Le débat sur la divergence de compétitivité entre la France et l'Allemagne a été lancé par le dernier rapport du Centre d'observation économique et de recherche pour l'expansion de l'économie et le développement de l'entreprise (COE-Rexecode), mais les thèmes de la compétitivité, de la désindustrialisation et, plus récemment, des délocalisations reviennent à l'occasion de chaque crise : en 1974 comme en 1979, en 1993, en 2002 ou en 2008.
Quelles sont, en la matière, les données les moins contestables ?
La première est que la part de marché de la France dans le commerce international s'est effondrée, passant de 5,8 % en 1995 à 3,8 % en 2010, tandis que celle de l'Allemagne demeurait de 10,1 %. Nous avons donc perdu près de 40 % de nos parts de marché ou, pour le dire autrement, notre produit intérieur brut (PIB) serait supérieur de 150 milliards d'euros à ce qu'il est aujourd'hui si notre part de marché était demeurée la même. On ne peut donc que constater la brutalité et l'accélération récente de cet effondrement, qui affecte tous les secteurs économiques et toutes les parties du monde, au-delà des seuls pays émergents.
Dans la mesure où près des trois quarts des échanges commerciaux internationaux portant sur les produits industriels, le fait que notre industrie ne représente plus que 15 % de notre valeur ajoutée a bien évidemment un impact direct sur nos exportations.
Le Centre d'observation économique et de recherche pour l'expansion de l'économie et le développement de l'entreprise considère que, dans la mesure où il n'y a pas eu de variation majeure en termes de compétitivité hors coût, c'est en matière de compétitivité-coût que nous avons « décroché » au cours des dix dernières années. Cette affirmation a entraîné tout un débat sur la qualité et la fiabilité des statistiques utilisées. Cependant un consensus à peu près général se dégage autour de l'idée que nous avons perdu de 8 à 10 points de compétitivité-coût par rapport à l'Allemagne. Nous nous éloignons donc des leaders que sont l'Allemagne, la Finlande et l'Autriche : le fait que nous demeurions en avance sur des pays qui ont massivement décroché, comme la Grèce, l'Espagne, le Portugal, n'est qu'une piètre consolation.
La France et l'Allemagne ont les mêmes spécialisations et se battent sur les mêmes marchés. Il y a dix ans, il nous arrivait d'emporter des parts de marché grâce à un avantage de compétitivité-coût de 8 à 10 %. Dès lors que cet avantage a disparu, nous perdons systématiquement car l'Allemagne jouit d'une meilleure compétitivité hors coût liée à la plus grande capacité de différenciation de ses produits, qui sont perçus comme étant de qualité.
Pour autant, les dix dernières années, l'évolution du produit intérieur brut par habitant a été sensiblement la même dans les deux pays. Si la France a pu maintenir sa croissance en dépit de différentiels de coûts très importants, parce que celle-ci a été tirée par la consommation, qui a elle-même été surtout portée par des dépenses de redistribution très largement financées à crédit. Un tel système n'est absolument pas soutenable à plus long terme car la conjonction du déficit de balance courante et du déficit budgétaire met la France sur une trajectoire d'insolvabilité. C'est pour cela qu'il faut s'intéresser de près à la compétitivité, en particulier au sein de l'industrie, qui est le moteur de l'exportation.
Dans son dernier rapport en cours de rédaction, intitulé « Crise et croissance », le Conseil d'analyse économique s'est donc efforcé de comprendre le décrochage industriel de la France.
Le Conseil d'analyse économique a constaté que, les dix dernières années, les efforts d'investissement des entreprises non financières ont été similaires en France et en Allemagne. Cela tient peut-être au fait que l'économie française dispose de grosses entreprises remarquables, mais qu'elle n'a que peu d'entreprises de taille intermédiaire, tandis que ses petites et moyennes entreprises (PME) et petites et moyennes industries (PMI) sont moins dynamiques que leurs homologues allemandes. De surcroît, nos entreprises de taille intermédiaire et nos petites et moyennes entreprises sont en situation de sous-investissement. De même, nous sous-investissons dans les secteurs les plus porteurs pour le commerce international, notamment les biens d'équipement, intermédiaires et de consommation. Pis : le fossé se creuse entre les investissements français et allemands dans les nouvelles technologies de l'information et de la communication, déterminantes pour la productivité de demain. La part de recherche et développement (R&D), des entreprises industrielles dans le produit intérieur brut a régulièrement baissé en France, tandis qu'elle augmentait systématiquement en Allemagne, au Japon et chez plusieurs autres de nos concurrents, ce phénomène ayant même tendance à s'aggraver, en dépit d'une certaine prise de conscience. De 2000 à 2008, l'effort de R&D par rapport au produit intérieur brut a été en moyenne de 2,3 % en France, contre 2,8 % en Allemagne, 3 % aux États-Unis, 3,4 % au Japon. Par ailleurs, la France dépose 2,5 fois moins de brevets que l'Allemagne.
Au total, on observe une sorte d'enchaînement délétère : les entreprises n'osant pas investir pour innover et pour exporter, elles ne croissent pas autant qu'elles le pourraient. Leurs marges s'en trouvent réduites et leur situation financière se dégrade, les contraignant à recourir à des financements externes qu'elles ont de plus en plus de difficultés à se procurer. La fin d'un tel processus est la cession d'une partie de notre tissu industriel à des investisseurs étrangers, tout simplement parce que la rentabilité de nos entreprises industrielles décroît et qu'elle est très inférieure à celle de nos concurrents européens. En insistant tant sur les profits « obscènes » des entreprises de la cotation assistée en continu (CAC 40), on oublie ce grave problème de rentabilité de nos entreprises industrielles.