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Intervention de Guy Geoffroy

Réunion du 17 janvier 2012 à 14h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Geoffroy, rapporteur :

Pour Danielle Bousquet, pour moi-même, comme pour tous ceux qui ont travaillé sur les violences faites aux femmes, il s'agit aujourd'hui d'un moment important, qui s'inscrit dans une démarche d'ensemble. Sans revenir sur le vote de la loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, en 2006, la première étape a consisté en la création par la conférence des Présidents de notre assemblée, à l'initiative de son président, d'une mission d'évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, en 2008. Les conclusions de cette mission, dont Danielle Bousquet était présidente et dont j'ai eu l'honneur d'être rapporteur, tendaient à instaurer un « dispositif cadre » pour lutter contre les violences faites aux femmes, incorporant des éléments législatifs et réglementaires. Pour notre part, nous avons décidé de reprendre les préconisations de nature législative de la mission d'évaluation sous forme de proposition de loi.

S'est alors ouverte la deuxième phase, législative, qui a pu aboutir dans les délais que nous nous étions fixés grâce au soutien du Gouvernement. Ce dernier a fait en sorte que notre texte soit adopté avant l'été 2010 et nous sommes nombreux à nous souvenir de la journée du 29 juin 2010 qui a vu l'adoption définitive de la proposition de loi par l'Assemblée nationale, dans des termes identiques à ceux du Sénat. La loi du 9 juillet 2010 a pu entrer en application, pour une grande partie de ses dispositions, le 1er octobre 2010, afin de laisser le temps au Gouvernement de prendre les textes réglementaires nécessaires à son application et d'informer les juridictions.

Au terme d'une année de mise en oeuvre, vient le moment de dresser un premier bilan d'application d'une loi importante, qui comprend 38 articles et qui a été votée à l'unanimité tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, signe d'un consensus positif et porteur. Avant d'entrer dans le détail de ce bilan, je tiens à souligner que nous avons mené ce travail, avec Danielle Bousquet, dans une totale harmonie de pensée et de démarche.

Notre première mission consistait à recenser les textes pris par le Gouvernement pour l'application de la loi. De manière générale, les décrets d'application nécessaires ont été publiés dans des délais satisfaisants. Nous étions très attentifs à ce que le décret d'application de l'ordonnance de protection soit pris avant le 1er octobre 2010, ce qui a été fait, permettant une entrée en vigueur de la procédure à la date prévue. Nous soulignons cependant qu'aucun des trois rapports que le Gouvernement devait remettre au Parlement pour juin 2011 ne l'a été. Demander la publication d'un rapport est une démarche facile pour le Parlement et peut être perçu comme une contrainte par le Gouvernement. Tel n'est pas le cas de ces rapports, qui portent sur des sujets essentiels pour la lutte contre les violences faites aux femmes, à savoir l'opportunité de créer un observatoire national, la formation des professionnels et l'accès à un titre de séjour pour les ressortissantes algériennes victimes de violences conjugales, pour lesquelles les dispositions de la loi ne sont pas immédiatement applicables.

Au-delà, nous avons souhaité analyser la manière dont les acteurs de terrain appliquent la loi. Nous avons effectué, à cette fin, cinq déplacements en département afin de mesurer leur connaissance de la loi et de recueillir leurs impressions. Nous avons visité de petites comme de grandes juridictions en essayant que cet échantillon soit représentatif de la diversité des tribunaux de grande instance. À l'occasion de ces déplacements, nous avons rencontré des représentants de l'État, de la justice, des collectivités territoriales ainsi que des associations.

La principale mesure de la loi du 9 juillet 2010 est l'ordonnance de protection des victimes, qui est rendue par le juge aux affaires familiales en urgence sous forme de référé et pour une durée de 4 mois. Cette ordonnance vise à stabiliser la situation juridique des victimes de violences conjugales afin de les protéger, de leur permettre de quitter l'auteur des violences et d'envisager sereinement une éventuelle procédure pénale ou en divorce. L'ordonnance de protection nécessite que soit établi le caractère vraisemblable des violences. Peuvent notamment y figurer : l'interdiction, pour l'auteur, de rencontrer la victime et ses enfants et la possibilité, pour la victime, de dissimuler son adresse ; un aménagement de l'autorité parentale, afin, par exemple, de confier provisoirement la garde des enfants à la victime ou de prévoir que le droit de visite s'exerce dans un lieu neutre ou avec l'intermédiaire d'un tiers de confiance ; l'éviction de l'auteur du logement conjugal, dont la victime a seule le bénéfice, en la déliant éventuellement de tous les frais afférant au logement ; le versement, par l'auteur, d'une contribution financière à la victime, afin de lever le frein financier à la séparation.

