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Intervention de Camille de Rocca Serra

Réunion du 24 janvier 2012 à 15h00
Droit au rapprochement familial pour les détenus condamnés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCamille de Rocca Serra :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis à l'initiative de M. Sauveur Gandolfi-Scheit pour débattre d'une proposition de loi tendant à assurer un droit que la loi n'avait jusqu'à présent pas suffisamment précisé. J'avais prévu à cet effet d'aborder certains points, mais j'ai dû modifier mon intervention après avoir entendu l'interprétation que Michel Hunault et d'autres collègues, tel Paul Giacobbi, ont faite du texte.

S'il est vrai que la Corse exprime au plus haut point l'absence de réponse à une question prégnante, ce n'est pas pour autant que la proposition de loi ne s'adresserait qu'aux détenus d'origine corse et résidant dans l'île. Il s'agit, avec ce texte, de répondre à la question – d'ailleurs soulevée par le Président de la République à l'occasion d'une rencontre en 2002 en Corse lorsqu'il était encore ministre de l'intérieur – de savoir pourquoi les textes actuels de procédure pénale ne précisent pas suffisamment ce qui doit favoriser le rapprochement des détenus, qu'il s'agisse des simples prévenus, des prévenus dont l'instruction est close ou des condamnés.

C'est donc à l'initiative de Nicolas Sarkozy que nous avons essayé d'élaborer avec la Chancellerie – avec vous-même, monsieur le garde des sceaux, et avec vos prédécesseurs – le moyen de régler le problème, afin que ce que le peuple français exige, c'est-à-dire condamner le coupable, ne conduise pas également à condamner ce dernier et sa famille à la double peine. Si, comme le demandent notre société et le Parlement avec elle, la réinsertion doit être favorisée et la récidive évitée, il ne faut pas que le fossé se creuse entre celui qui, condamné, va être incarcéré, et sa famille. Le lien familial est en effet ce qui est peut-être le plus utile pour éviter la récidive et pour favoriser la réinsertion.

Il est vrai que, dans notre société, un problème de responsabilité se pose : ne dit-on pas, en parlant même de tout petits, que les parents ont démissionné et que l'école doit satisfaire aux besoins d'éducation ? Non, l'école ne peut pas tout faire ! Les parents doivent être responsables. Eh bien, il en va de même, quels que soient le niveau atteint, l'âge, les qualités dont on a pu faire preuve au service de la société, pour ceux qui encourent des peines : la société ne peut tout résoudre à elle seule. Il faut bien à un moment donné un partenaire pour l'individu qui a eu une défaillance et qui a commis un crime ou un délit : la famille. Cette famille, qui doit être responsable, nous devons lui accorder les moyens d'intervenir pour aider à se reconstruire quelqu'un qui a commis une faute, un délit. C'est vrai partout sur le territoire de la République, en Corse comme ailleurs.

Mais, ainsi que nous avons pu le vérifier avec tous les élus de Corse ici présents, l'éloignement, du fait de l'existence d'un bras de mer, devient un fossé considérable, la famille subissant de ce fait une double peine aux conséquences sociales, financières et économiques permanentes. Serait-il insupportable que la famille garde un quelconque lien ? Non, ce dernier est même nécessaire. Un tel lien serait-il contraire à la décision du peuple français de condamner celui qui est coupable ? Non plus.

Nous voyons donc bien que si, d'un côté, nous avons ce qui est nécessaire pour satisfaire la justice de la République, qu'il s'agisse de défendre la victime ou de demander réparation sociale, pénale, judiciaire voire financière, il faut, d'un autre côté, donner du temps à l'accusé, devenu coupable et incarcéré, et à sa famille.

Le problème que la Corse a soulevé est donc d'ordre national : nous devons favoriser partout le rapprochement et tout mettre en oeuvre à cet effet, au-delà même des textes européens si c'est nécessaire.

