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Intervention de élie Cohen

Réunion du 23 mars 2011 à 16h00
Mission d'information sur la compétitivité de l'économie française et le financement de la protection sociale

élie Cohen, directeur de recherche au CNRS, professeur à Sciences-po et membre du Conseil d'analyse économique :

Quatre types de problèmes doivent être traités.

Le premier est d'ordre macro-économique. Que les résultats de nos entreprises soient les plus faibles d'Europe pénalise l'investissement, l'innovation et l'exportation. Si l'on veut qu'il en soit autrement, nous devons améliorer sensiblement les conditions de leur exploitation, lesquelles passent probablement par des transferts de charges pesant sur le travail vers d'autres assiettes fiscales. On ne peut en effet considérer que le coût du travail dans l'industrie moderne, à la différence de l'économie de variété ou de la différenciation, ne constitue pas un paramètre important. Les chiffres sont très impressionnants : nous sommes confrontés à un problème de court terme en ce qui concerne les niveaux d'activité, de résultats et de taux de marges.

La deuxième difficulté relève de l'écologie d'entreprise : comment faire croître les petites et moyennes entreprises afin qu'elles innovent et exportent ? De véritables maquis de dispositions ont vu le jour avec OSÉO, les financements en fonds propres et le grand emprunt, mais ces mesures doivent être stabilisées et consolidées.

Troisième problème : l'érosion de nos spécialisations, par exemple dans les secteurs automobile, aéronautique, du transport terrestre, de la pharmacie, du nucléaire – nous ne fabriquons plus de machines outils depuis longtemps. Parce que nous avons « perdu la main », notamment en raison de choix malheureux, nous nous devons de renforcer nos compétences. Le grand emprunt me semblant constituer en l'occurrence une méthode assez intelligente et originale plutôt, je me félicite de l'adoption de procédures qui, pour être assez longues et frustrantes, n'en sont pas moins intéressantes.

Quatrième problème, enfin : l'extraversion économique. Les grandes entreprises allemandes n'ont pas choisi de se développer sur un plan international en conservant, sur un plan national, le degré d'intégration qui était le leur : elles ont réfléchi à l'éclatement et à la localisation des différents maillons de la chaîne de valeur en acceptant un certain degré de délocalisation afin de mieux maîtriser les processus d'ensemble. L'économie française, quant à elle, a véritablement connu une panne de développement.

Par ailleurs, ce n'est pas une lubie récente que d'être obnubilé par le modèle allemand. Dès 1870, nous regardions ce qui se passait chez notre voisin. En 1890, nous sommes allés y étudier le système d'apprentissage avec la volonté de l'importer ; à l'issue de la Première Guerre mondiale, les missions Clémentel ont observé la structuration de l'industrie germanique, ses rapports avec la formation et les laboratoires de recherche ; après la Seconde Guerre mondiale, c'était au tour de l'industrie lourde et de la chimie de constituer pour nous de véritables modèles. Bref, depuis un siècle, l'Allemagne est une obsession française : nous essayons de l'imiter, et nous y échouons.

Alors qu'il serait sans doute utile, aujourd'hui, de nous plonger dans le coeur brûlant des économies émergentes, la zone euro et l'Union européenne n'en demeurent pas moins notre espace économique de référence, où se creuse un écart de plus en plus grand entre l'Allemagne et ses satellites, la France, les pays du Sud, ce qui pose des problèmes de compétitivité et de soutenabilité, à terme, de nos finances publiques et de nos déficits. Nous sommes donc contraints de nous intéresser aux évolutions des relations franco-allemandes. L'observation de la balance commerciale montre que nous avons partout perdu des positions à son profit, y compris au sein de la zone euro. Même si la réindustrialisation paraît difficile, elle est donc nécessaire. Faute de pouvoir compenser la dégradation continue de notre balance de biens par une amélioration de la balance des services ou des transferts de revenus, nous sommes condamnés à avoir une balance courante en déficit permanent : nous sommes en conséquence obligés d'accroître notre dette extérieure et d'imaginer une situation dans laquelle les actifs français permettront de régler nos dépenses courantes.

Enfin, nous avons le plus grand mal à gérer le passage d'un modèle économique aux vertus éminentes à un autre que nous ne savons pas encore pénétrer. La France a inventé le modèle des grands programmes – sur lequel j'ai d'ailleurs écrit Le Colbertisme high-tech –, qui a connu un grand succès. Mais ce modèle est devenu obsolète avec l'ouverture économique mondiale dans le cadre de l'Organisation mondiale de commerce, puis de l'intégration européenne, avec la création de l'euro et celle du marché unique. Nous n'avons pas été capables d'opérer un redéploiement vers les écosystèmes d'innovation, non plus que de rendre notre recherche plus efficace et mieux organisée ou de venir en aide aux petites et moyennes entreprises.

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