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Intervention de Bernard Carayon

Réunion du 11 janvier 2012 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Carayon, rapporteur :

Je me réjouis que nos collègues socialistes partagent nos analyses sur la conflictualité des relations commerciales et sur la nécessité de donner à nos entreprises les moyens de lutter à armes égales avec des concurrents qui, en utilisant le droit, se comportent parfois de façon déloyale. C'est tout le sens de la politique d'intelligence économique menée depuis 2004.

M. Urvoas a souligné, à juste titre, la difficulté du diagnostic. Mais cette difficulté renvoie à celle, plus générale, du chiffre noir de la délinquance. Je vous renvoie néanmoins à mon rapport, qui évoque une étude de KPMG selon laquelle plus de 15 millions de personnes dans le monde auraient été victimes de vols ou de pertes d'informations en 2010, et plus de 249 millions de piratage d'informations depuis 2007.

Selon une étude réalisée par un autre cabinet de conseil, 61 % des entreprises françaises ont déclaré avoir subi au moins un incident de sécurité en 2011, contre 39 % en 2010. En 2011, 17 % des entreprises auraient par ailleurs été victimes de vol de propriété intellectuelle, contre 6 % en 2008, et 13 % d'atteinte à leur image de marque, contre 6 % en 2008.

Ces chiffres, aussi imprécis soient-ils, témoignent de l'intensité de la guerre économique à laquelle se livrent les entreprises et les États : je vous renvoie, sur ce point, aux ouvrages très éclairants de l'universitaire Christian Harbulot.

Il est vrai, monsieur Urvoas, que nous n'avons pas de données statistiques sur les pratiques de concurrence déloyale entre les entreprises françaises. Mais comment distinguer, dans le droit, ces pratiques selon la nationalité des entreprises ? C'est la DCRI, au travers de sa sous-direction de la protection du patrimoine industriel et scientifique français, qui est compétente pour ces missions ; je vois mal comment un autre service pourrait s'en charger.

La loi de 1968, modifiée en 1980 après avoir été adoptée dans un contexte de conflit commercial et diplomatique avec les États-Unis, est beaucoup trop large puisqu'elle sanctionne la communication de tout renseignement, quelle qu'en soit la nature ; c'est d'ailleurs, disons-le clairement, ce qui la met à la merci d'une question prioritaire de constitutionnalité.

Dans le cadre des procédures américaines de discovery, préalables aux procès, nos entreprises font parfois l'objet d'investigations dont le caractère est proprement scandaleux : les juridictions étrangères, notamment américaines, profitent du droit pour obtenir d'elles des informations qui n'ont souvent aucun rapport avec les motifs de la saisine.

Il est donc indispensable de préciser la notion de « secret des affaires » dans notre droit ; faute de quoi, la loi de 1968 resterait menacée constitutionnellement. La proposition de loi a pour objet de remédier à ce problème dans le respect du principe de la légalité des délits et des peines. La Chancellerie est réservée, car elle estime que l'on ne peut obliger les entreprises à passer par le canal de la protection du secret des affaires pour bénéficier de la loi de 1968 modifiée. Cela me semble un très mauvais argument, car le but du dispositif est précisément d'inciter les entreprises à consentir de réels efforts pour mieux protéger leurs informations : c'est à ce prix qu'il sera efficace pour celles qui y recourront.

De surcroît, les entreprises sont prises entre le marteau et l'enclume : soit elles refusent de déférer, sous peine de sanctions extrêmement lourdes dans les pays concernés, à des demandes parfois infondées des juridictions étrangères, soit elles s'exposent à des sanctions pénales en France.

La Chancellerie s'appuie sur l'avis du MEDEF ; pour ma part, je me fais l'interprète, non seulement des très nombreux responsables d'entreprise que j'ai rencontrés depuis des années, mais aussi de l'intérêt de l'État, puisqu'il s'agit de résoudre un problème qui ne peut l'être dans un cadre contractuel.

Le secrétaire général du Quai d'Orsay, lui, est favorable à ce texte, et le coordinateur national du renseignement à l'Élysée, M. Ange Mancini, lui a apporté un soutien très marqué.

M. Clément a souligné l'utilité d'une conceptualisation : c'est exactement le terme qui convient. Le droit est une arme comme les autres, et la France a trop longtemps déserté le champ de bataille des normes juridiques, voire des règles professionnelles. Depuis des années, je milite en faveur d'une stratégie publique de normalisation et de certification afin d'identifier les enjeux stratégiques pour nos entreprises, dont les représentants, comme les services de l'État, sont trop peu présents au sein des lieux de production de ces normes et règles.

M. Clément, que je remercie chaleureusement pour son soutien au texte, a aussi souligné la dématérialisation des échanges, phénomène qui, parce qu'il concerne aussi bien les secrets que l'ensemble des informations, doit faire l'objet d'une réponse adaptée.

Il faut sans doute distinguer entre les PME et les grands groupes, encore que ceux-ci ne soient pas toujours exempts de naïveté, comme j'ai pu le constater, y compris chez ceux qui évoluent dans des secteurs stratégiques, tels que l'énergie. S'agissant des PME, le texte vise bien entendu les plus sensibles ou stratégiques d'entre elles, même si, depuis quelques années, le nombre de PME exposées va croissant. À cet égard, il est urgent que les pôles de compétitivité adoptent une vraie stratégie en matière d'intelligence économique et de protection des travaux qui y sont réalisés, puisqu'ils rassemblent les meilleurs talents scientifiques, industriels et administratifs.

S'il ne faut, en matière de secret des affaires, n'être ni naïf ni paranoïaque, il faut à coup sûr, monsieur Lambert, se garder de tout angélisme. Les entreprises qui appartiennent à des secteurs stratégiques connaissent les difficultés de communiquer sur des informations sensibles, et des procédures spécifiques existent déjà. Reste que l'intérêt du présent texte est d'associer dissuasion et pédagogie – au bénéfice, d'ailleurs, de toutes les entreprises, quelle que soit leur taille ou leur spécialité –, mais aussi d'offrir un nouveau support aux magistrats, notamment aux plus jeunes d'entre eux. Les élèves de l'École nationale de la magistrature sont d'ailleurs sensibilisés, en particulier par l'avocat général Claude Mathon, à la politique menée en matière d'intelligence économique.

M. Lambert a aussi souligné le rôle de la gendarmerie nationale, même si celui-ci est plutôt de rassembler les informations portées à la connaissance des services de police spécialisés. Il revient cependant à la DCRI, et à elle seule, de coordonner le travail en la matière.

Le mot « gravement », madame Joissains-Masini, est directement issu de la jurisprudence européenne ; c'est celui qui figure, par exemple, dans un arrêt du tribunal de première instance des Communautés européennes de 1996. Ce terme permet de préciser l'incrimination, d'en souligner le caractère pédagogique et de la rendre plus conforme à notre droit constitutionnel, ce qui me semble être un impératif.

S'agissant du quantum des peines, l'échelle est très différente aux États-Unis et en France ; je n'ouvrirai donc pas ce débat. En ce domaine, le mieux est l'ennemi du bien, et je me permets de solliciter votre confiance : au terme de mes auditions, il m'est apparu que le relèvement des seuils – d'un à trois ans d'emprisonnement, et de 15 000 à 375 000 euros d'amende – était suffisamment dissuasif, ce qui n'était évidemment pas le cas des peines prononcées dans les affaires Michelin et Valeo.

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