Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux que m'associer aux propos tenus à l'instant par Jean Grenet au sujet des conditions de détention des militants basques emprisonnés et concernant ceux qui sont menacés d'extradition.
Une fois n'est pas coutume, je me réjouis de cette proposition de loi qui favorise le rapprochement familial des détenus. Si elle a été approuvée par l'ensemble des députés de l'île de beauté, quelle que soit leur appartenance politique, et si elle suscite une grande attente de Bastia à Ajaccio, la question du rapprochement familial ne se limite pourtant pas à la Corse. La préoccupation est loin d'être spécifique aux territoires insulaires : le maintien des liens familiaux est un enjeu qui concerne l'ensemble des détenus, sur tout le territoire national. Je rappelle à cet égard que le droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, continue de s'appliquer en cas de privation de liberté.
En incarcérant des gens loin de leur terre, on condamne les familles de très nombreux détenus à parcourir des milliers de kilomètres en dépensant des sommes importantes pour les voir quelques minutes après avoir attendu longtemps dans les dédales d'une prison. Pourtant, incarcérer une personne signifie qu'on la prive de liberté ; cela ne veut pas dire que l'on réduit ses possibilités de réinsertion, et encore moins que l'on détruit ses liens familiaux ou que l'on saigne à blanc sa famille. C'est pourquoi cette proposition de loi est bienvenue, car elle rompt avec la prise en compte des dossiers au cas par cas.
Le maintien des liens familiaux est reconnu comme facteur essentiel pour favoriser la réinsertion des personnes incarcérées et pour lutter contre la récidive. C'est aussi un facteur de prévention du suicide. Il revêt en outre une importance particulière pour les enfants dans leur construction psychologique et identitaire. Les rapports des commissions d'enquête du Sénat et de l'Assemblée sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires insistaient sur l'importance de ces liens.
L'isolement géographique des nouveaux établissements, dont la construction vise à augmenter la capacité pénitentiaire française est, de ce point de vue, inquiétant. Les visites, essentielles au maintien des liens familiaux et sociaux, risquent de se faire plus rares, car elles seront plus compliquées et plus coûteuses pour les familles. Ces dernières sont souvent de condition modeste et elles ont vu leurs ressources encore réduites avec l'incarcération de l'un des leurs.
Selon une enquête réalisée en 2008 par l'UFRAMA, l'Union nationale des fédérations régionales des associations de maisons d'accueil de familles et proches de personnes incarcérées, auprès de 2 100 personnes proches de personnes incarcérées, dans 58 % des cas, les familles dépensaient plus de cinquante euros par personne et par mois et, une fois sur quatre, plus de cent euros. Il faut y ajouter les personnes qui renoncent aux visites en raison de leur coût et de la durée du trajet, ou encore pour des raisons de handicap ou de garde d'enfants. Ce problème est encore accru s'agissant des familles de détenus étrangers.
Or les dispositifs législatifs actuels relatifs aux visites de détenus ne posent pas le principe du rapprochement familial. Ni l'article 35 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ni son article 36 n'évoquent la question du rapprochement familial, pas plus, a fortiori, que celle de son effectivité. Quant à l'article D.402 du code de procédure pénale, il précise simplement qu'il « doit être particulièrement veillé au maintien et à l'amélioration de leurs relations avec leurs proches ».
La jurisprudence européenne considère qu'en rendant les visites difficiles, l'éloignement géographique peut porter atteinte au droit à la vie familiale. La proximité du lieu de détention avec le lieu de résidence est également l'un des objectifs fixés par les « règles pénitentiaires européennes » établies dans le cadre du Conseil de l'Europe. Ces règles n'ont certes pas de valeur normative, mais elles n'en constituent pas moins des lignes directrices que chaque État devrait s'efforcer de suivre. J'avais d'ailleurs déposé plusieurs amendements reprenant ces éléments lors de l'examen de la loi de 2009 : ils n'avaient pas été retenus.
Cependant, certains pays européens se sont engagés dans cette voie. L'Espagne, par exemple, finance des visites aux personnes gardées à vue. En Grande-Bretagne, il existe un programme dit de « visite assistée ». Il consiste en une aide ouverte aux parents et aux partenaires du détenu. Celle-ci couvre les frais de transport et, le cas échéant, l'hébergement et le coût de la garde d'enfant, ainsi que les rafraîchissements légers. Elle est accordée sous conditions de ressources.
Dans son rapport relatif à l'année 2010, le contrôleur général des lieux de privation de liberté invite l'État à réfléchir à la manière de prendre en compte les surcoûts liés à la distance qui pèsent sur les familles, en particulier dans les établissements pour peines et les établissements éloignés des réseaux de transport en commun. En la matière, notre droit positif reste notoirement insuffisant.
Cette proposition de loi vise à traiter des lacunes que je viens d'évoquer. Je regrette que la commission des lois n'ait pas envisagé le financement des frais de déplacement et d'hébergement qu'entraînent les visites au parloir d'un proche incarcéré – une telle prise en charge pourrait être accordée sous condition de ressources.
Ce texte de rattrapage nous permettra de nous mettre en conformité avec la législation européenne, de résoudre un des principaux problèmes de la Corse et de régler de nombreuses situations de tensions dans les prisons françaises. C'est pourquoi les députés écologistes voteront en faveur de ce qui représente une avancée dans les droits des détenus, même si elle est tardive et peut-être quelque peu liée au contexte électoral.