Par ailleurs, les personnes qui bénéficient d'une ordonnance de protection se voient délivrer automatiquement une carte de séjour d'un an et peuvent bénéficier d'hébergements et de logements dédiés. Il faut rappeler que les préfets conservent le pouvoir d'accorder un titre de séjour aux personnes qui ne bénéficient pas de l'ordonnance de protection, ce qui n'a pas bien été compris dans toutes les préfectures.

L'ordonnance de protection est donc une mesure d'ensemble visant à faciliter les démarches des victimes et, in fine, leur reconstruction. Quel bilan peut-on faire de l'application de cette mesure, entrée en vigueur le 1er octobre 2010 ?

En huit mois, jusqu'au 1er mai 2011, 854 ordonnances de protection ont été sollicitées auprès des 122 tribunaux de grande instance qui ont répondu à la Chancellerie, ce qui correspond aux trois-quarts des tribunaux de grande instance de France. Il faut comparer ce chiffre avec ceux de l'ancien « référé violences », que l'ordonnance de protection remplace. En 2008, sur une année complète et non pas seulement huit mois, et dans la totalité des tribunaux de grande instance de France, seules 469 demandes de « référé violence » avaient été formulées. On peut donc estimer que l'ordonnance de protection a permis plus d'un doublement des demandes, alors que ce dispositif n'a pas encore atteint la plénitude de ses effets. Je tiens à souligner que la problématique des violences conjugales est particulièrement difficile car le taux de révélation de ces violences est encore faible. Lors d'une conférence de presse tenue ce matin, le ministre de l'Intérieur, M. Claude Guéant, a estimé avec raison que l'augmentation du nombre de faits constatés résultait certainement d'une libération de la parole, davantage que d'une augmentation du nombre de situations de violences conjugales.

Tous les magistrats ont jugé positive la création de l'ordonnance de protection. Ils ont cependant mis en lumière un certain nombre d'améliorations possibles.

L'ordonnance de protection a une durée de 4 mois. Pour tous les acteurs rencontrés, cette durée est trop courte et dissuade certaines victimes d'entreprendre la procédure. À l'occasion d'un prochain texte législatif, cette durée pourrait être portée à six mois.

Les délais nécessaires à la délivrance d'une ordonnance de protection sont beaucoup trop longs. Il est en moyenne de 26 jours, alors que le législateur escomptait un délai de 48 heures ! Ce délai excessif met en danger les victimes qui entament une procédure et doit être absolument réduit. C'est possible puisque le tribunal de grande instance de Bobigny, qui a délivré à lui seul un cinquième des ordonnances de protection, grâce à une organisation particulièrement pertinente, connaît un délai moyen de délivrance de 8 jours. Ce modèle est à généraliser.

Enfin, certaines préfectures ne jouent pas complètement le jeu de la protection des victimes de violences conjugales en matière de délivrance de titre de séjour. Il faut leur rappeler que cette dernière est automatique pour toutes les personnes qui bénéficient d'une ordonnance de protection et qu'elle demeure possible si tel n'est pas le cas.

En matière pénale, notre attention a notamment été appelée sur le délit de violences psychologiques au sein du couple, que la loi du 9 juillet 2010 a créé. Ce délit a répondu à une réelle attente puisque sa création a engendré de nombreux appels auprès des associations spécialisées et nous avons nous-même reçu de nombreux courriers à ce sujet. En revanche, les acteurs de terrain se trouvent démunis pour en faire application, faute notamment de jurisprudence. On peut estimer qu'une première jurisprudence permettrait de définir une marche à suivre et de mieux cerner quels sont les éléments sur lesquels le juge pourrait s'appuyer pour caractériser cette infraction. De l'avis des magistrats, la mise en oeuvre de ce délit pourrait s'appuyer sur une meilleure coopération avec les unités d'urgences médico-judiciaires qui sont seules capables de produire des certificats médicaux pouvant décrire le traumatisme psychologique subi par les victimes.

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