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Intervention de Danielle Bousquet

Réunion du 17 janvier 2012 à 14h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Bousquet, co-rapporteure :

Je voudrais insister à mon tour sur l'importance de mener ce travail d'évaluation de la loi afin de mesurer son adéquation avec les besoins et de quantifier son application. Il s'agit d'un travail indispensable, qui devrait être entrepris pour toutes les lois importantes, ce qui est bien évidemment le cas pour celle qui nous intéresse aujourd'hui. Il ressort de notre évaluation que la loi est globalement pertinente mais qu'un défaut de formation des acteurs empêche sa complète mise en oeuvre.

Pour ne pas revenir sur les éléments de mise en application de la loi qui viennent d'être évoqués par Guy Geoffroy, je consacrerai mon intervention aux trois conditions du succès de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes.

La première de ces conditions est l'orientation des victimes vers la bonne procédure. L'ordonnance de protection n'est pas la seule réponse possible dans les situations de violences conjugales. Elle peut être conjuguée à une action pénale. Par ailleurs, de nombreux avocats conseillent encore à leurs clientes victimes de violences de ne déposer qu'une requête en divorce, ignorant les possibilités ouvertes par l'ordonnance de protection. Ils estiment en effet que le juge aux affaires familiales dispose, pour une procédure de divorce, des mêmes pouvoirs que dans le cadre d'une ordonnance de protection. Tel n'est évidemment pas le cas : l'ordonnance de protection a été conçue comme une mesure d'ensemble, la seule permettant de prendre en compte tous les aspects de la situation de la victime et de répondre à toutes ses demandes. Il est donc très important qu'elle soit mieux connue, afin que les victimes y soient davantage orientées. Nous avons d'ailleurs l'occasion, dans le rapport, de souligner les lacunes de la formation, notamment des avocats et des magistrats. Plusieurs avocats rencontrés nous ont indiqué que les écoles de formation du barreau gagneraient à consacrer systématiquement une journée de formation aux violences conjugales. J'ai participé à de telles formations en Bretagne qui ont, me semble-t-il, été très utiles aux avocats présents. De même, nous préconisons de former l'ensemble des coordonnateurs « famille » des tribunaux de grande instance à l'ordonnance de protection, ces derniers étant ensuite chargés de diffuser l'information auprès de leur équipe.

La deuxième condition du succès est l'implication de tous les acteurs et leur mise en réseau. S'il est un domaine dans lequel les bonnes pratiques ont toute leur importance, c'est bien celui de la lutte contre les violences conjugales. La situation de ces victimes est tellement spécifique qu'il est essentiel que les acteurs connaissent parfaitement cette problématique et soient en mesure de travailler en réseau. Ces violences sont insidieuses ; elles prennent place dans la sphère familiale et sont généralement difficiles à percevoir de l'extérieur. Leur gravité est telle qu'elles isolent les femmes qui en sont victimes et peuvent engendrer d'importantes dépressions et provoquer des suicides si aucune réponse ne leur est apportée. Si les professionnels ne sont pas formés à les reconnaître, ils n'y parviendront pas.

Nous avons pu constater qu'il suffit qu'un seul maillon de la chaîne manque pour que l'ensemble de la procédure soit grippé. Si les avocats connaissent mal la procédure de l'ordonnance de protection ou si les magistrats la considèrent comme inutile, aucune victime ne pourra jamais y avoir accès. C'est ce que nous avons pu remarquer dans certains tribunaux.

Au-delà, l'ensemble des acteurs doit travailler en réseau. Nous avons été particulièrement impressionnés par le remarquable dispositif mis en oeuvre au tribunal de grande instance de Bobigny, qui permet à une victime de se présenter au tribunal et de rencontrer, dans la même journée, une association d'aide aux victimes, le bureau d'aide juridictionnelle, un avocat et le juge aux affaires familiales de permanence. La garantie lui est donnée que la décision du juge sera rendue dans les huit jours. Si nécessaire, un hébergement lui est fourni le jour même pour lui éviter de rentrer chez elle et un téléphone d'urgence (« téléphone de grand danger ») peut lui être attribué afin qu'elle puisse prévenir les forces de l'ordre si l'auteur des violences s'approche d'elle. La mise à l'abri est ainsi immédiate et totale. On devine toute l'organisation nécessaire pour donner cette réponse rapide aux victimes et le travail collaboratif qui la sous-tend. Les engagements de chacun figurent d'ailleurs dans un partenariat. Ce n'est pas un hasard si le tribunal de grande instance de Bobigny a rendu un cinquième des ordonnances de protection délivrées dans toute la France !

La troisième clef de la réussite, et aussi celle qui garantit le succès de cette politique sur le long terme, est la prévention. En la matière, la loi du 9 juillet 2010 a fourni deux leviers.

Dans le domaine des médias, elle autorise les associations de lutte contre les violences faites aux femmes à saisir le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) pour qu'il mette en demeure les télévisions et les radios qui ne respecteraient pas leurs obligations de lutte contre les discriminations, les préjugés sexistes et les violences faites aux femmes. L'association Osez le féminisme ! a fait usage à deux reprises de cette possibilité, l'une ayant débouché sur l'envoi, par le CSA, d'une lettre de mise en garde à une radio où un animateur avait soutenu qu'une agression sexuelle commise à l'encontre d'une femme pouvait être un moyen de créer un état d'esprit positif dans une équipe sportive.

À l'école, la loi du 9 juillet 2010 prévoit qu'une formation à l'égalité de genre est dispensée à tous les stades de la scolarité. Le ministère de l'Éducation nationale nous a fourni des éléments sur la mise en oeuvre de cette disposition législative dont il est cependant difficile de quantifier la réalité sur le terrain, faute d'étude approfondie.

Pour conclure sur ce thème, je veux souligner que deux des rapports que le Gouvernement aurait dû rendre au Parlement concernent la politique de prévention. Il s'agit, d'une part, de la perspective de créer un Observatoire national des violences faites aux femmes qui, par la production de statistiques, sensibiliserait l'ensemble de la société à cette problématique, et, d'autre part, de la formation des professionnels, au sujet de laquelle la représentation nationale ne dispose toujours d'aucun élément.

Le bilan d'ensemble est donc mitigé, avec des éléments fortement positifs, notamment quant à la publication des textes d'application, et d'autres qui le sont moins. En tout état de cause, des progrès qualitatifs sont encore largement possibles.

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