J'exposerai rapidement les cinq points qui nous interpellent.
Je rappelle qu'on avait justifié la mise en place, en juillet dernier, d'une commission parlementaire d'enquête sur le financement des syndicats en prétendant que les syndicats étaient les seules personnes morales échappant à l'obligation légale de tenir une comptabilité. Ce prétexte s'est révélé faux, puisque la loi du 20 août 2008 impose aux syndicats, non seulement de publier leurs comptes, mais aussi de les faire certifier au-delà d'un certain niveau de ressources. On a alors prétendu que la qualité du dialogue social dans notre pays supposait un financement des syndicats qui soit pérenne, transparent et indépendant. Cela revient à dire que les obligations comptables définies par la loi du 20 août 2008 et le décret publié le 30 décembre 2009, à l'issue d'une année de concertation avec le Conseil national de la comptabilité, sont impuissantes à assurer une véritable transparence financière des organisations syndicales. D'où ma première question à l'auteur de la proposition de loi : en quoi un copier-coller de la loi du 20 août 2008 serait susceptible d'assurer à ses yeux la transparence des comptes des comités d'entreprise ? Le vote de ce texte ne risquerait-il pas d'être suivi de la mise en place d'une commission d'enquête sur les comités d'entreprise, comme cela s'est passé pour les syndicats ?
Deuxièmement, la décision, votée le 30 novembre par la commission d'enquête sur le financement des syndicats, de ne pas publier son rapport, n'a pas empêché sa publication presque intégrale le jour même dans la presse. Pour nous, il est très clair que ces fuites ont été organisées par le rapporteur de la commission d'enquête, qui a ainsi provoqué une campagne de presse virulente à l'encontre des syndicats, dénonçant des financements occultes et illégitimes. On a pu lire, par exemple, que le syndicalisme français bénéficiait de 4 milliards d'euros de financements publics ! On a fini par découvrir que ce montant totalement fantaisiste avait été calculé en additionnant le montant des salaires perçus par les élus du personnel et les délégués syndicaux et celui du budget de fonctionnement des comités d'entreprise, soit 0,2 % de la masse salariale. Voilà ce que la presse a présenté comme un financement illégitime des syndicats, faisant accroire au grand public que l'État versait 4 milliards d'euros aux syndicats français. Et quand, face à cette campagne, nous avons demandé la publication du rapport, on nous a répondu qu'il n'existait pas !
Au nom de la CGT, j'entends donc dénoncer ici les manoeuvres de manipulation et de désinformation auxquelles s'est livré le député Perruchot. Ce comportement indigne d'un élu de la Nation suffit à nos yeux à disqualifier sa prétention à jouer le Monsieur Propre du financement des organisations syndicales ou des institutions représentatives du personnel.
Troisièmement, cette initiative parlementaire fait totalement fi des discussions tripartites en cours sur le même sujet de la transparence des comptes des comités d'entreprise. Celles-ci ont été engagées par la lettre de quatre confédérations syndicales, en date du 7 février 2011, attirant l'attention du ministre du travail sur l'inapplicabilité de la disposition réglementaire du code du travail relative à la certification des comptes des comités d'entreprise. Reconnaissant l'existence d'un problème, le ministre a annoncé en novembre la mise en place, sous l'égide du directeur général du travail, d'un groupe de travail chargé d'étudier la question. Ce groupe de travail s'est réuni il y a huit jours et a fixé un calendrier de réunions jusqu'au mois d'avril. Dans ces conditions, on ne peut que s'interroger sur l'objectif de cette initiative parlementaire. S'agirait-il de casser la concertation sociale ? Je rappelle que, selon l'article L. 1 du code du travail, tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement, qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle, doit faire l'objet d'une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l'ouverture éventuelle d'une telle négociation. Je crois savoir par ailleurs que votre assemblée a édicté un protocole qui impose l'ouverture d'une telle négociation avant toute proposition de réforme du droit social d'origine parlementaire.
Quatrièmement, il est visible que cette proposition de loi a été rédigée à la va-vite, dans une méconnaissance totale du fonctionnement des comités d'entreprise. De ce point de vue, la rédaction de l'article 2 est particulièrement révélatrice. En effet, celui-ci évoque les comités d'entreprise contrôlant une ou plusieurs personnes morales, « sans entretenir avec elles de lien d'adhésion ou d'affiliation ». Un comité d'entreprise qui « adhère » à une personne morale, ou une personne morale qui « adhère » à un comité d'entreprise, cela n'a aucun sens. En réalité, une disposition de la loi du 20 août 2008 relative aux syndicats est ainsi appliquée aux comités d'entreprise de manière totalement inadéquate.
