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Intervention de Yves Crozet

Réunion du 29 mars 2011 à 17h30
Commission d'enquête sur la situation de l'industrie ferroviaire française: production de matériels roulants voyageurs et frets

Yves Crozet, professeur à l'Université Lyon 2, Laboratoire d'économie des transports :

La déréglementation européenne est une chance extraordinaire pour les entreprises françaises et son bilan est très positif : il suffit de rappeler les parts de marché prises par la SNCF grâce à sa filiale Keolis, par Veolia, par Transdev, que ce soit en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Suède. Le périmètre pertinent de la SNCF n'est plus la France, alors que c'était le cas il y a cinquante ans en situation de complet service public.

C'est pourquoi, s'agissant de la déréglementation, on peut regretter l'attitude de repli de la SNCF. Une anecdote suffira à l'illustrer : le 30 janvier 2002, M. Louis Gallois, lors d'une réunion à laquelle je participais, a déclaré que la SNCF irait partout en Europe où la concurrence serait ouverte, mais qu'il ne pouvait admettre l'ouverture de celle-ci en France. Cette position était erronée. La SNCF, au moyen Keolis, peut aujourd'hui forger ses armes en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Suède et il n'y a aucune raison de dire aux Européens : « Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais ! ». La SNCF avec sa connaissance du secteur « voyageurs » a des capacités énormes, qu'il convient de confronter à celles de ses concurrents. En fait, les cadres de la SNCF rêvent de l'aiguillon de la concurrence au coeur des régions européennes. C'est la raison pour laquelle ils ont divulgué ou laissé « fuiter » le rapport qui révèle que leurs trains coûtent un tiers plus cher que les trains opérés par la concurrence. Si Adrien Zeller, aujourd'hui disparu, avait pu, comme il le souhaitait, lorsqu'il était à la tête de la région Alsace, ouvrir 15 % de son réseau à un opérateur privé, cela aurait représenté un défi extraordinaire pour la SNCF.

Il est vrai, monsieur le président, qu'il n'existe pas d'espace ferroviaire unique : les normes du fer sont différentes de celles de l'aérien. Toutefois, la déréglementation a permis d'exporter nos trains. Les Allemands ont même franchi un nouveau pas en rendant désormais systématiquement obligatoire l'appel d'offres par les Länder et en déréglementant le transport par bus sur autoroute. Alors que la France a de vraies compétences dans ces domaines, il est dommage qu'elle réussisse à l'extérieur ce qu'elle n'est pas capable de réaliser chez elle.

En revanche, la SNCF ne sait pas faire de fret ferroviaire, pour des raisons qui tiennent principalement à l'organisation et à la pression sociale en faveur du « voyageurs ». Toutefois, il serait erroné de croire que les opérateurs privés remporteront les parts de marché que la SNCF perdra inexorablement. En effet, contrairement à l'Allemagne, nous ne sommes pas en France dans une logique de jeu à somme positive. Être opérateur de fret ferroviaire suppose d'avoir un arbre de trafic important : il n'est pas possible que vingt opérateurs, ayant chacun 5 % du marché, remplacent un opérateur unique, notamment en ce qui concerne le wagon isolé dont les industriels ont besoin. Il faut un opérateur dominant, comme DB Schenker Rail en Allemagne ou English, Welsh and Scottish Railway au Royaume-Uni, devenue une filiale de DB Schenker. La seule recommandation que je ferai est radicale : sortir Fret SNCF de l'opérateur historique et lui trouver un autre gestionnaire, puisque, depuis plus de vingt ans, les différents plans ferroviaires des ministres successifs n'ont été d'aucune utilité !

S'agissant de l'exportation, bien que les marchés des trains à grande vitesse, des trains courants ou des « trams » se développent au niveau mondial, notre pays n'est pas aussi présent qu'il pourrait l'être au vu de ses capacités dans chacun de ces domaines. Nous avons certainement un problème de soutien à l'exportation des produits français – je pense notamment au rôle de l'Agence française de développement (AFD) qui accorde même des crédits pour l'achat de trains étrangers, de Systra ou des grands exportateurs français, avec lesquels il conviendrait de réfléchir à notre action stratégique à l'exportation.

Toutefois, il ne faut pas dédouaner les grandes entreprises de leurs responsabilités. Le modèle du TGV « à la française », avec ses huit voitures et ses dix-huit tonnes maximum par essieu et un nombre limité de places, ne correspond pas forcément aux attentes du marché international. Cela explique le choix fait par Eurostar ou les difficultés que nous pourrions rencontrer en Arabie Saoudite ou aux États-Unis. Il existe d'autres modèles que celui du TGV d'Alstom, notamment l'ICE allemand. Les ingénieurs d'Alstom ont du reste conscience qu'il faut éviter de projeter sur l'étranger les préférences françaises : ils doivent diversifier leur offre.

En ce qui concerne le marché français, la SNCF a fortement ralenti ses commandes de TGV par prudence, le trafic n'étant pas destiné à augmenter aussi vite que l'indique le Schéma national d'infrastructures de transport (SNIT), d'autant qu'on ignore encore comment seront financées les nouvelles lignes à grande vitesse. Peut-être M. David Azéma, directeur général délégué « stratégie et finances » de la SNCF, s'interroge-t-il également sur le fait que le TGV dessert actuellement 232 gares qui ne sont pas toutes situées sur une LGV. Pour les desservir, ne serait-il pas dans certains cas préférable de transborder les voyageurs dans des TER, d'autant que les régions ont fait beaucoup d'efforts pour améliorer les transports régionaux ?

De plus, le modèle du TGV Paris-Lyon, qui demeure le seul modèle envisagé par le Grenelle de l'environnement, dans le cadre du SNIT, doit être profondément révisé pour concevoir le réseau TGV à l'horizon 2020-2030. Par exemple, sur la ligne Marseille-Nice, le grand nombre de voyageurs effectuant quotidiennement l'aller-retour Marseille-Toulon n'acceptera jamais de payer le prix d'un billet TGV. Après avoir subventionné à 95 % l'infrastructure, dont le coût sera exorbitant dans cette zone, il faudra, en plus, subventionner l'exploitation ! Il faut envisager d'autres types de TGV, comme le Shinkansen japonais – des modèles différents selon les régions roulent à 200 kilomètresheure ou à plus de 300 – ou l'ICE allemand qui, pour des raisons géographiques, circule différemment du TGV français : comme il existe peu de lignes directes entre grandes agglomérations, l'ICE s'arrête dans les villes moyennes. Si la demande de vitesse est légitime car elle est liée à la croissance économique, il ne convient pas nécessairement d'y répondre par un TGV roulant à 320 kilomètresheure, encore moins à 380 kilomètresheure. Du reste, est-il nécessaire de gagner encore dix minutes entre Lyon et Paris ? Compte tenu du fait que les parcours initial et terminal s'effectueront toujours à vitesse moyenne, cela impliquerait d'augmenter considérablement la vitesse maximale du train, ce qui entraînerait à son tour une augmentation à la puissance 2 du bruit et de la consommation énergétique ? Ne cherchons pas à faire de la très grande vitesse. Des TGV roulant à 320, voire 340 kilomètresheure suffisent amplement !

Quant à la fabrication en France de wagons de fret, c'est un véritable désastre : notre savoir-faire en la matière est, hélas, en voie de disparition.

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