C'est une question fondamentale. L'accès au réseau est aujourd'hui considéré par les acteurs du fret ferroviaire comme une des grandes difficultés. La procédure d'attribution des sillons est effroyablement compliquée : il faudrait quasiment prévoir ses activités plusieurs années à l'avance ! Un système aussi peu réactif est facilement concurrencé par la route, beaucoup plus souple.
J'ai, un temps, présidé le comité financier de RFF, ce qui m'a permis de prendre connaissance de tous les dossiers d'investissement sur une période de dix ans. Il faut savoir que les décisions d'investissement, au titre du contrat de plan État région (CPER), étaient prises par les autorités de tutelle, c'est-à-dire la région et l'État, et RFF instruisait les dossiers.
La loi prévoit l'évaluation de ces investissements, non seulement sur le plan financier mais également dans leurs effets socio-économiques ou environnementaux, avec le calcul du ratio de la valeur actualisée nette, c'est-à-dire la valeur créée par l'investissement rapportée à l'euro d'argent public investi. En Allemagne, sont seuls déclarés éligibles les projets dont le ratio est supérieur à 3 – un euro d'argent public doit rapporter, sur le long terme, plus de trois euros à la collectivité. Or, le ratio du projet le moins rentable que j'ai examiné était égal à 0,5 : 1 milliard d'euros investis rapportant 500 millions ! Quant aux projets les plus rentables, ils ont rapporté à la collectivité sept fois l'investissement. Il est dommage que, trop souvent, dans le cadre d'investissements au titre des CPER, les décideurs restent ignorants d'évaluations qui devraient guider leurs choix, d'autant que l'argent perdu dans les projets les moins rentables aurait suffi à financer un réseau de fret convenable, du moins s'agissant de la construction des trois grands corridors ferrés dont nous avons besoin. L'encombrement des sillons ne concerne que des segments congestionnés du réseau, qui sont connus et localisés : Dijon, le Lyonnais, la ligne Nîmes-Montpellier, plus quelques autres dans le Grand ouest. Sa résorption n'exige donc pas des sommes infinies ! Malheureusement, la « tonne kilomètre » ne vote pas ! Voila pourquoi nous sommes passés à côté d'investissements cruciaux. Je le répète : il suffirait de mettre fin à quelques gaspillages pour résoudre ce problème – ce qui suppose, il est vrai, une volonté politique.
Je ne dirai pas, comme M. Crozet, que la SNCF ne sait pas faire du fret ferroviaire, mais qu'elle ne sait plus en faire. Il y a quelques décennies, en cas de grève, les trois syndicats historiques – la CGT, la CFDT et les Autonomes –, faisaient assurer discrètement les services jugés essentiels, afin que la SNCF ne perde pas un gros chargeur. Aujourd'hui, SUD-Rail pratique la politique inverse : la perte des meilleurs clients est devenue un instrument du rapport de forces. C'est une culture différente. Elle représente un handicap insurmontable pour le fret ferroviaire français, car elle se traduit par la perte de la fiabilité du système. Songez que la SNCF – nous sommes le seul pays où cela est arrivé – a perdu du fret au profit du fluvial, qui est presque aussi coûteux et plus lent, mais qui reste encore plus fiable !