Quant à l'article 1er, il fait des comités d'entreprise les seules entités soumises à un seuil d'obligation de tenue de compte annuelle fixé par la loi, et non par un décret. Surtout, il méconnaît le fait que les comités d'entreprise ont deux budgets : l'un de fonctionnement, alimenté par 0,2 % de la masse salariale ; l'autre qui sert à financer leurs activités sociales. On ignore si le seuil de 230 000 euros s'applique à l'un ou à l'autre, ou à la somme des deux, sachant cependant que ces deux budgets ne sont pas fongibles aux termes de la loi.
Il faut savoir par ailleurs que les comptes annuels comprennent un compte d'exploitation, un bilan et des annexes. Dans l'hypothèse où le seuil de 230 000 euros s'applique aux deux budgets, soit 1 à 2 % de la masse salariale brute, il conduirait à imposer cette obligation aux comités d'entreprise des entreprises de plus de quatre cents salariés. Sachant que ces comités d'entreprise comptent cinq à six élus, on ne voit pas comment cette poignée de volontaires pourrait produire de tels documents sans recourir aux services d'un cabinet d'expertise comptable. De combien devront-ils amputer le budget des activités sociales pour assumer le coût de cette obligation ?
Puisque vous évoquez dans l'exposé des motifs de votre proposition de loi les dysfonctionnement constatés par la Cour des comptes dans la gestion du comité d'entreprise de la RATP, pourquoi ne pas avoir suivi les préconisations du rapport de la Cour, qui recommandait d'appliquer aux comités d'entreprise le droit applicable aux personnes morales de droit privé non commerçantes ayant une activité économique ? On ciblerait ainsi les plus grands comités d'entreprise : ceux de la RATP, de la SNCF, d'Air France, des industries électriques et gazières.
Cinquièmement, le texte fait l'impasse sur des questions essentielles et sur lesquelles le groupe de travail a commencé à réfléchir. Quel est l'organe délibérant sur les comptes ? Auprès de qui seront-ils publiés ? Ce sont là des questions politiques essentielles. Les activités sociales des comités d'entreprise sont du salaire socialisé et le budget de fonctionnement traduit le droit constitutionnel de tout salarié à participer à la gestion des entreprises par l'intermédiaire de ses délégués. La tenue et la publication des comptes sont donc de droit pour les salariés, et toute amélioration en la matière est conforme à l'intérêt des salariés. La gestion de ces budgets doit être contrôlée par les salariés, et toute intervention du patronat dans ce domaine remettrait complètement en cause la nature même de ce qu'est un comité d'entreprise.
Je dirai en conclusion que cette proposition de loi traduit clairement une volonté politique d'entraver le fonctionnement des comités d'entreprise. Le prouve la tentative de la commission d'enquête de faire passer pour un financement syndical illégitime les montants représentant les salaires des élus du personnel, et qui, selon les termes de la Constitution, rémunèrent du temps de travail. Si ce financement est réputé illégitime, cela signifie, soit que les élus du personnel doivent assurer ces fonctions gratuitement, soit que les salariés doivent les payer. Dans un cas comme dans l'autre, cela revient à mettre en cause l'existence même des institutions représentatives du personnel.
Par ailleurs, ce texte s'inscrit dans le prolongement de la campagne virulente du Medef et de la CGPME contre le projet gouvernemental d'extension de la loi du 20 août 2008 aux PME et aux très petites entreprises, afin d'y assurer une représentation effective des salariés. Alors qu'il s'agissait d'assurer l'application d'un droit constitutionnel, la majorité de cette assemblée a préféré donner raison au Medef et à la CGPME en refusant un embryon de représentation collective du personnel de ces établissements, en violation de la loi du 20 août 2008.
Si vous pensez vraiment que ce pays a besoin de dialogue social, nous vous demandons de surseoir à l'examen de ce texte jusqu'à ce que le groupe de travail rende ses conclusions. Une telle attitude serait conforme à une démarche de concertation sociale.