Ce sont surtout des jeunes en perte de repères qui commettent les erreurs qui les conduisent en prison. Et ce sont ces mêmes familles dans le besoin qui doivent faire face à des dépenses insupportables pour garder une cohésion déjà bien mise en péril.
Cette préoccupation du rapprochement familial est loin d'être spécifique aux territoires insulaires : le maintien des liens familiaux est un enjeu qui concerne l'ensemble des détenus, sur tout le territoire national. Le dernier rapport de l'Observatoire international des prisons sur les conditions de détention en France indique d'ailleurs, à propos des visites des familles, que près d'un visiteur sur deux habite à plus de 100 kilomètres des établissements pour peines concernés.
Pourtant, je rappelle que l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme garantit le droit au respect de la vie privée et familiale, et que ce droit continue de s'appliquer en cas de privation de liberté.
La proximité du lieu de détention avec le lieu de résidence est également l'un des objectifs fixés par les « règles pénitentiaires européennes » établies dans le cadre du Conseil de l'Europe. Ces règles n'ont certes pas de valeur normative, elles n'en constituent pas moins des lignes directrices que chaque État devrait s'efforcer de suivre. Ainsi, la règle pénitentiaire européenne 17.1 prévoit que « les détenus doivent être répartis autant que possible dans des prisons situées près de leur foyer ou de leur centre de réinsertion sociale ».
Dans le même sens, la Commission nationale consultative des droits de l'homme considère que les décisions d'affectation des condamnés devraient « prioritairement être édictées en considération des exigences de stabilité de leur situation familiale, spécialement s'ils ont des enfants ».
Quant au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, il écrivait en 2009 que « le droit à une vie privée et familiale comporte le droit de rester aussi proche que possible des siens ».
Or, malgré toutes ces préconisations, notre droit positif reste notoirement insuffisant pour garantir le maintien des liens familiaux des détenus et, plus précisément, pour favoriser une incarcération dans un lieu proche de la famille de la personne condamnée.
Certes, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a permis plusieurs avancées en la matière.
Cette loi consacre notamment les droits de visite des détenus, ainsi que les unités de vie familiale et les parloirs familiaux. Surtout, son article 34 dispose que « les prévenus dont l'instruction est achevée et qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement peuvent bénéficier d'un rapprochement familial jusqu'à leur comparution devant la juridiction de jugement ». Mais cette consécration par le législateur de la notion de « rapprochement familial » ne concerne que les prévenus en attente de jugement, non les détenus condamnés.
Or il n'y a pas lieu de priver les personnes condamnées du bénéfice du rapprochement familial. Pire, la loi pénitentiaire de 2009 peut désormais conduire à des situations pour le moins étranges, dans lesquelles un prévenu serait incarcéré loin de sa famille durant l'instruction, puis rapproché de celle-ci dans l'attente de son jugement, avant d'être de nouveau éloigné en cas de condamnation.
L'adoption de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui permettrait donc de pallier cette lacune de notre législation en étendant aux détenus condamnés la préoccupation du rapprochement familial.
Au départ, la rédaction initiale de cette proposition de loi était très précise et prévoyait notamment que les détenus condamnés devaient être incarcérés « dans un établissement pénitentiaire situé à moins de 200 kilomètres de leur lieu de résidence au moment de leur arrestation ».
Toutefois, à la réflexion, cette rédaction est apparue excessivement rigide et très difficile à mettre en oeuvre en pratique.
Il faut en effet tenir compte de la répartition sur le territoire des différentes catégories d'établissements pénitentiaires – maisons centrales, centres de détention, maisons d'arrêt ou autres – ainsi que des exigences de sécurité propres à chaque catégorie de personnes condamnées.
Par ailleurs, d'autres critères que la proximité du détenu avec sa famille ou son domicile doivent également être pris en compte pour déterminer l'affectation dans un établissement pénitentiaire : par exemple, l'âge, l'état de santé ou la personnalité du détenu.
C'est pourquoi, à mon initiative, la commission des lois a adopté une nouvelle rédaction de cette proposition de loi, afin d'inscrire dans le code de procédure pénale un dispositif plus souple et plus réaliste que le texte initial.
Plus précisément, il s'agit d'élever au niveau législatif la procédure dite « d'orientation » des personnes condamnées par l'administration pénitentiaire, aujourd'hui prévue dans la partie réglementaire du code de procédure pénale. Cette proposition de loi vient donc ajouter au dispositif actuel d'orientation une prise en compte de la situation d'éloignement du détenu par rapport à son domicile.
En effet, à la différence du droit actuel, cette procédure d'orientation devrait viser à « favoriser le maintien des liens familiaux de la personne condamnée ». Concrètement, l'administration pénitentiaire devrait proposer, « chaque fois que c'est possible », une affectation dans l'établissement correspondant au profil du condamné et le plus proche de son domicile.