des services enquêteurs, des parquets, des services éducatifs. C'est une expérience que j'ai mise en place à Boulogne-Billancourt pour les mineurs ; elle doit encore fonctionner. Elle consiste à prévoir, dans les locaux de police, à côté du service qui traite ce genre de procédure, une antenne de service de soins ou de service éducatif, qui permet d'établir un contact personnalisé. Cela ne fonctionne pas dans tous les cas mais permet une action éducative en direction des usagers de stupéfiants encore rattrapables.

Par ailleurs, il ne faut pas se cacher le fait qu'une addiction en cache très souvent une autre. Un petit trafic peut en cacher d'autres, qui portent sur des drogues d'une autre nature. Il suffit pour s'en convaincre de se référer à l'exemple du Portugal ou à la situation des Pays-Bas.

La Cour de justice européenne a d'ailleurs rendu un arrêt récent concernant les coffee-shops, les Pays-Bas eux-mêmes cherchant à revenir sur leur politique de tolérance, qui ne produit pas les effets escomptés mais en génère d'autres -tourisme de la drogue, présence de revendeurs de cocaïne et d'héroïne…

Il faut donc être extrêmement prudent dans cette démarche.

Par ailleurs, la vente par petites quantités se fait avec des produits de plus en plus concentrés en THC, qui vont rendre le consommateur de plus en plus dépendant. Il y a plus de trente ans est paru un livre intitulé « L'herbe bleue » dans lequel une jeune femme expliquait que c'était par le cannabis qu'elle était arrivée à l'héroïne. Lutter contre des petits trafics permet donc aussi de lutter contre le trafic de fourmis, à partir de substances de plus en plus enrichies en matières toxiques. La personne addicte est un client fidélisé à qui on va fournir d'autres produits !

On a longtemps essayé de lutter contre l'offre et la demande. Je crois qu'il faut aussi lutter contre la production de la matière. Le cannabis est maintenant produit chez nous, sous serre. C'est un point vers lequel il faut orienter les actions policières et judiciaires et, pour ce faire, accepter de sortir des frontières !

Sur Internet, on trouve des adresses hollandaises où l'on propose des graines de cannabis et autres produits, avec la possibilité de payer par carte bancaire par liaison sécurisée. Les commandes peuvent être envoyées dans le monde entier dans un colis très discret. On n'a même plus besoin de se déplacer !

Le nouvel angle d'attaque se situe donc là. Cela étant, cela suppose-t-il un durcissement de l'arsenal législatif ? Je ne le pense pas. Peut-être pourrait-on prévoir une circonstance aggravante de la cession ou de la facilitation de l'usage à autrui à partir du moment où, dans la substance saisie, le taux de concentration dépasse un certain pourcentage… En dehors de cela, je ne vois pas quelle mesure législative supplémentaire serait possible.

En revanche, développer et coordonner la lutte des services de police et des autorités judiciaires des pays de l'Union européenne volontaires, me paraît être une priorité. Depuis le traité de Lisbonne, s'il est un domaine dans lequel des coopérations renforcées, voire un parquet européen peuvent être mis en place, c'est bien celui-là ! Les chiffres de l'OEDT sont dix fois supérieurs à ceux de la France ! A ce rythme, quel sera le nombre d'habitants de l'Union, dans cinq à dix ans, à n'avoir pas touché à la drogue ?

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