Ces dernières années, nous avons pu nous heurter avec vous, monsieur le garde des sceaux, et avec d'autres avant vous, sur le quantum de la peine ou encore sur l'interprétation des fins de peines. Or ce que le texte apporte, justement, c'est un regard sur l'ensemble de la peine : peut-on davantage réinsérer dans la société quelqu'un en s'y prenant au bout de dix, quinze ou vingt ans, ou faut-il l'envisager dès le départ ? Existe-t-il plus de chances d'y parvenir dès le départ, ou seulement à la fin ? Selon moi, la chance est à saisir dès le départ.

Il ne s'agit pas pour autant d'empêcher l'incarcération. Je le dis depuis très longtemps, nous devons, partout sur le territoire de la République – cette République que nous aimons et que nous servons ici en légiférant au nom du peuple français –, pouvoir, dans le cadre de nos lois républicaines, interpeller, juger, condamner et incarcérer. Il ne doit pas y avoir de zone de non-droit où l'on ne puisse pas assumer l'ensemble des devoirs et des droits de la République. Cela est vrai sur une île comme sur l'ensemble du territoire, qu'il soit métropolitain ou d'outre-mer. Tel est bien ce que nous sommes en train de faire avec mon ami Sauveur Gandolfi-Scheit et tous ceux qui ont cosigné la proposition de loi : apporter une réponse claire et définitive en la matière pour tous ceux qui sont condamnés, sans qu'il y ait d'interprétation possible.

La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 avait déjà, par son article 34, répondu à un souci concernant les prévenus en fin de parcours d'instruction et qui vont donc pouvoir « bénéficier » d'un procès. À ceux-là, pour qui l'instruction est close, une réponse a été apportée, contrairement aux autres prévenus – qui d'ailleurs le restent souvent trop longtemps. Permettez-moi à cet égard, monsieur le garde des sceaux, une digression : nous avons réformé beaucoup de choses avec la loi pénitentiaire ou la loi relative à la garde à vue, mais nous n'avons pas encore apporté de réponse à la longueur de l'instruction, ce qui explique que la détention préventive dure parfois autant.

Il est en tout cas une question que je vous pose souvent à propos de la qualification des peines : ne devrait-on pas pouvoir utiliser d'autres outils pour l'instruction, comme l'audioconférence ? Nous avons suffisamment de moyens pour que l'incarcération soit, comme le demandent la justice et le peuple français, mise en oeuvre, mais pas au détriment de la famille du fait de l'éloignement. Sur ce plan, la proposition de loi apporte une réponse essentielle.

Nous avons aussi parfois buté sur le problème immobilier. Certes, il ne relève pas non plus du domaine de cette future loi, mais, récemment, grâce au texte d'Éric Ciotti, nous avons pu l'aborder en permettant, dans la durée, l'ouverture de 24 000 places dans la décennie qui vient. Paul Giacobbi l'a rappelé tout à l'heure, nous sommes passés de la construction d'un centre de détention à Ajaccio à l'amélioration de la maison d'arrêt. Mais si nous nous heurtons aujourd'hui à une gestion contrainte, vous savez très bien, monsieur le garde des sceaux, que l'on peut mieux gérer encore la disponibilité des places.

En tout état de cause, s'il faut répondre à l'exigence du peuple français de justice et de réparation, il n'est pas nécessaire de condamner la famille. Cette dernière est, je le répète, un lien essentiel pour reconstruire la vie de ceux qui, à un moment donné, ont commis une faute – un délit ou un crime. Ce que nous proposons à cet égard est important – et je remercie mon collègue Sauveur Gandolfi-Scheit d'avoir déposé ce texte, dont je suis moi-même cosignataire.

Aussi est-ce sans hésitation que le groupe UMP votera cette proposition de loi qui, si elle ne résout pas tout, apporte des réponses essentielles. Je me réjouis que nous soyons ainsi capables de donner partout les mêmes réponses en matière d'égalité de droits et de devoirs des citoyens, c'est-à-dire aussi bien sur le continent qu'en Corse et sur tous les territoires de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

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