Avant d'occuper ma fonction actuelle, je fus sept ans « expert national drogue ». À ce titre, je représentais notre pays au sein du groupe horizontal « Drogues » de la Commission européenne et il me revenait de mener en France les débats interministériels sur cette question pour parvenir à ce que tous parlent d'une même voix – une gageure !
Sur le sujet qui nous occupe, l'Académie nationale de pharmacie tient des séances thématiques ouvertes au public. À l'une, qui concernait les conduites addictives, nous avions d'ailleurs invité M. Pierre Chappard, président d'Act-up Paris ; une autre a été consacrée au thème « Cannabis et sécurité routière ». Nous avons aussi publié un rapport dressant le bilan des politiques publiques en matière de substitution aux opiacés. Nous organiserons le 19 octobre 2011 une séance thématique sur le thème « Drogues illicites, médicaments psychotropes et monde du travail » ; on constate en effet l'augmentation des accidents du travail dus à la consommation de substances psychotropes.
Comme l'a souligné le professeur Jean Costentin, les cannabinoïdes se concentrent dans les graisses ; or le cerveau est – à quelque chose près… – une « motte de beurre ». J'ai personnellement décelé des dérivés cannabinoïdes dans les urines soixante et onze jours après la dernière prise de l'individu considéré. Or le stress, en augmentant le taux de catécholamines dans le sang, induit la résurgence tardive du cannabis « stocké », si bien que le cerveau d'un sujet ayant cessé toute consommation depuis huit ou neuf jours peut se trouver subitement en état d'ivresse cannabique. Ce phénomène explique que depuis 1989 les dispositions réglementaires applicables en matière d'aéronautique militaire imposent la recherche systématique des conduites addictives. Depuis lors, des entreprises en nombre croissant ont inscrit dans leur règlement intérieur l'obligation de cesser toute absorption de substances psychotropes pendant l'activité professionnelle ; mais, sous l'effet du stress, une ivresse cannabique risque de se produire dont le sujet pouvait légitimement penser être à l'abri.
Le professeur Jean Costentin, outre qu'il est membre de la commission sur les addictions de l'Académie nationale de médecine, est aussi membre de la commission « Substances vénéneuses et dopantes » de l'Académie nationale de pharmacie. Tout ce qu'il a dit reflète une approche scientifique qu'il est difficile de réfuter, et je partage son point de vue. Les conclusions des travaux en commission sont fondées sur des débats au cours desquels nous auditionnons des personnalités qualifiées, dont des psychiatres. Nos propositions de recommandation sont ensuite soumises à l'approbation de nos collègues réunis en séances plénières – dites restreintes en ce qu'elles ne sont pas ouvertes au public – et les prises de position exprimées sont toujours celle de l'Académie nationale de pharmacie dans son ensemble.
Comme mes confrères l'ont souligné, il convient avant toute chose de renforcer la prévention. Cela étant, ne soyons pas naïfs : l'appétence pour les produits psychotropes ne disparaîtra pas et la consommation ne cessera pas. C'est bien sûr une absurdité d'incarcérer un consommateur de substance psychotrope – on n'a jamais mis un malade en prison. Le consommateur devenu dépendant doit être pris en charge comme tout autre malade mais la finalité du traitement doit être le sevrage et, quels que soient les aléas – rechutes et insuccès –, ne pas viser la cessation de la consommation serait une forme de non-assistance à personne en danger.
Il faut impérativement expliquer aux jeunes gens qu'ils doivent éviter de consommer ces molécules. La déscolarisation est, dans 95 % des cas, due à la consommation de cannabis, qui conduit rapidement à un besoin, lequel va entraîner un début de délinquance car il faut de l'argent pour se procurer le produit. De ce fait, le jeune consommateur déscolarisé se trouve progressivement désocialisé. Le problème n'est pas moral mais social. Je le redis, un consommateur de produit psychotrope est un malade qui doit être pris en charge, mais l'essentiel est de faire qu'il ne tombe pas malade ; de la même manière, on fera tout pour éviter qu'un patient souffrant de diabète de type 1 ne se trouve affligé d'un diabète de type 2 induit par des habitudes alimentaires nocives, qu'il faut corriger.