Act-up Paris est une association de malades et d'activistes qui lutte contre les discriminations et pour les droits des populations particulièrement touchées par le SIDA, parmi lesquelles les prisonniers, les migrants, les femmes, les homosexuels et les usagers de drogues. Dans les années 1990, nous avons fait partie du mouvement en faveur de la réduction des risques, laquelle doit être développée et se voir dotée d'outils innovants. Vingt-six départements qui ne disposent d'aucune structure de réduction des risques devraient être dotés de centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues. Les données sur la consommation de drogues par les femmes sont insuffisantes et les programmes qui leur sont spécifiquement destinés sont trop peu nombreux. Il faudrait également diversifier l'offre de traitements de substitution aux opiacés. En effet, les deux produits de substitution actuellement disponibles, le Subutex et la méthadone, ne conviennent pas à tous les usagers ; il importe donc de développer des produits inhalables et injectables, ainsi que l'héroïne médicalisée.
Deux actions d'urgence s'imposent pour deux populations vulnérables. La première concerne les détenus. La consommation de drogues, y compris par injection, est en effet très importante en prison. Un rapport indique que plus de la moitié des usagers de centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues ont été au moins une fois en prison et une enquête récente montre que le partage de matériel est courant entre usagères de drogues incarcérées. La réduction des risques ne s'applique pas en prison, où les usagers de drogues manquent d'informations et ne disposent que d'eau de Javel, en outre souvent sous-titrée et donc inefficace face au VIH et au virus de l'hépatite C. Quant aux programmes de substitution, de nombreuses prisons ne les mettent pas en oeuvre ou le font mal, distribuant par exemple les produits sous une forme inadaptée en les pilant et en les diluant dans de l'eau, ce qui en annule l'efficacité.
La deuxième urgence concerne les gens qui vivent dans la rue et se « shootent » dans les caves, les parkings ou les toilettes publiques – situation indigne pour notre société. Pour ce public très précarisé, un collectif dont nous faisons partie a proposé la création de salles de consommation supervisées. L'expertise collective de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale montre que de telles salles ne créent pas de nouveaux consommateurs et n'encouragent pas non plus les usagers de drogues à en consommer plus. Si ces salles ne sont pas une panacée, elles sont du moins un outil de santé publique et d'ordre public, réservé à un public très restreint et très précaire.
Contrairement à ce qui avait été annoncé, le recours à la méthadone et les échanges de seringues n'ont pas banalisé l'usage de la drogue. Il en va de même pour les salles de consommation : les usagers ont des styles de vie et d'usage si différents qu'il faut leur ouvrir une nouvelle porte d'accès aux soins et leur permettre de rencontrer des soignants. Il ne s'agit ni de banalisation ni d'un premier pas vers la dépénalisation de l'usage, comme le montre l'expérience de nombreux pays en la matière. En 2001, l'ouverture de la salle de consommation de Vancouver s'est traduite par une augmentation de plus de 30 % des demandes de sevrage et de substitution dans cette ville. Les salles de consommation n'ont rien à voir avec des « squats », mais permettent aux usagers de rencontrer des professionnels qui les conseillent et les orientent. Une étude parue en septembre dans la revue Drug and alcohol dependence montre que les salles de consommation peuvent aider les usagers à quitter durablement la drogue. Je rappelle que ces salles ont le soutien de villes et collectivités territoriales telles que Paris, Marseille, Nancy ou la région d'Île-de-France. Elles pourraient représenter une solution au problème du crack. À Rotterdam, en effet, les crackers ont disparu des rues, où ils étaient plus de 2 500 – et ont pu se réinsérer grâce à ce dispositif. Nous en sommes encore bien loin à Paris.
La politique de réduction des risques a donc été efficace contre le VIH et les surdoses – même si le nombre de celles-ci a récemment augmenté de 30 %. Pour qu'elle reste efficace, il faut créer des outils innovants et développer ceux qui existent déjà.