50 % des filles et 70 % des garçons ont expérimenté le cannabis à l'âge de 18 ans. Le fait que 1,7 million d'entre eux deviendront des usagers réguliers traduit un pouvoir d'« accrochage » – de pharmacodépendance – très fort.
Pour caractériser la toxicomanie, on s'attache toujours aux manifestations de l'abstinence. Or la période de stockage du THC dans le cerveau est si longue qu'un fumeur peut attendre plusieurs jours avant d'avoir besoin d'un autre « joint » ; il peut donc ignorer être dépendant. Lorsque l'usager régulier est contraint de cesser sa consommation, par exemple s'il est incarcéré – encore que dans les prisons françaises, le cannabis se trouve plus facilement qu'en d'autres lieux – les manifestations physiques de l'abstinence ne se perçoivent que quinze ou vingt jours plus tard. Une étude australienne sur des usagers réguliers incarcérés – sachant que dans les prisons australiennes la drogue ne circule pas – a même montré que l'élimination urinaire des produits persistait huit semaines après l'arrêt de toute consommation.
En raison de cette longue rémanence, à aucun moment le consommateur ne ressent l'abstinence de façon abrupte. Toutefois, la dépendance physique a été avérée par l'administration d'un antagoniste des récepteurs CB1, le rimonabant : en se substituant brutalement au THC, il déclenche des syndromes d'abstinence semblables à ceux observés chez les héroïnomanes. La pharmacodépendance au cannabis est donc très forte, mais elle est masquée par la lente disparition du THC dans l'organisme.
Comme l'Académie nationale de médecine l'a expliqué dans son rapport « Désamorcer le cannabis dès l'école », la pédagogie commence bien trop tard en France. En Suède, on inculque aux enfants la peur de la drogue dès la maternelle, et cette aversion est entretenue par 40 heures de cours sur les méfaits des drogues dispensées jusqu'à l'enseignement supérieur.
En France, cet enseignement manque cruellement. Je suis parvenu à faire introduire deux heures consacrées aux drogues dans le programme de la première année commune aux études de santé. C'est encore très insuffisant et cela ne concerne que bien trop peu d'étudiants, mais au moins l'auditoire reçoit ainsi des messages qui ne lui ont jamais été transmis auparavant.
La rencontre avec le cannabis a lieu à l'adolescence, période de grande vulnérabilité où le système nerveux central n'est pas encore fini. En interférant dans les processus de « prolifération » et d'« élagage » en cours, le cannabis perturbe gravement son achèvement. Plus personne ne nie sérieusement la relation entre cannabis et schizophrénie ; plus le cannabis est consommé tôt et à des doses élevées, plus les conséquences sur le développement psychique, la mémoire, les processus éducatifs, l'anxiété et la dépression sont graves. Le discours sur le cannabis ne peut plus être celui qui nous était servi il y a trente ans. Quant aux arguments qui consistent à présenter le cannabis comme un médicament, ils procèdent d'une misérable manipulation.