Il est frustrant que le débat ne soit pas plus large. Aucun des dix-sept pays du Moyen-Orient, d'Amérique du Sud et d'Amérique centrale dans lesquels je travaille au titre d'experte de la Commission européenne n'a réduit son taux de consommation de drogues dans la population générale. En Égypte, où les autorités niaient la consommation de drogues, la presse annonçait pourtant chaque jour de nouvelles saisies de substances…
Nous vivons dans une société individualiste qui offre, pour chaque problème, une solution par la consommation. La société de consommation sait faire consommer, mais elle ne sait pas comment faire abandonner les habitudes de consommation. Il faudra bien pourtant que nous l'apprenions, notamment dans le domaine écologique. Cet individualisme croissant tient au mode de vie contemporain. Mon public est constitué des exclus du processus de mondialisation, qui seront de plus en plus présents dans tous les centres urbains du monde. Le crack est en train de dévorer le Brésil, mon pays d'origine. Au lieu d'essayer d'imputer le laxisme ambiant aux politiques de nos opposants, cherchons à voir comment inciter les individus à réduire leur consommation, et cela pour toutes les addictions. Aucun pays n'a tenu ce pari.
La seule issue est, comme le propose M. Jean-Pierre Couteron, de travailler d'une manière transversale et adaptée à des populations très diverses. Nous respectons le travail des représentants du peuple ; évitons cependant les écueils simplistes : la volonté des pères et mères de famille et celle du législateur ne suffiront pas à réduire la consommation. Ce qui est en jeu, ce sont les modes de vie. Je rencontre ainsi, dans le cadre de mon association, un ambulancier victime d'une addiction à l'alcool – une drogue légale –, ou des éducateurs présentant des addictions au sexe ou au jeu. Ces addictions prolifèrent dans notre culture et le « laxisme » des gouvernements précédents n'en est pas responsable.
Le principe même de l'universalité des soins exige qu'un soignant ne juge pas la personne qu'il reçoit. Parmi les 40 % de personnes sans ressources que je reçois, un grand nombre sont de petits « dealers », mais ils vivent dans la plus grande exclusion et le plus grand dénuement : ce ne sont pas eux qui sont responsables du grand trafic international. Je suis dans l'incapacité de faire une distinction entre consommateurs et « dealers », et cela ne me concerne pas.